Vingt ans d’efforts portent les fruits espérés par les pépiniéristes néerlandais et européens. « En 2002, à l’occasion de la cinquième édition de Floriade, 22 organisations professionnelles, dont 16 de l’Union européenne, avaient réagi contre les coupes budgétaires et la course aux prix bas dans les espaces verts publics. Ils avaient avancé cet argument : le végétal n’est pas un coût, c’est une solution. Ainsi est né le mouvement européen des Cités vertes », rappelle Henk Raaijmakers, président de l’association européenne des pépiniéristes (European Nurserystock Association, ou ENA).
Le végétal séduit la maîtrise d’ouvrage
Le 29 juin, en ouvrant la conférence Cités vertes programmée à Almere à l’occasion de la septième Floriade, il a savouré sa victoire. Inscrite dans les cœurs et les cerveaux des scientifiques, des maîtres d’ouvrages et du grand public : les bienfaits de la nature en ville ne font plus de doute. « La profession a investi 1 million d’euros par an pendant 15 ans pour financer les recherches qui aboutissent à ce résultat », souligne Henk Raaijmakers.
Depuis 2018, l’Union européenne joint ses forces à celles des pépiniéristes. Elle a repris à son compte l’étendard Cités vertes dans un programme qui a entamé une deuxième période de trois ans en 2021. L’événement du 29 juin s’inscrit dans cette campagne de sensibilisation au long cours qui cible la maîtrise d’ouvrage immobilière et urbaine, publique et privée.
Le vert, un investissement rentable
Représentée par l’association interprofessionnelle du végétal et du paysage Valhor, la France fait partie des 13 pays associés. Elle décline sa participation à travers son partenariat avec l’Union sociale de l’habitat et les émissions de Radio Immo consacrée à la végétalisation immobilière.
Sur les thèmes de la santé, de la réduction des pics de chaleur et de l’alimentation saine en circuit court, la conférence du 29 juin a marqué une nouvelle étape dans la diffusion des données scientifiques. Elle aura également frappé les esprits des hommes d'affaires : le végétal entre dans les raisonnements financiers des promoteurs et propriétaires immobiliers. Franc Van der Steen, ministre de l’Agriculture, de la nature et de la qualité alimentaire de la Hollande méridionale, ne s'y est pas trompé : « Nous ne sommes pas encore assez habitués à intégrer la valeur de la nature dans la fabrique de la ville. Le secteur privé nous stimule dans ce sens ».
Cercle vertueux
La végétalisation de 50 000 m2, en cours au centre d’Alphen-sur-le-Rhin (106 000 habitants en Hollande méridionale), témoigne de ce cercle vertueux pour la végétalisation des villes. « A l’issue d’une mesure de température toutes les 50 mn et d’un repérage des lieux les plus stratégiques, la modélisation que nous avons élaborée avec l’université de Delft nous a permis de calculer le nombre de plantes nécessaires pour réduire de 8 à 10 °C les pics de chaleur. Ainsi, 75 % de ces végétaux doivent trouver leur place sur les toits et les façades des immeubles, contre 25 % dans l’espace public. Ce travail a nourri l’argumentaire que nous avons soumis aux promoteurs et aux décideurs politiques », résume Ron Kervezee, directeur de programme de la commune.
Cette dernière propose aux propriétaires privés une répartition de l’effort : la ville finance l’infrastructure de récupération des eaux pluviales destinées à l’arrosage, et les propriétaires acceptent de miser 15 millions d’euros sur les plantations, dans le cadre de contrats qui incluent 10 ans d’entretien. L’amortissement court sur cette même durée, au-delà de laquelle la valorisation des biens transforme l’investissement en profit. « Les propriétaires n’ont pas immédiatement répondu à nos attentes formulées en 2014. Mais depuis trois ans, les réalisations s’accélèrent », triomphe Ron Kervezee.
Horticulture et nature se réconcilient
La victoire revendiquée par les professionnels du végétal résulte en partie de leur propre transformation, liée au progrès des connaissances scientifiques : « L’impact thermique du vert varie selon le type de végétaux et la diversité des strates couvertes », expose Jelle Hiemstra, chercheur à l’université de Wageningen.
