Autorisations d’urbanisme Sécurité juridique : ombres et lumières de la réforme

Du point de vue contentieux, la réforme du Code de l’urbanisme, dont le dernier volet est applicable au 1er octobre prochain, peut apparaître ambiguë. Elle renforce la sécurité juridique des bénéficiaires, en précisant les délais de recours et de retrait des décisions. Mais elle suscite de nouvelles questions, notamment sur la confiance accordée par les professionnels aux autorisations tacites.

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Depuis près de deux ans, plusieurs textes d’envergure ont été publiés pour modifier le droit de l’urbanisme, chacun poursuivant plusieurs objectifs particuliers (mobiliser du foncier disponible ; clarifier, simplifier, sécuriser les autorisations ou autres documents d’urbanisme, etc.). A la lumière de ces textes, dont le décret du 5 janvier 2007 constitue la touche presque finale, il est utile d’analyser les avancées importantes, mais aussi les inquiétudes qu’elles peuvent légitimement susciter.

Délais garantis et contentieux limités

Plusieurs mesures nouvelles convergent dans le sens d’une meilleure sécurisation des autorisations et d’une limitation des possibilités de contentieux. Nous citerons les principales, issues tant du dispositif de la loi « Engagement national pour le logement « (ENL) du 13 juillet 2006 que de l’ordonnance du 8 décembre 2005 et de son décret d’application du 5 janvier 2007.

Unification du délai du droit de retrait de l’administration

Alors qu’antérieurement le délai du droit de retrait de l’administration était différent selon que l’autorisation était tacite ou délivrée de manière expresse, il est désormais unifié à 3 mois à compter de la date de l’autorisation. Cela met fin à un traitement discriminatoire injustifié.

Rappelons par ailleurs qu’une décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut plus être désormais retirée.

Clarification du point de départ des délais de recours

Dans le régime ancien, le délai de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme commençait à courir à compter de la plus tardive des dates d’affichage, en mairie ou sur le terrain. De ce fait, la négligence ou la carence de l’administration avait mécaniquement pour effet d’étendre artificiellement le délai de recours des tiers.

Au final, le risque contentieux était accru, le cas extrême étant qu’en l’absence de preuve d’un affichage sur le terrain, le manque, voire le défaut de diligence de la mairie, conduisait à considérer que le délai de recours n’avait jamais couru. On mesure les conséquences juridiques désastreuses d’une telle situation. Le nouveau dispositif fait dorénavant courir le délai de recours contentieux à compter de la date du seul affichage de l’autorisation sur le terrain (article R.600-2 du Code de l’urbanisme).

Les diligences propres à diminuer les cas de recours pèsent désormais exclusivement sur le pétitionnaire. Cela relève d’une certaine cohérence avec les autres dispositifs de la réforme du Code de l’urbanisme : en effet, les décisions tacites, dont la généralisation est consacrée par le décret du 5 janvier 2007 ne sont pas publiées en mairie.

Irrecevabilité des actions à l’issue du délai d’un an

Il s’agit là d’une mesure préconisée par le rapport Pelletier de janvier 2005. A l’expiration d’un délai d’un an à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement, aucune action en annulation du permis de construire, d’aménager ou de non-opposition à déclaration préalable n’est recevable.

Sauf preuve contraire, la date d’achèvement retenue sera celle mentionnée dans la nouvelle déclaration d’achèvement de travaux. Celle-ci aura, de ce fait, un double rôle : attester de l’achèvement et faire courir le délai à l’issue duquel le permis ne pourra être attaqué. Une nouvelle présomption de conformité est donc créée.

Encadrement de l’intérêt à agir des associations

L’un des freins au développement foncier et, partant, à l’offre de logements, reste l’importance du contentieux de l’urbanisme auquel s’ajoute la durée du traitement judiciaire (de 15 à 16 mois devant les tribunaux, de 2 à 3 ans devant les cours d’appel !).

Le législateur a entendu utiliser tous les instruments pour réduire le nombre des contentieux. Ainsi, désormais, une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation des sols que si le dépôt de ses statuts en préfecture est antérieur à l’affichage de la demande du pétitionnaire en mairie.

Cette nouvelle mesure devrait permettre de supprimer des contentieux artificiels, dirigés par des associations constituées uniquement pour contester le projet de construction et dont il est souvent difficile de sonder les réelles intentions.

