Elles ont beau être en vacances, elles passent leur temps à faire des allers et retours à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Depuis le début des Jeux olympiques, Laure Mériaud et Cécilia Gross, respectivement architectes associées d’Ateliers 2/3/4 et de VenhoevenCS, les agences française et néerlandaise qui ont conçu le Centre aquatique olympique (CAO), ont déjà vu de la natation artistique – «magnifique !» - et du water-polo – «super ambiance».
Elles ont sacrifié à diverses obligations protocolaires, aux incontournables interviews et sont allées profiter de la chaleur, dans tous les sens du terme, du Club France, installé à la Villette. D'ailleurs, elles font défiler sur leur téléphone des photos de la grande maquette du CAO exposée là-bas et faite en – et par - Lego : «nous les avons aidés à affiner les détails pour qu’elle soit plus conforme». Encore avant cela, le 26 juillet, elles avaient vécu un moment déjà fou en portant, ensemble, la flamme olympique jusqu’à leur bâtiment.
Les subtilités des épreuves
Mais ce mardi matin 6 août, c’est plongeon au programme. Une première pour elles. Et pour «Le Moniteur». Pour ces éliminatoires des épreuves masculines du saut à 3 m, on a décroché un ticket. C’est donc l'occasion ou jamais de redécouvrir en compagnie de Laure Mériaud et Cécilia Gross l’équipement qui était en fin de chantier lors de notre dernière visite. Et de découvrir, tout court, cette discipline dont on ne sait quasiment rien. En tout cas, suppose-t-on, sûrement moins que les deux consœurs et complices. On imagine qu’elles ont dû en apprendre beaucoup sur les subtilités des épreuves aquatiques en réalisant ce bâtiment qui sera capable d’accueillir toutes les compétitions possibles.
On retrouve donc l’enceinte dont la silhouette souple en bois, tient la dragée haute au Stade de France, son voisin d’en face, par-delà l’autoroute A1. En réalité, «le CAO est minuscule, il tiendrait à l’intérieur du stade », reconnaît Cécilia Gross avant d’ajouter avec ce qu’il faut de fierté : «mais il n’est jamais ridicule !»

© Marie-Douce Albert/Le Moniteur - Cécilia Gross et Laure Mériaud et - en guest-star - le Stade de France, depuis la coursive du CAO, le 6 août 2024.
C’est assez déroutant, mais le Comité olympique a occulté toutes les baies vitrées.
Ce voisinage glorieux, les architectes avaient choisi de le magnifier. Le centre aquatique a été construit avec d’immenses baies toute largeur dont l’une cadre sur le Stade de France. Justement, à propos de ces flots de lumière naturelle qu’elles avaient jetés sur les bassins… «Alors c’est assez déroutant, mais le Comité olympique a tout occulté», préviennent-elles avant qu’on pénètre sous la grande halle. Et en effet, tout a été bardé de grands stickers aux couleurs de Paris 2024 : les verrières, les balustrades et jusqu’aux parois carrelées.
«Ce n’est pas tout à fait le même bâtiment», constate Laure Mériaud. «Il a l'air plus petit», renchérit Cécilia Gross. Au moins, c’est d’un joli bleu. «Presque du bleu Klein !» En attendant le début des épreuves, marqué par les trois coups rituels des épreuves de natation, on papote donc sur cette signalétique des Jeux, «géniale » avec ces nuances de bleu, rose et violet, «des couleurs vives mais pas criardes». On ne voit peut-être plus le jour, mais on n’a quand même pas l’impression d’être au supermarché en période de foire aux petits prix.
Silence, on plonge
Le temps est venu de s’intéresser au sujet du jour : le nombre de participants (25), le nombre de tours (6 chacun). Laure Mériaud se lance dans des multiplications qui laissent pantois. Et Cécilia Gross, qui a potassé un peu, explique qu'il faut «se taire pendant que les participants plongent. Ensuite, on peut applaudir».
On ne compte pas sur les ambiances délirantes d’autres compétitions, qu’on s’était contenté de partager par petit écran interposé. Quoique… Dès que les deux Français en lice, Jules Bouyer et Gwendal Bisch, s’approchent du bassin, le CAO s’enflamme juste comme il faut. Et nous avec, puisqu’il nous faut bien avouer une petite pointe de chauvinisme. Même Cécilia Gross, qui vit depuis longtemps au Pays-Bas, reste fidèle aux Bleus… De toute façon, il n’y a pas de Néerlandais en lice pendant cette session.
J'ai sauté du plongeoir de 7m les pieds en premier. Et je me suis fait quelques bleus
— Laure Mériaud
J'ai sauté du plongeoir de 7m les pieds en premier. Et je me suis fait quelques bleus
— Laure Mériaud
Avec une régularité quasi hypnotique, les sauts se suivent depuis les plongeoirs souples devenus célèbres depuis le dérapage du plongeur Alexis Jandard, lors de l’inauguration du CAO. Si elles n’ont pas la superbe du grand plongeoir qui s’élève jusqu’à 10 m, ces planches sont vicieuses. Laure Mériaud explique : «elles ont une telle réaction que le risque est grand de retomber dessus.» Comme Alexis Jandard, donc. «En tout cas, nous, on nous a interdit de les essayer », poursuit-elle. Parce qu’elles ont essayé les plongeoirs ? Cécilia Gross acquiesce : «Oui ! J'ai sauté du 5 m. Mais je suis moins courageuse que Laure... » ... Qui s'est élancée du 7 m. «Et encore, les pieds en premier. Et je me suis fait quelques bleus », avoue cette dernière.
Carpés ou groupés, toujours périlleux
Voilà qui n’empêche pas les concurrents du jour d’enchaîner les deux, trois ou quatre - apparemment toujours «et demi» - sauts périlleux, carpés ou groupés. On ne sait pas très bien qui est obligé de faire quoi, ni dans quel ordre. Et quelle peut bien être la différence entre «arrière» et «retourné» ? Et ne parlons pas de la notation. Laure Mériaud tente des pronostics qui font souvent des plats et Cécilia Gross affiche des moues dubitatives. «Pour nous, c’est plus difficile que pour les juges car nous sommes placées sur le côté», se dédouane la première, qui rit de son accès de mauvaise foi.
Avec l’aide d’un article trouvé sur «Libé» par Cécilia Gross et d’une voisine, qui jure pourtant ne rien y connaître non plus, on finit pas comprendre que les ploufs sont sanctionnés. Même à l'issue de vrilles à peine croyables, les compétiteurs sont censés glisser dans l’eau en délicatesse, sans bruit ni éclaboussures.
Au fil des tours, les deux Français grimpent dans le classement en même temps que les décibels augmentent à chacun de leur passage. On se choisit aussi des chouchous personnels, «Yona» l’immense Jamaïcain pour Cécilia Gross et un Allemand qui ne décolle pas des profondeurs du classement pour Laure Mériaud, compatissante : «Lars, ce n’est vraiment pas sa journée !» Car oui, maintenant on appelle les plongeurs par leur prénom. On fait désormais partie du (fan) club.

