Relancer le mécanisme de compensation des atteintes à la biodiversité par l’offre. Tel est l’objectif de l’article 15 de la loi Industrie verte du 23 octobre 2023 qui a instauré à l’article L. 163-1 A du Code de l’environnement des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation (SNCRR), en remplacement des sites naturels de compensation (SNC). Pour mémoire, les SNC avaient été créés en 2016 par la loi Biodiversité mais ils n’ont pas rencontré le succès escompté (*).
(*) Seuls trois SNC ont été agréés :
- le SNC de Cossure (Bouches-du-Rhône) porté par CDC Biodiversité, est agréé par un arrêté du 24 avril 2020 ;
- le SNC de « Cros du mouton » (Var), également porté par CDC Biodiversité, est agréé par un arrêté du 3 juin 2024 ;
- le SNC de « l’Abbaye de Valmagne », sur les communes de Villeveyrac et Montagnac (Hérault), porté par la société Biotope, est agréé par un arrêté du 4 juillet 2024.
Les SNCRR pourront être utilisés pour répondre aux obligations de compensation écologique des projets mais ils pourront aussi être mobilisés dans le cadre d'engagements volontaires d'entreprises ou de collectivités en matière de restauration ou de renaturation des milieux, « ce qui concourt à une meilleure efficacité écologique et participe d’une démarche de planification écologique dans les territoires », assuraient les services du ministère de la Transition écologique en juin lors de la mise en consultation publique des trois projets de texte (deux décrets et un arrêté) nécessaires à la mise en œuvre du dispositif. Ces derniers ont paru au « Journal officiel » du 23 novembre 2024.
Les préfets de région à la manœuvre
Comme pour les anciens SNC, les SNCRR doivent faire l’objet d’un « agrément préalable ». Le premier décret (n° 2024-1052 du 21 novembre 2024), pris en Conseil d’Etat, confie cette tâche aux préfets de région. Rappelons que l’agrément des SNC était délivré par arrêté ministériel.
Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) doit au préalable donner son avis. Lorsque la décision est susceptible d'affecter des espèces animales ou végétales protégées, c’est le Conseil national de protection de la nature (CNPN) qui doit être consulté.
L’avis doit être rendu dans un délai de deux mois à compter de la saisine du CSRPN ou CNPN. Les dossiers sont instruits par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Le silence du préfet dans les six mois à compter de la réception de la demande vaudra décision d’acceptation.
Proximité fonctionnelle
En outre, le décret modifie l’article R. 163-1 A du Code de l’environnement, « tirant les conséquences de la loi relative à l'industrie verte, concernant la notion de proximité fonctionnelle », précise la notice. Le texte dispose que les mesures de compensation devront respecter « le principe de proximité fonctionnelle » sans pour autant définir cette notion.
A cet égard, le projet de loi de simplification de la vie économique (SVE) adopté en première lecture par le Sénat en octobre prévoit l’adoption d’un nouveau décret en Conseil d’Etat pour préciser « les modalités d’appréciation de la notion de proximité fonctionnelle » (art. 18).
Le projet de loi SVE veut assouplir le cadre légal de la compensation
L'article 18 du texte vise aussi à modifier le dispositif applicable à la compensation (art. L. 163-1 du Code de l’environnement, issu de la loi Biodiversité de 2016 et très récemment modifié par la loi Industrie verte...) pour « donner plus de temps aux porteurs de projets pour la mettre en œuvre, en leur permettant de réaliser des mesures compensatoires après le démarrage des travaux lorsque cela est approprié », indique l’exposé des motifs. Le texte supprime purement et simplement l’obligation de résultat expressément prévue par le Code et introduit une notion peu précise de délai raisonnable.
L’article serait réécrit comme suit : « [Les mesures de compensation] visent à éviter les pertes nettes de biodiversité pendant toute la durée des atteintes, ou, à défaut, lorsque la complexité ou les délais nécessaires à leur mise en œuvre ne le permettent pas, notamment du fait de difficultés à mobiliser du foncier, à compenser les éventuelles pertes nettes intermédiaires dans un délai raisonnable, en visant à terme un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. »
Pertinence des opérations menées
Le contenu de l’agrément est détaillé dans le second décret (n° 2024-1053 du 21 novembre 2024), simple : identité du bénéficiaire, date d’entrée en vigueur et durée de validité de l’agrément, nature du gain écologique visé, solutions envisageables permettant le maintien du bon état écologique du site à l'issue de la période de validité de l'agrément, etc.
