« Nous sommes entrés dans une phase active dans une cinquantaine d’immeubles, avec des chantiers en cours sur 15 d’entre eux. Une vingtaine d’autres chantiers vont démarrer d’ici fin 2026 », a pointé David Ytier, président de la société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-in) Aix-Marseille Provence, en introduction d’une visite de terrain, le 27 août.
Quatre ans après la création de la SPLA-in, près de sept ans après le drame de l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, le lent et minutieux travail d’éradication de l’habitat indigne à Marseille devient visible.
Pilotée par Franck Caro, directeur général de la SPLA-in, et de ses équipes, la visite, organisée en présence également de Sophie Camard, adjointe au maire de Marseille et membre du conseil d’administration de la SPLA-in, de représentants des services de l’Etat et des bailleurs sociaux, s’est concentrée sur deux opérations.
La première concerne un ensemble de deux bâtiments, situés au 50/52 rue de la Joliette, entre la Porte d’Aix et la Place de la Joliette. Construits en 1866 dans une zone urbanisée dans le sillage du port de Marseille alors en plein développement, ils ont connu plusieurs vies. Acquis par la SPLA-in auprès d’Urbanis aménagement, les deux immeubles en arrêté de péril abritaient 14 logements sombres, dont certains dotés de pièces aveugles et ne proposant qu’un sanitaire par étages.
Une action méthodique
La SPLA-in va céder 70% des immeubles à des bailleurs sociaux et 25% à Action Logement. Les 5% restants d’immeubles seront transformés pour abriter des logements en accession sociale innovante.
Dans les deux premiers cas, la société publique signe des conventions de coopération avec les futurs preneurs. Ils se partagent la maîtrise d’ouvrage : la société publique prend en charge le gros oeuvre et le clos-couvert ; le bailleur réalise les travaux de second oeuvre. Le coût moyen des travaux s’élève à quelque 4000€/m²... Un montant supérieur au coût de production du logement conventionné qui est trouvé grâce au soutien de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). La plupart des dossiers portés par la SPLA-IN se situe en effet dans le périmètre du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) du grand centre-ville de Marseille.
La SPLA-in ambitionne de lancer d’ici la fin de l’année un 3ème Appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour céder une dizaine d’immeubles. Elle réfléchit à un nouveau processus de sélection qui servira à référencer des bailleurs sociaux afin de leur proposer régulièrement des paniers de bâtiments.
La cure de jouvence, qualifiée de « plus grande opération de réhabilitation d’habitat dégradé du pays » par David Ytier, prévoit la remise à niveau de quelque 10 000 logements. Tous ne seront pas acquis par la SPLA-in. Grâce aux aides de l’Agence national de l’habitat (Anah), elle va aider les propriétaires privés occupants ou bailleurs à remettre à niveau les logements. Si nécessaire, elle aura recours à la déclaration d’utilité publique (DUP) restauration immobilière pour les forcer à agir. Dans le cas contraire, elle utilisera son droit de préemption.
Améliorer le confort
Dans son cahier des charges, la SPLA-in a imposé de récupérer le maximum d’éléments sur place. Les trois étages existants des planchers ont ainsi tous été conservés. Seront démolis les seuls éléments qui contribueront à améliorer le confort des six T3 (entre 66 et 69 m² SP) qui seront gérés par le bailleur social Vilogia.
Ainsi, le côté nord du n°52, donnant sur l’intérieur de la parcelle, sera partiellement démoli pour créer une cour intérieure abritée par une verrière ventilée. « Celle-ci permettra d’offrir plus de lumière et de ventilation aux logements. Toujours dans un souci d’amélioration de l’habitabilité des logements, de nouvelles ouvertures vont être créées, de ce même côté Nord, sur la cour arrière en conservant l’alignement et les dimensions de celles existantes », précise l’architecte Marzio Mercandelli de l’agence Archigem, mandataire de l’équipe de maîtrise d’œuvre.
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De même, une terrasse et deux balcons rapportés offriront des espaces extérieurs à usage privatif à quatre logements. Les deux autres n’en bénéficieront pas, compte-tenu des contraintes des bâtiments mitoyens et des limites parcellaires. En revanche, grâce à la cour intérieure et au mur en fond de cour habillé de claustra, ils bénéficieront de la lumière naturelle.
Par ailleurs, tous les appartements seront traversants, une condition imposée par la SPLA-in tout comme celle du réemploi sur l’ensemble des opérations de réhabilitation. Par exemple, les parefeuilles en terre cuite et les moellons issus d’un autre chantier, rue Jean Roque (cf. article sur le sujet), seront réutilisés pour réaliser le claustra de la cour intérieure de l’immeuble rue de la Joliette.
Ces opérations de réhabilitation de bâtiments anciens qui offrent leur lot de mauvaises surprises, apportent des bonnes nouvelles. En l’occurrence, la découverte, sur les immeubles de la rue Joliette, de fondations à 2 mètres de profondeur ont permis d’éviter un confortement des fondations par des injections. « Sachant que dans ce type d’opérations, notre approche est de réutiliser les matériaux existants sans augmenter la descente de charges. Cela a comme avantage de ne pas ajouter des fondations supplémentaires », souligne Marzio Mercandelli.