© Marie-Douce Albert/Le Moniteur - Un saut du Français Jules Bouyer, ça mérite bien une petite vidéo.
Il faut se rendre à l’évidence, personne n’atteint les scores des deux Chinois, Xie Siyi et Wang Zongyuan. Pour eux, le seul enjeu est apparemment de savoir qui sera premier ou deuxième. Pince sans rire, Laure Mériaud estime que les organisateurs «devraient toujours les faire sauter avant les autres. Comme ça on comprendrait tout de suite ce qu’il faut faire.» Les six tours s’achèvent. Wang l’a emporté sur Xie. Jules Bouyer et Gwendal Bisch, avec leur 9e et 13e position, sont aussi qualifiés pour la suite. Quant à Lars, il est bel et bien le 25e et dernier.
Emportées par l'émotion
Nous ne sommes plus du tout dans l’état d'esprit rationnel du temps de la livraison. Nous nous laissons vraiment prendre par l’émotion
— Cécila Gross
On finit par demander aux architectes ce qu'elles pensent de leur piscine, même si on doit bien convenir que la question est stupide et qu’on ne s’attend pas vraiment à une réponse critique. «Nous ne sommes pas objectives mais vraiment, ces moments sont magiques. Nous découvrons le bâtiment de tellement de façons différentes, sourit Cécilia Gross. En tout cas, nous ne sommes plus du tout dans l’état d'esprit rationnel du temps de la livraison. Nous nous laissons vraiment prendre par l’émotion.»
Côté athlètes, les architectes n’ont pas eu de retour depuis les tests qui ont précédé les Jeux. «Ils avaient l’air d’enfants dans un magasin de bonbons», se souvient Cécilia Gross. Laure Mériaud rappelle que La France n’était pas, jusqu’à la création du CAO, dotée d’un équipement qui permette ainsi de s’entraîner à toutes les formes de plongeon. Alors elle en est sûre, «dans quatre ans, nous aurons des médailles françaises.» Mais samedi 10 août, alors que le duo doit revenir pour la finale du saut à 10 m, elles s’attendent plutôt «à entendre l’hymne chinois ».
La matinée s’achève, chacune repart vers ses vacances, très momentanément, interrompues. Sur la coursive qui entoure la halle du CAO, le Jamaïcain Yona Knight-Wisdom est avec ses supporters. Cécilia Gross n’hésite pas : elle lui arrache un selfie. Et un commentaire sur le bâtiment : «il le trouve "amazing" !». Extraordinaire, donc.

© Marie-Douce Albert/Le Moniteur - Cécilia Gross et le plongeur Yona Knight-Wisdom, le selfie immortalisé.