Après la flambée des prix, la menace de la pénurie

Acier, bois, polystyrène, PVC, polyuréthane… les matières premières utilisées dans la construction subissent le rude contre-coup de la crise sanitaire.

 

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Des hausses qui touchent toutes les filières

Les premiers signaux inquiétants ont concerné l'acier, dès la fin de l'année 2020 : la crise sanitaire commençait à provoquer une flambée des prix et une raréfaction de certains produits. Bois, PVC, polystyrène, verre… Une à une, les autres filières se sont mises à alerter sur ces tensions. D'abord discrètement, puis de plus en plus fort. Jusqu'à ce que la crise éclate au grand jour en janvier-février. Les matières premières entrant dans la composition de produits pour la construction deviennent plus chères et sont, pour certaines, en situation de pénurie. Aujourd'hui, les premiers effets se font sentir en bout de chaîne, sur les chantiers.

Pourquoi la crise ?

Le coupable désigné de ces tensions sur les matières premières, c'est donc la pandémie de Covid-19. Les mesures de confinement liées à la crise sanitaire ont provoqué à la fois un fort ralentissement de l'activité industrielle en Europe et l'effondrement de la demande finale.

Arrêts des hauts-fourneaux. Dans le cas de l'acier, dont les prix ont doublé en un an, les sidérurgistes ont purement et simplement décidé d'arrêter les hauts-fourneaux. « Une dizaine ont été stoppés, ce qui représentait environ 50 % de la production européenne ! Avec le redémarrage économique au printemps 2020, tant que la demande est restée faible, les stocks ont suffi », expliquait, il y a quelques semaines au « Moniteur », Laurent Clisson, dirigeant de la branche acier du groupement de négociants Socoda. Puis, à l'été, la situation s'est rééquilibrée. « A partir de septembre, on a assisté à un retour progressif de la demande tandis que les producteurs faisaient le choix de ne pas redémarrer les hauts-fourneaux, poursuit-il. Les stocks excédentaires se sont épuisés mais la demande a continué à croître, puis s'est envolée à la fin de l'année. Ce décalage entre le manque d'offre et une forte demande a créé des tensions sur les prix que nous négocions de gré à gré, au mois le mois. » L'histoire s'est répétée pour d'autres matières comme le plastique. Là aussi, il faut remonter au printemps dernier et à cet arrêt mondial brutal. « Les plannings de maintenance n'ont pu être assurés chez les producteurs de résine. Quand il a fallu reprendre avec un effet de surchauffe, il y a eu de nombreuses pannes », raconte Elisabeth Charrier, déléguée générale du Syndicat national de l'extrusion plastique (Snep). En plus du Covid, les conditions météo ont contribué à ce déséquilibre. « Une partie des matières premières vient des Etats-Unis. Or, le Texas et la Louisiane ont connu d'importantes perturbations climatiques qui ont mis à l'arrêt la production. Lorsque les usines ont redémarré, elles ont d'abord servi leurs marchés intérieurs, avant l'export, où les taxes sur les échanges ont par ailleurs renchéri les prix des matières premières du plastique. »

Feux de forêt et barrières douanières. Pour le bois, c'est aussi outre-Atlantique qu'il faut chercher l'origine d'une hausse des prix. « D'importants feux de forêt ont touché les Etats-Unis, qui, sous l'administration Trump, ont en outre imposé des barrières douanières avec le Canada qui ralentissent les importations en provenance de ce pays », confirme Bruno Cadudal, président de l'Union des fabricants de menuiseries extérieures (UFME). Attirés par des prix très élevés, les producteurs européens flèchent donc de plus en plus la matière vers l'Amérique du Nord, au détriment des marchés du Vieux Continent. « Dans les Pays de la Loire, où le prix du bois de structure livré chantier était de 200 euros par m3, les fournisseurs américains étaient prêts à l'acheter 700 euros par m3 en prix sortie usine », illustrait-on ainsi récemment à la Fédération française du bâtiment (FFB).

Parallèlement, la Chine s'est réveillée avec un appétit décuplé. D'où des conséquences en cascade : « Nous subissons des hausses sur les matières premières, mais aussi sur le transport. Avec l'augmentation du fret, le prix du container en mer a doublé», indique Roland Tanguy, P-DG de Tanguy Matériaux.