L’agrément doit attester « de la pertinence des opérations de restauration écologique, de renaturation ou de développement d'éléments de biodiversité entreprises » sur le SNCRR concerné. Ces opérations peuvent être menées sur un seul site ou « une pluralités de sites » et doivent contribuer « à l’amélioration de l’état écologique du territoire dans lequel le site s’insère ».
La demande d’agrément, de modification ou de transfert doit être déposée par voie dématérialisée, sur un serveur dédié : https://demande-agrement-SNC.developpement-durable.gouv.fr.
Un dossier de demande très dense
Les nombreuses pièces constitutives du dossier sont quant à elles énumérées dans l’arrêté du 21 novembre 2024. Outre son identité, la description synthétique du site, sa localisation, une cartographie du SNCRR envisagé, etc., le pétitionnaire (personne physique ou morale) doit indiquer la durée de validité de l’agrément souhaitée, qui ne peut être inférieure à 30 ans, ainsi que « les raisons l’ayant conduit à retenir cette durée ».
Il doit également joindre tout document permettant d'évaluer ses capacités financières et techniques (et celles de sous-traitants), ainsi que « la description de toute activité passée menée sur le site et, le cas échéant, des modalités de réhabilitation mises en œuvre lors de la cessation de cette activité ». Il peut également proposer de constituer des garanties financières (consignation entre les mains de la CDC, engagement écrit d’une banque…), « afin d'assurer la bonne tenue des atteintes de résultats en matière de gain écologique » (nouvel art. D. 163-13 du Code de l’environnement).
Autre pièce justificative exigée : l’évaluation de la pertinence écologique des opérations menées dans lesSNCRR au regard des critères établis en annexe de l’arrêté (implantation du site, objectifs et actions de restauration, de renaturation et de développement d’éléments de biodiversité, actions d’entretien des gains écologiques et de suivi). Il doit également produire un rapport décrivant notamment la nature du gain écologique visé par les opérations.
Gain écologique attendu
Le législateur a prévu que le « gain écologique attendu » des opérations de compensation, restauration et de renaturation entreprises sur les SNCRR soit mesuré par des unités de compensation, de restauration et de renaturation (UCRR). Ce gain doit être « additionnel à celui obtenu par la mise en œuvre, directement sur le site considéré, d'opérations obligatoires ou qui sont déjà soutenues par des aides publiques » dédiées. Dans ces cas, « le calcul du gain écologique attendu d'un [SNCRR] ne prend pas en compte la part de gain écologique provenant de ces opérations. »
Unités de compensation, de restauration et de renaturation à vendre
Le décret simple définit les conditions d'utilisation de ces UCRR : elles peuvent être commercialisées, dès l’octroi de l’agrément. Elles ne pourront pas être revendues « et ne constitueront pas un marché secondaire », prévenait la note de présentation du projet de texte. Elles ne pourront pas davantage être cédées « de manière fractionnée dans le temps ou en fonction des différents éléments de biodiversité » restaurés, renaturés ou développés.
Concrètement, ces UCRR pourront :
- être vendues sous forme de prestations de services à des maîtres d’ouvrage ayant des obligations de compensation ;
- être vendues à des personnes physiques ou morales souhaitant contribuer à la restauration de la biodiversité de manière volontaire (politique RSE des entreprises, collectivités souhaitant préserver la qualité de leurs espaces naturels, assureurs qui souhaitent contribuer à la diminution des risques naturels…) ;
- être utilisées par le bénéficiaire de l’agrément lui-même pour contribuer à la restauration de la biodiversité de manière volontaire, ou pour répondre à ses propres obligations de compensation le cas échéant.
Attention toutefois, l'acquisition d'UCRR par un maître d'ouvrage « ne préjuge pas de l'appréciation de leur suffisance par l'autorité administrative compétente au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité ». Par ailleurs, une UCRR « qui a été utilisée, en tout ou partie de ses fonctionnalités, au titre de la compensation des atteintes à la biodiversité ne peut plus constituer une contribution au rétablissement de la biodiversité pour une autre raison. »
Enfin, le décret prévoit également les modalités de fonctionnement et de suivi des SNCRR, ainsi que les modalités de modification, de retrait et de transfert de l’agrément.