Du point de vue écosystémique, l’écologue Karin Albers démontre les différences entre les pelouses rases et les prairies fauchées tardivement. Mais la bonne nouvelle des Cités vertes réside dans la capacité du tissu urbain à supporter les interactions au sein du monde sauvage, comme l’illustrent les 50 espèces d’abeilles recensées dans les toitures végétalisées des abribus d’Utrecht.
Indispensable professionnalisation
Sur le front social, les rares participants français aux conférences d’Almere (seuls France Urbaine et Le Moniteur ont répondu à l’invitation de Valhor) auront trouvé des échos aux expériences en cours dans l’hexagone : qu’il s’agisse d’impliquer les locataires de logements sociaux ou de remettre sur de bons rails des personnes en burnout ou en mal d’insertion professionnelle, le jardinage et les travaux d’agriculture urbaine ouvrent des voies d’espoir.
A condition, toutefois, de ne pas pécher par naïveté : « Les citoyens ont tendance à surestimer leur compétence ou leur disponibilité. Seul un accompagnement professionnel permet de tenir la durée », prévient Marc Ravesloot, écologue à l’université de Wageningen.
Urbanisme botanique
Après les interventions scientifiques, la promenade à Floriade Expo 2022 ajoute une multitude d’éclairages sur les promesses de la ville verte, grâce aux contributions des 33 pays participants, visibles jusqu’au 9 octobre. L'événement néerlandais s'inscrit dans l'agenda mondial des expositions universelles horticoles.
L'hymne au vert n'interdit pas à l’architecte et urbaniste Winny Maas (agence MVRVD) d'assumer une posture géométrique et mathématique bien éloignée des aléas de la nature, pour structurer ce futur quartier urbain : adaptées au climat et à la salinité du sol, les 1800 espèces végétales se répartissent dans un carré de 800 m de côté, selon l’ordre alphabétique déterminé par la première lettre qui les désignent en latin.
Avec Christian Pfeiffer (commune d’Almere), le paysagiste Niek Roozen a rempli cette grille de mots croisés qui survivra à l’exposition : disposé sur une bande de quatre mètres le long des voies orthogonales, l’héritage botanique s’imposera aux constructeurs, qui devront adapter leurs outils et leurs pratiques. Lorsqu’ils prendront possession des lots, ils trouveront l’ensemble des réseaux d’eau, d’éclairage, de chaleur géothermique et d'électricité renouvelable, mais apprendront à se passer du gaz, dans le quartier qui tourne résolument le dos aux énergies fossile.
Signaux architecturaux
Avant même ces chantiers à venir, trois équipements proches de l’entrée de l’exposition donnent le ton : une école d’agronomie urbaine, une résidence pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et l’administration du gouvernement régional, caractérisée par son pan de toiture dont la limite inférieure se situe à une altitude de 0 m, soit 5 m au-dessus du sol.

A l'entrée de Floriade Expo 2022, une école d'agronomie urbaine offre un des premiers équipements publics du futur quartier.
Mais le geste architectural majeur s’est accompli au centre du futur quartier : la tour Flores abrite aujourd’hui les bureaux des Floriades, avant leur reconversion en 80 appartements de standing. Ses façades répartissent à la verticale les couleurs des 1800 espèces végétales qui égayent le sol.
Passerelle vers le futur
En direction de l’ « île de l’utopie » et de sa forêt partiellement intégrée au quartier pour y développer l’agroforesterie, le « campus des ponts » laissera également une trace durable. Parmi les passerelles vers un futur désirable, le smart circular bridge a mobilisé 14 partenaires de quatre pays dont la coopérative agricole française NatUp, fournisseur des fibres de l’ouvrage biosourcé.
De l’utopie à la mise en œuvre, les Pays-Bas ont déjà tracé la feuille de route : le campus inspire le pays pour minimiser les coûts environnementaux de la rénovation ou du remplacement de ses 85 000 ponts, soit une facture estimée à 80 milliards d’euros.