Nouvelle déception pour les architectes devant le juge administratif. En l'espèce, un marché de conception-réalisation ayant pour objet la reconstruction partielle d’une église communale et sa rénovation énergétique avait été attribué à un groupement de sociétés. Ce ne sont pas des candidats évincés, mais deux syndicats d’architectes qui ont saisi le tribunal administratif de Melun d'un recours tendant à l'annulation du marché et de la délibération approuvant son attribution. Le TA ayant résilié le contrat, la commune a saisi la CAA de Paris.
L’intérêt du syndicat à contester la validité du marché
La CAA rappelle, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat dite "Tarn-et-Garonne" (CE, ass., 4 avril 2014, n°358994, publié au Recueil), que les tiers à un contrat peuvent exercer un recours de pleine juridiction contestant la validité de celui-ci, lorsqu’ils sont susceptibles d'être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses contractuelles.
Pour mémoire, selon l'article 7 de la loi MOP du 12 juillet 1985 applicable au litige (et aujourd'hui repris au sein du Code de la commande publique) : "Pour la réalisation d'un ouvrage, la mission de maîtrise d'œuvre est distincte de celle d'entrepreneur". L'article 18 de la même loi permet cependant de confier à un groupement "une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux" pour des motifs d'ordre technique ou d'engagement contractuel sur un niveau d'amélioration de l'efficacité énergétique.
Ainsi à première vue, le marché de conception-réalisation serait susceptible de léser les intérêts des architectes, privés de la possibilité de candidater directement pour la mission de maîtrise d'œuvre. Mais qu’en est-il de l'intérêt à agir des syndicats d'architectes d'architectes eux-mêmes ?
La CAA de Paris juge ici que "la seule passation [...] d'un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l'établissement d'études et l'exécution de travauxne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ont la charge le Syndicat de l’architecture et le Syndicat Patrimoine et Architecture”. Elle annule donc le jugement du TA.
Les termes sont clairs, l'intérêt collectif de la profession d’architecte dont les syndicats assurent la défense ne leur permet pas de contester la procédure de passation du contrat, et bien plus encore ne leur permet pas de se substituer à leurs membres. Pour reprendre les termes du rapporteur public Gilles Pellissier en 2020 (CE,3 juin 2020, "Département de la Loire-Atlantique", n°426932) les organismes professionnels défendant les droits de leurs membres ne peuvent pas se faire “le gardien du respect de ces droits à l'occasion de la conclusion de tout contrat”.
Un arrêt dans la lignée de la jurisprudence antérieure
Cette décision de la CAA s’inscrit en effet dans la continuité de trois arrêts du Conseil d’État du 3 juin 2020, par lesquels la Haute juridiction avait refusé l'intérêt à agir de l’Ordre des architectes en contestation de trois marchés de conception-réalisation portant sur des collèges... faute de lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs dont il a la charge.