« L’un des principaux effets de la loi [Asap] est de réduire significativement le champ de la participation du public, sans apporter de garantie nouvelle sur la façon dont les avis du public seront pris en compte suite aux consultations électroniques ». Le ton est donné. Consultée sur un projet de décret d’application de la loi du 7 décembre 2020, l’Autorité environnementale (Ae) se montre, dans un avis publié le 2 mars, très critique à l’égard du dispositif réglementaire que l’exécutif a dévoilé récemment et qui vise à simplifier les procédures environnementales pour faciliter la vie des porteurs de projets.
Aucune analyse de faisabilité
En cause plus particulièrement, la réduction de trois à deux mois du délai dont l’Ae dispose pour rendre un avis sur les projets qui lui sont soumis (art. R. 122-7 du Code de l’environnement). « Cette modification ne s’appuie sur aucune analyse de faisabilité ». L’Ae rappelle à cet égard toute l’importance de pouvoir instruire - comme c’est le cas actuellement - les « avis sur site, en présence du ou des maîtres d’ouvrage et d’autres acteurs concernés » et d’une « consultation et délibération collégiales efficaces, éléments essentiels pour assurer que les avis fournissent en toute objectivité une valeur ajoutée substantielle » pour l’ensemble des acteurs.
Et de souligner les difficultés auxquelles sont confrontées les missions régionales d’autorité environnementale (Mrae), qui doivent déjà « rendre leur avis dans le délai court de deux mois, pour des projets en moyenne moins complexes. Certaines Mrae ne rendent des avis que sur moins de 50 % des dossiers quand elles sont saisies », se désole-t-elle.
Nourrir de nouveaux griefs de la Commission européenne
Pour l’Ae, la recherche d’uniformisation des délais voulue par l’exécutif « devrait donc plutôt conduire à retenir un délai commun de trois mois, de manière à permettre également aux Mrae de disposer du temps nécessaire à une instruction de qualité ». Réduire ces délais d’instruction « aura pour conséquence de nourrir de nouveaux griefs de la Commission européenne concernant la transposition de la directive projets [du 13 décembre 2011] et d’affaiblir la position de la France ».
Les projets sur lesquels l’Ae se prononce « présentent le plus souvent des enjeux importants ou sensibles » qui touchent « de multiples compartiments de l’environnement, dont l’instruction requiert, en règle générale, les expertises pointues complémentaires de deux représentants de l’Ae préalables à l’examen collégial des projets d’avis ». A l’instar des lignes 15 Est, 17 et 18 du Grand Paris Express ou des projets aéroportuaires examinés en 2020. « Produire un avis de qualité […] nécessite un temps suffisant d’appropriation des dossiers et des enjeux ».
Ce mois que le gouvernement s’apprête à supprimer est « le plus souvent marginal au regard du temps de maturation et d’élaboration des projets et du temps qui risque d’être perdu, si ces analyses sont incomplètes et insuffisamment exploitées et si les attentes du public n’ont pas été correctement anticipées », alerte l’Ae.
Des réformes à rebours de l’objectif de simplification
Enfin, elle relève que les réformes successives récentes ont conduit « à rebours de l’objectif de simplification affiché, à rendre l’exercice de l’évaluation environnementale significativement plus complexe en particulier pour les maîtres d’ouvrage et de moins en moins lisible pour le public ».
Et « si l’Ae n’est plus en mesure de rendre dans ces nouveaux délais des avis présentant les qualités requises, ce serait une nouvelle source de fragilisation des projets ».
Les propos de l’Ae et les quelque 639 observations qu’a laissées le public sur ce projet de décret pousseront-ils le gouvernement à reprendre son texte ? Rien n’est moins sûr. Mais quelles que soient les dispositions qui seront adoptées, l’Ae le promet : elle « continuera à développer ses analyses et ses recommandations de façon libre, indépendante et transparente » et « s’attachera à permettre au public, au maître d’ouvrage et aux décideurs de disposer d’une information complète et fiable et de garantir de bonnes conditions pour la participation démocratique à l’élaboration des décisions publiques en matière d’environnement ».