Plusieurs incertitudesLa généralisation des autorisations tacites

Aux termes de l’article R.424-1 du Code de l’urbanisme, le silence gardé par l’administration à l’expiration du délai d’instruction de droit commun vaut décision de non-opposition à déclaration préalable ou permis de construire, d’aménager ou de démolir tacite. Ce principe est assorti de certaines réserves mais, globalement, il devrait permettre de fluidifier la délivrance des autorisations, du moins pour les projets simples.

Il y a cependant lieu de s’interroger sur la force de ces autorisations tacites lorsque l’on sait que les professionnels rechignent souvent à s’en tenir à de tels documents.

Délais d’instruction impératifs

Pierre angulaire de la réforme, la mise en place des délais d’instructions « impératifs » et l’obligation corrélative pour les services compétents, de notifier au pétitionnaire, dans le mois de la réception de la demande, les pièces manquantes et, le cas échéant, les informations sur l’existence de délais supplémentaires applicables, sont autant de mesures assurant, a priori, une meilleure visibilité et une plus grande prévisibilité en matière d’instruction et de délivrance des autorisations d’urbanisme.

Ces nouvelles mesures doivent être saluées, d’autant que le décret précise clairement qu’à défaut de notification dans le mois, c’est bien les délais de droit commun qui s’appliqueront.

A l’issue de ces délais, le pétitionnaire pourra utilement se prévaloir d’un permis tacite de construire, démolir ou d’aménager ou d’une décision tacite de non-opposition à déclaration préalable.

Néanmoins, ces mesures n’auront de véritable efficacité que si les services agissent effectivement avec diligence. En effet, dans le cas contraire, que se passera-t-il si l’administration refuse de délivrer un permis sur la base d’un dossier devenu incomplet du fait de l’absence ou du retard pris dans la notification des pièces manquantes ? Ou si elle ne notifie pas dans le mois de la réception, l’existence d’un avis ou d’une consultation modifiant le délai de droit commun ?

Le cas des modifications de délai

La lecture stricte du texte du décret conduit à considérer que les modifications de délai ne sont pas applicables donc opposables au pétitionnaire.

Ainsi, de deux choses l’une :

l soit l’administration rejettera la demande sur la base d’un dossier incomplet du fait de ses propres négligences ;

l soit l’administration ne s’opposera pas à la délivrance (semble-t-il tacite) d’une autorisation mais celle-ci sera alors intrinsèquement atteinte d’un vice de forme.

Dans le premier cas, le pétitionnaire n’aura pas d’autres choix que d’engager la responsabilité de l’administration du fait de ce rejet qui ne devrait pas lui être imputé. Dans le second, le pétitionnaire prendra le risque d’une autorisation juridiquement contestable, et donc susceptible d’être mise en cause aisément…

Dans les deux cas, il n’est pas évident que l’objectif de diminution des causes de contentieux et celui de l’accroissement de la sécurité des autorisations d’urbanisme soient atteints.

En effet, en pratique, les éventuels recours contentieux seront certainement plus souvent engagés par les professionnels que par les particuliers et sont incompatibles avec la nature de l’activité immobilière…

Défaut de diligence ou carencede l’administration

Il n’est pas certain qu’en cas de défaut de diligence de l’administration (dépassement du délai de notification des pièces manquantes, retard ou absence dans la notification d’une prorogation ou d’une majoration de délai pour consultation ou avis…) dont les pétitionnaires pourraient se prévaloir en arguant de la délivrance d’une autorisation tacite en leur faveur, ces derniers ne choisissent plutôt, chaque fois que cela est possible, de consolider leur dossier en communiquant les pièces manquantes ou en acceptant les nouveaux délais d’instructions applicables.

En cas de carence de l’administration (manque de notification de pièce manquante ou d’un délai supplémentaire), l’autorisation risque d’être souvent « rendue » tacitement. Il appartiendra au pétitionnaire de se prévaloir des délais initiaux et de demander à l’administration (article R.424-13), la délivrance d’un certificat attestant d’une autorisation tacite ou d’une décision tacite de non-opposition. Encore faut-il permettre au pétitionnaire de s’en prévaloir.

Le décret du 5 janvier 2007 prévoit que le pétitionnaire peut, à sa demande, obtenir un certificat d’autorisation tacite mais le silence gardé pendant plus de 2 mois par l’administration à la suite d’une telle demande vaudra rejet, conformément au droit commun. Et aucune sanction n’est prévue en cas de silence, retard ou refus de l’administration à la suite d’une demande de délivrance d’un tel certificat.

