Négoce - Nous dirigeons-nous vers une sortie de crise de l’immobilier ?
Éric Pichet - L’immobilier a toujours été un secteur cyclique. Si la dernière crise n’avait pas été déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle aurait eu lieu tôt ou tard car la longue période de taux très bas, voire négatifs, née de la réaction des banques centrales à la crise des subprimes de 2008 ne pouvait pas durer indéfiniment. À l’inverse, la brutale reprise de l’inflation en 2022 a entraîné une réaction très forte des banques centrales qui ont remonté leurs taux directeurs et causé une hausse des taux des prêts immobiliers culminant à plus de 4 %, avant de redescendre aujourd’hui vers 3 %. Les banques commerciales ont donc durci leurs conditions d’emprunts (taux et exigences de garanties), ce qui a désolvabilisé les ménages primo-accédants au moment même où le coût de l’immobilier neuf s’est envolé sous l’effet de la hausse des matières premières dans la construction, supérieure à la hausse des prix à la consommation. Le neuf coûte donc plus cher, accentué en outre par les contraintes environnementales.
Ces mesures peuvent-elles être allégées ?
Les politiques savent que nous sommes dans une impasse depuis la dissolution de juin 2024 et que la crise immobilière touche tous les acteurs du secteur aujourd’hui. En outre, pour ne pas se mettre à dos les maires, les mesures de simplification nécessaires à la reprise de la promotion sont trop modestes (1) et souvent pas appliquées. En effet, je reste optimiste, car la prochaine législature, après les élections municipales de 2026, pourrait adopter un choc de mesures pour libérer l’offre en libérant des terrains et obliger les édiles à faciliter les permis de construire.
L’objectif zéro artificialisation nette (Zan) pourrait-il être concerné ?
Sans doute, mais sans trop remettre en cause le volet écologique. La preuve : dans le dernier train de simplification, la transformation en logements de centres commerciaux dont l’activité est en berne a été évoquée. Leur surface totale représente près de huit fois celle de Paris. En requalifiant ces zones pour que les gens acceptent d’y habiter, ce dispositif serait envisageable dans les cinq ans. Mais même si la prochaine législature revenait à un rythme de 400 000 mises en chantier par an (contre 270 000 aujourd’hui), cela restera insuffisant pour combler un déficit global de 800 000 logements qui sera long à satisfaire.
Est-il possible de contrer cette pénurie ?
Les organismes HLM ont réduit les financements, alors que 2,7 millions de personnes restent en attente d’un logement, et que plus de 130 000 personnes réclament l’application de la loi sur le droit au logement opposable, nous rappelant cruellement que le droit ne peut pas être supérieur aux réalités économiques. A contrario, je ne suis pas inquiet pour les promoteurs qui ont su traverser cette crise : la construction finira bien par repartir, comme la hausse des prix de l’immobilier et ce de manière durable. À Paris, les prix ont sans doute touché le fond, du fait du profond déséquilibre entre l’offre contrainte et la demande de logements, ainsi que les files d’attente pour une location le montrent. C’est donc sans aucun doute le moment d’acheter pour ceux qui le peuvent, parce que nous repartons dans un cycle haussier et durable des prix de l’immobilier. Avec la fin du télétravail souhaitée par certaines entreprises, les salariés qui avaient quitté l’Ile-de-France vont devoir y revenir, sachant que la moitié de l’emploi des cadres de toute la France se situe en région parisienne, ce qui va accroître la ségrégation sociale dans les métropoles.
Quels seraient les leviers pour alléger cette pénurie ?
Outre les organismes HLM déjà évoqués, sur le plan fiscal, on attend beaucoup du futur statut du bailleur privé qui devait être mis en place cet été et qui pourrait être retardé d’un an. Reste qu’à l’image de ce qui a toujours été fait depuis 1982, le gouvernement va devoir créer de nouveaux dispositifs fiscaux en matière d’investissement immobilier. Si le dispositif Pinel a été supprimé, il existe encore un dispositif fondé sur une baisse de la TVA de 20 % à 10 % et un crédit d’impôt sur la taxe foncière qui allège le prix du neuf d’environ 15 %. Or, depuis la période Covid-19, les Français n’ont jamais autant mis de côté, leur épargne étant passée de 15 % du revenu des ménages à 18 %. Au regard de l’instabilité de la Bourse, des assurances vie ou de l’or, la pierre reste toujours une valeur refuge et une partie de l’épargne des ménages retrouvera le chemin de l’immobilier locatif si les incitations fiscales sont suffisantes.
1. Choc de l’offre annoncé en février 2024, en simplifiant les procédures dans 22 territoires engagés.