Quelles conséquences ?

L'offre n'arrivant pas à suivre la demande, des situations de pénurie se font jour sur certains produits en acier galvanisé, le PVC, mais aussi les plaques de plâtre et le verre. « La situation est extrêmement critique parce que certains floatiers, qui avaient arrêté leurs fours pendant le premier confinement, ont profité de la situation pour les fermer en Europe de l'Ouest et en monter d'autres en Europe de l'Est. Inévitablement, un début de pénurie se crée sur le marché, alors que nous sommes encore sur les mois les plus faibles d'activité. La situation pourrait devenir difficilement tenable en juin-juillet », note Christophe Vergnaud, DG de Riou Glass. En bout de chaîne, les fournisseurs de matériaux n'auront d'autre choix que de répercuter la hausse des prix.

Le négoce est donc tenu de faire des efforts alors que, paradoxalement, la conjoncture est bonne, souligne Philippe Nantermoz, DG de Legallais. « Depuis le début de l'année, l'ensemble de la distribution bénéficie d'un bon marché avec des ventes qui progressent de 3 à 10 %, mais nous devons faire face à une baisse assez sérieuse de la marge. Le négoce est pris entre deux feux et doit jouer le rôle de tampon. » Et pour absorber le choc, pas d'autre solution que d'augmenter à son tour les prix : « Nous allons être obligés de vendre nos matériaux plus cher car nous sommes confrontés à des marchés mondiaux. L'Asie et les Etats-Unis, plus attractifs que l'Europe, tirent les prix vers le haut. Nous achetons donc aujourd'hui avec beaucoup de délais et nous ne pouvons pas surstocker, car nous sommes contingentés », confirme Roland Tanguy.

Ménager les trésoreries des artisans. Cependant, répercuter ces hausses n'est pas toujours évident, selon Emmanuel Farjaud, directeur de la distribution du groupe Chavigny : « Avec les comptes nationaux, c'est impossible car nous sommes tenus par des contrats. Concernant nos clients artisans, nous devons faire attention à ne pas les fragiliser alors qu'eux-mêmes connaissent parfois des difficultés de trésorerie. Cela demande donc beaucoup d'agilité. »

Comment en sortir ?

Avec de la patience, d'abord. Nombreux sont ceux qui croient à un véritable effet de sortie de crise sanitaire à l'horizon juin-juillet, qui marquerait un quasi-retour à la normale. Mais il est difficile aujourd'hui d'avoir de la visibilité sur une année 2021 qui pourrait finalement ressembler à la précédente. Une situation d'autant plus frustrante que, comme le pointe Roland Tanguy, « même si le niveau d'activité est très bon, nous ne pouvons pas prendre des engagements à très long terme ».

Clauses de révision des prix. Par la négociation des contrats, ensuite. « Nous demandons, à l'instar de la filière, de la souplesse dans l'application des clauses de révision des prix, notamment dans les marchés publics, pour que les entreprises ne se retrouvent pas coincées », évoque Amaury Omnès, président de l'Association française de l'isolation en polystyrène expansé pour le bâtiment (Afipeb). La révision des indices de l'Insee intervenant avec un décalage, ces derniers commencent tout juste à refléter la hausse : le prix du PVC, par exemple, a augmenté de 3,88 % entre décembre et janvier et de 10,22 % sur un an.

Enfin, cette crise pourrait bien mettre sur le devant de la scène les vertus de l'économie circulaire. Jusque-là surtout synonyme de réduction de l'empreinte environnementale, elle pourrait se révéler salutaire dans ce contexte inédit. C'est le cas de la filière PVC. Des entreprises comme Veka, avec son activité recyclage, retraitent les déchets de menuiserie pour les réinjecter à près de 30 % dans les nouveaux profils PVC. « Lancée à l'origine dans un but environnemental, cette démarche présente aujourd'hui un intérêt économique en absorbant pour partie la hausse des matières premières vierges », précise le country manager France du gammiste PVC. Un argument de taille en faveur de l'économie circulaire, qui va de toute façon monter en puissance. Quoi qu'il en coûte.

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