Dispense des formalités d’urbanisme, reconstruction à l’identique, affranchissement des règles de publicité et de mise en concurrence pour les marchés publics… La Première ministre, Elisabeth Borne, a mis en ligne une circulaire du 5 juillet 2023 visant à faciliter le recours au fonctionnement normal des services publics et des activités économiques après les émeutes intervenues dans certaines zones urbaines fin juin - début juillet.
Rénovations sans reconstruction
S’agissant tout d’abord des réparations et rénovations qui ne nécessitent pas de reconstruction, la circulaire rappelle que les travaux de faible ampleur ou effectués sur des constructions existantes qui n’en affectent pas l’aspect extérieur sont soumis à une simple déclaration et non à une autorisation préalable.
Par ailleurs, sont dispensés de toutes formalités au titre du Code de l’urbanisme :
- les travaux de réalisation d’ouvrages d’infrastructures et leurs accessoires liés au fonctionnement, à l’exploitation ou au maintien de la circulation (art. R. 421-3 du Code de l’urbanisme) ;
- les travaux de ravalement lorsque la structure porteuse du bâtiment n’est pas affectée (art. R. 421-2 m et R. 421-14 c) ;
- l’implantation du mobilier urbain (art. R. 421-2 h).
Reconstruction à l’identique
Ensuite, le texte ajoute qu’il est possible de reconstruire les bâtiments à l’identique (art. L. 111-15 du Code de l’urbanisme) si les conditions suivantes sont réunies :
- destruction inférieure à 10 ans ;
- absence d’opposition du PLU ;
- reconstruction réalisée dans la limite de modifications de faible importance permettant une meilleure intégration ;
- absence d’exposition à un risque ;
- régularité des constructions détruites.
Etant précisé que ce dispositif de reconstruction à l’identique après sinistre ne dispense pas du respect des formalités d’urbanisme exigées (permis de construire, d’aménager, de démolir…). « Il permet principalement de se prémunir contre l'évolution des règles d'urbanisme qui, depuis la réalisation de la construction, peuvent éventuellement s'opposer à sa reconstruction (zone devenue non constructible par exemple) », souligne la circulaire.
En revanche, ce « droit ne dispense que du respect des règles d’urbanisme et non des règles posées par une autre législation » comme les réglementations protectrices du patrimoine ou de l’environnement. Ainsi, lorsqu’aucun avis obligatoire n’est requis (ABF par exemple), « la délivrance de l’autorisation peut alors être effectuée très rapidement », assure le gouvernement, les délais fixés par le Code de l’urbanisme pour l’instruction des dossiers étant des délais maximums. Et si l’Etat lui-même doit émettre un avis sur le projet, la circulaire demande aux préfets de « veiller à la diligence » de leurs services. Dans ce cadre, « il n’est pas nécessaire de vérifier le respect des autres règles de fond d'urbanisme que celles tenant à la sécurité » (art. R. 111-2 du Code de l’urbanisme), ajoute le texte. Elles ne sont pas opposables et ne pourraient justifier un éventuel refus.
Pouvoir de dérogation des préfets
Par ailleurs, le texte rappelle que les préfets, lorsqu’ils sont compétents pour délivrer les autorisations de construire (art. R. 422-2 du Code de l’urbanisme), peuvent « si c’est pertinent », mobiliser leur pouvoir de dérogation, prévu par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020.
Constructions temporaires
Enfin, la Première ministre rappelle que l’article R. 421-5 du Code de l’urbanisme peut être mobilisé pour mettre en place des constructions temporaires, sans autorisation préalable ni respect des règles de fond d’urbanisme. Précisément, ce dispositif vise la construction de logements d’urgence, les classes démontables installées dans les établissements d’enseignement, les constructions nécessaires au maintien des activités économiques ou des équipements existants et celles liées à une manifestation culturelle, commerciale, touristique ou sportive.
Urgence impérieuse
Sur le volet commande publique, la circulaire rappelle l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique (CCP) qui prévoit la possibilité de s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence préalable en raison d’une urgence particulière ou si le respect de ces règles est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ou à un motif d’intérêt général.
La Première ministre s’appuie principalement sur le levier de « l’urgence impérieuse » définie comme résultant de circonstances extérieures que l’acheteur ne pouvait pas prévoir (art. R. 2122-1 du CCP). En outre, il est précisé que cette urgence « doit rendre impossible le déroulement d’une procédure de passation normale, même dans des délais raccourcis ». Le marché doit alors être limité aux seules « prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence. » Dans ces conditions, la circulaire indique que dans le contexte des émeutes, de tels marchés pourraient être passés pour les travaux dont l’objectif est de garantir la sécurité des biens ou des personnes ou de rétablir la continuité du service public. Sont citées en particulier les réparations urgentes d’une partie du bâtiment endommagé ou l’installation de préfabriqués en cas de dégradation totale du bâtiment. Un marché ayant pour objet la reconstruction ou la réparation complète d’un bâtiment endommagé semble donc exclu de cette procédure d’urgence.
Enfin, la circulaire mentionne d’autres leviers pour les travaux qui ne rempliraient pas les conditions de l’urgence impérieuse : la procédure de gré à gré (art. R. 2122-8 du CCP) pour les travaux d’un montant inférieur à 100 000 euros HT ou pour les petits lots inférieurs à ce seuil et à 20 % de la valeur totale des travaux, et la procédure adaptée (art. R. 2123-1 du CCP) pour les marchés de travaux d’un montant compris entre 100 000 euros HT et 5 382 000 euros HT.
Des mesures dérogatoires « exceptionnelles » à venir
Selon Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, ces mesures permettront de « simplifier » la reconstruction de « tout ce qui a été détruit », « sans délai », et « de répondre probablement à 90 % voire 95 % des situations ». Elles devront toutefois être complétées par l’édiction « en urgence » d’une loi pour « lever les derniers verrous juridiques. »
Sans attendre que le gouvernement dégaine un projet de loi, le Sénat a d’ores et déjà déposé une proposition de loi « d’urgence pour la reconstruction des bâtiments et équipements publics endommagés lors des émeutes du mardi 27 juin 2023 et des jours suivants ». Inspirée par les dispositions législatives adoptées après l'incendie de Notre-Dame de Paris ou pour la construction des infrastructures nécessaires aux Jeux olympiques de 2024, le texte, qui serait complété par un décret, entend instaurer « des mesures dérogatoires exceptionnelles », permettant la reconstruction « dans les délais les plus brefs », relève l’exposé des motifs.
Par exemple, en matière de commande publique, les auteurs du texte proposent d'autoriser le gré à gré pour « la réalisation des travaux nécessaires à la réfection et à la reconstruction des bâtiments et des équipements publics affectés par les actes de dégradation et de destruction liés aux évènements de voie publique survenus depuis le 27 juin 2023 », dès lors qu'il s'agit de prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence. Autrement dit, l'urgence impérieuse serait reconnue d'office.