Penser architecture relève du défi dans les zones dites d'activités commerciales et industrielles où règnent le manque d'imagination et la reproduction de formules banales. Pourtant, certains acteurs ont compris que ces lieux gagneraient à être plus finement conçus. Lorsqu'il était architecte-conseil, Bernard Desmoulin avait ainsi pris une habitude : « Je me battais pour que les hangars soient sombres car ils se fondent bien mieux dans le paysage que les clairs. » Mais, nuance-t-il, « il ne faut pas non plus que les architectes les maquillent, je crois à l'esthétique de la nécessité… » Une analyse que partage Boris Menguy, directeur du conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement de Seine-Maritime (CAUE 76). Depuis des années, son équipe sensibilise les entreprises à ces sujets. « Un bâtiment ne doit pas dissimuler sa fonction. Si le paysage d'un territoire doit être en écho avec son économie, les grands volumes industriels ou portuaires qui caractérisent la vallée de la Seine méritent aussi d'être pensés avec soin », estime-t-il.
« Il y a un vrai travail à réaliser pour élaborer un paysage industriel digne d'intérêt et sortir de la confusion. »
Le CAUE 76 examine avec les entreprises le cadre d'implantation, l'organisation des volumes, l'anticipation des capacités d'extension pour éviter les ajouts désastreux, notamment en prêtant attention au positionnement du bâtiment sur la parcelle. « Lorsqu'on nous soumet un projet, il nous arrive de proposer des changements de distribution au sein des locaux pour améliorer son fonctionnement. Son architecture s'en trouve améliorée car elle prend ainsi plus de sens », poursuit Boris Menguy. Le CAUE mène aussi des missions de conseil au long cours comme avec le parc Eco-Normandie, une zone d'activités à Saint-Romain-de-Colbosc, où il accompagne les permis de construire en étudiant l'harmonie des matériaux, des couleurs et la qualité paysagère. Sensible à l'attractivité des espaces industrialo-portuaires, Boris Menguy assure qu'il est possible de considérer la cohérence d'ensemble de volumes spectaculaires (des bâtiments de plusieurs hectares), leur aspect, mais aussi le traitement des édicules qui se greffent autour. « Il y a un vrai travail à réaliser pour créer de l'unité, élaborer un paysage industriel digne d'intérêt et sortir de la confusion », assure-t-il.
Constructions immenses. Pour insérer, en périphérie de Nantes, le gigantesque Marché d'intérêt national (MIN) qui sera inauguré fin avril (lire p. 28), l'architecte Erik Giudice a, lui, choisi d'orienter les volumes perpendiculairement à la voie principale d'accès - afin que les plus grands côtés ne soient pas perçus frontalement - mais aussi de créer des percées visuelles dans la longueur du site. Avec les terres de déblais, des talus paysagers ont été formés afin de masquer les 70 000 m² construits à la vue des habitations les plus proches. Autre construction immense, les réserves du Louvre, livrées l'été prochain à Liévin (Pas-de-Calais) par Rogers Stirk Harbour + Partners avec les paysagistes de Mutabilis, prendront la forme d'un bâtiment paysage de 20 000 m² couvert d'une toiture plantée.
En Ile-de-France enfin, un milliard d'euros sera investi en dix ans pour densifier et rénover le MIN dans le cadre du plan Rungis 2025. L'opération mobilise des architectes comme Nadau-Lavergne, Jean-Michel Wilmotte, Enia ou Croixmariebourdon (lire p. 48) pour concevoir de nouveaux pavillons de vente et des édifices logistiques. « Les besoins ont évolué et se sont diversifiés, avec des entrepôts de grande hauteur ou double face pour le cross-docking, consistant à organiser les flux de marchandises entrants et sortants au sein d'entrepôts dédiés à la logistique du dernier kilomètre, détaille Benoît Juster, directeur exécutif de la Semmaris, société gestionnaire de Rungis. Cela donne l'occasion de créer des architectures différentes. D'autant plus que certaines entreprises y ont aussi leur siège social et veillent donc à l'image de leur bâtiment. »