On mesure, en pratique, la difficulté inhérente à ce mécanisme : l’administration, consciente d’avoir été négligente, ne pourra cependant pas « opposer » cette négligence au pétitionnaire et ne pourra rejeter ou retirer la demande, sauf à encourir une action contentieuse.

Cependant, en gardant le silence suite à une demande de certificat d’autorisation tacite, elle pourra aboutir à une solution en pratique équivalente à un rejet ou à un retrait de l’autorisation.

En effet, il pourra être difficile, sinon impossible au pétitionnaire, de faire financer son projet sans document officiel attestant qu’il a bien obtenu l’autorisation de construire ou d’aménager correspondante, même si celle-ci ne devait être que tacite…

En conséquence, ce mécanisme nouveau semble beaucoup plus incitatif que réellement dissuasif ou contraignant pour l’administration.

Enfin, l’autorisation tacite risque, dans certains cas, d’être regardée comme le fruit d’une négligence de l’administration dans le respect des nouvelles règles d’instruction et, en particulier des délais. Ne risque-t-on pas d’y voir une suspicion de principe dès lors qu’un pétitionnaire se prévaudra d’un certificat attestant la délivrance d’une telle autorisation tacite ?

La déclaration de conformité

Le décret du 5 janvier 2007 modifie profondément le mécanisme actuel d’achèvement et de contrôle de conformité des travaux.

Dans le régime actuel, le bénéficiaire d’un permis de construire procède à la déclaration d’achèvement des travaux dans les 30 jours de leur achèvement. Le service instructeur s’assure, s’il y a lieu, de leur conformité par un récolement, obligatoire dans certains cas. Le certificat de conformité est alors délivré dans les 3 mois suivant la réception de la déclaration d’achèvement des travaux.

Ce système n’a pas été jugé satisfaisant et pose en pratique de nombreux problèmes (silence de l’administration, mises en demeure, délivrance de certificats sans contrôles…). La nouvelle procédure modifie les règles, tant dans leur esprit que dans leur fonctionnement.

En effet, si la déclaration d’achèvement des travaux est maintenue, elle est complétée par une déclaration de conformité, éventuellement signée de l’architecte (voir encadré ci-dessus).

La nouvelle action en démolition

En réformant les dispositions propres aux actions en démolition de constructions édifiées conformément à un permis de construire, le législateur a voulu répondre à un louable souci : celui de diminuer les risques, pour un propriétaire, de subir une démolition pour une construction conforme au permis attribué.

Régime antérieur

L’ancien article L.480-13 du Code de l’urbanisme permettait d’engager l’action contre le propriétaire jusqu’à 5 ans après l’achèvement des travaux. En outre, lorsque le juge civil était saisi d’une telle action alors que le permis n’avait pas fait l’objet d’un recours en annulation, il devait préalablement solliciter le juge administratif qui devait ainsi se prononcer sur la validité du permis. Ce mécanisme permettait de cette manière un examen du permis « a posteriori», alors même que le délai de recours administratif des 2 mois était expiré depuis longtemps…

Désormais, une différence est opérée entre l’action engagée contre le propriétaire (action en démolition) et l’action engagée contre le constructeur (action en paiement de dommages-intérêts).

Nouveau régime

Selon le nouvel article L.480-13, l’action en démolition doit être exercée dans les 2 ans à compter de la décision devenue définitive, de la juridiction administrative annulant le permis. Dans cette perspective, le délai initial de 5 ans semble a priori avoir diminué. En réalité, la durée de la prescription de l’action risque fort d’être variable selon la longueur de la procédure en annulation du permis… avec appel ou cassation devant le Conseil d’Etat. En effet, le point de départ de l’action a changé : ce n’est plus l’achèvement qui compte mais la date de la décision administrative définitive annulant le permis. Le problème de la question préalable au juge administratif ne se pose plus. Pour démolir, le juge civil devra se prononcer sur la base d’un permis déjà annulé.

A titre d’exemple, sous l’empire de l’ancienne réglementation, le propriétaire évitait tout risque si rien n’était tenté 5 ans après l’achèvement des travaux. Aujourd’hui, le propriétaire, jusqu’alors serein à l’issue du délai de 5 ans, n’est plus à l’abri de subir une action en démolition au-delà de ce même délai si une procédure d’annulation engagée à l’encontre de son permis passe par tous les degrés de juridiction. Sa tranquillité dépendra pour une large part de la plus ou moins grande célérité avec laquelle les juridictions saisies trancheront le litige lié à l’annulation du permis de construire. D’un régime comportant un délai uniforme, on est passé à un régime comprenant un délai variable et tributaire de plusieurs facteurs.

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