« Architecture banale »
L’autre opération, visitée le 27 août, concerne un immeuble situé, au 49 rue Clovis Hugues dans le quartier populaire de la Belle-de-Mai. Son architecture est caractéristique du « Trois fenêtres marseillais », un bâtiment propre au centre-ville et reconnaissable à ses trois fenêtres apparentes à chaque étage. Construit entre 1860 et 1970 siècle pour accueillir des ouvriers employés dans les industries et au port, le bâtiment, également racheté à Urbanis aménagement et en état de péril, est typique du petit patrimoine marseillais que la SPLA-in souhaite révéler. Une fois le gros œuvre achevé, le bailleur social Erilia le récupèrera pour réaliser le second œuvre et ensuite les louer.

L’immeuble de la rue Clovis Hugues en cours de travaux. Crédit photo : Christiane Wanaverbecq.
Là encore, pour l’architecte Jean-Marc Chancel associé à l’agence Sébastien Cord (mandataire), « l’enjeu est de retrouver les qualités intrinsèques de ces bâtis à l’architecture banale, voire ordinaire ». « Ces appartements avaient de nombreuses vertus. Hauts de plafonds, traversants, ils comportent des menuiseries extérieures équipées de persiennes, que nous allons conserver. Celles-ci permettent de réguler la lumière tout en protégeant du soleil et favorisant la ventilation naturelle. Il s’agit de garder la meilleure part, voire d’améliorer l’existant », rappelle-t-il.
Ainsi, après sa réhabilitation, l’immeuble de la rue Clovis-Hugues comportera un appartement sur chacun de ses quatre niveaux (soit, 3 T3 et un T2 au dernier étage), au lieu des deux qui occupaient chacun des paliers, et un commerce en rez-de-chaussée. Sur les quatre, seul le T2, situé au dernier étage, sera doté d’une terrasse.
Cinq îlots démonstrateurs
Le projet d’éradication de l’habitat se focalise dans un premier temps sur quatre îlots démonstrateurs et un ensemble d’immeubles dans le diffus du centre-ville ayant en commun leur extrême dégradation. Complète, l’action porte aussi sur les espaces publics.
Les deux opérations de la rue Joliette et de la rue Clovis-Hugues se situent dans le diffus. Ils s’inscrivent dans la concession d’aménagement « multisites » nouée en janvier 2023 par la SPLA-in avec la métropole Aix Marseille Provence. Cela concerne au total 66 immeubles disséminés dans des secteurs à forts enjeux patrimoniaux de l’hyper centre. Ils font partie de l’ensemble des 182 immeubles que la SPLA-in doit acquérir puis réhabiliter.
Au 25 août, elle maîtrise 75 immeubles, sept terrains nus et 36 lots de copropriété dans 8 immeubles. Elle a 5 déclarations d’utilité publique en cours. Celle concernant l’îlot démonstrateur « Hoche-Versailles » est en préparation pour un dépôt en préfecture en octobre prochain (soit 11 immeubles, 63 logements et 10 locaux commerciaux).
« Plats métalliques »
Plus modeste, l’opération n’en est pas moins technique. L’entreprise Novos Bâtisseurs va ainsi mettre en œuvre un procédé de renforcement structurel de poutres existantes par ajout de « plats métalliques » pour renforcer la structure en bois conservée. «La solution consiste à coller et à goujonner simultanément des plats métalliques, rapportés en sous-face de la poutre en bois. Ils apportent la même valeur ajoutée que les structures métalliques en forme de U qu’on a coutume de rapporter sur une poutre pour en augmenter les caractéristiques portantes. L’architecte voulait une solution technique la moins invasive et la plus réversible possible », explique Mathieu Defour, gérant associé de Novos Bâtisseurs.

L’immeuble de la rue Clovis Hugues va retrouver son lustre passé. Crédit : Sébastien Cord.
Ce parti pris d’une intervention respectueuse du bâti n’est pas unique. Elle est la traduction de la philosophie de la SPLA-in. A la chirurgie lourde, son directeur général, Franck Caro, préfère la médecine douce qui préserve « les petites courtoisies quotidiennes des cœurs d’îlot ».
L’agence d’architecture Archigem et celle de Sébastien Cord figurent parmi les six titulaires de l’accord-cadre avec marchés subséquents accordés en 2022 par la SPLA-in. Toutes deux appliquent une autre méthodologie établie par la SPLA-In, associant bioclimatisme, qualité d’usage, végétalisation, restitution des qualités environnementales intrinsèques du bâti ancien marseillais, notamment en vidant les cœurs d’îlots obstrués pour leur redonner leur fonction de ventilation naturelle. Soucieuse d’initier un processus qui doit devenir industriel, la SPLA-in souhaite documenter ces interventions.
Fiche technique
50-52 rue Joliette
Maîtrise d’ouvrage : SPLA-IN AMP et Vilogia
- Maîtrise d’oeuvre : Archigem Sarl (mandataire)
- Entreprise de gros oeuvre : Ekinoxe
- 6 logements sociaux (T3)
Fin des travaux de gros œuvre à l'hiver 2025, livraison à l'automne 2026.
49 rue Clovis Hugues
Maîtrise d’ouvrage : SPLA-in AMP et Erilia
Maîtrise d’œuvre : Sébastien Cord (mandataire).
Entreprise de gros oeuvre : Novos Bâtisseurs
4 logements sociaux (3 T3, 1 T2).
Fin des travaux de gros œuvre au printemps 2026, livraison au printemps 2027.