Le 15 mars dernier fut l’occasion pour le Conseil d’État d’étayer sa jurisprudence relative au secret des affaires. Parmi les trois décisions rendues, l’une confrontait ledit secret au droit à la communication des documents administratifs, permettant aux magistrats de préciser la marche à suivre en matière de passation d’un contrat de la commande publique.
Attention à l’occultation excessive d’éléments du rapport d’analyse des offres
Une Ville avait attribué à une société une concession de services relative à des mobiliers urbains publicitaires. L’ex-titulaire du contrat, qui avait candidaté infructueusement à la nouvelle procédure de passation, a formé un recours en contestation de validité du contrat (dit "recours Tarn-et-Garonne" [1]). Était dans ce cadre demandée à la Ville la communication de l’offre finale détaillée de l’attributaire, du rapport d’analyse des offres avant et après négociations ou encore des échanges avec l’attributaire lors de cette phase.
La mairie, qui avait transmis une partie des documents demandés dont certains occultés en raison de la protection du secret des affaires, s’est vue condamnée par le tribunal administratif de Paris. Pour la juridiction administrative, tous les documents devaient être communiqués, et le rapport d’analyse des offres dans une version moins caviardée.
Saisi d'un pourvoi, le Conseil d’État estime dans un premier temps - tout comme les juges de première instance - que les éléments occultés du rapport d’analyse des offres, qui étaient relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l'égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations, mais qui ne mentionnaient ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ne relevait pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou de la stratégie commerciale de l'entreprise, et étaient par conséquent communicables. Sont notamment pointés les éléments relatifs au modèle, aux dimensions, à la qualité, ou à l’esthétique.
Les échanges entre candidat et maître d’ouvrage pendant la négociation protégés
La Haute juridiction diverge en revanche dans un second temps du tribunal administratif, et c'est là tout l'intérêt de son arrêt. En effet, elle avait déjà commencé à développer une jurisprudence fournie sur les documents communicables ou non (2), et la complète ici en matière de communicabilité des éléments relatifs à la phase de négociation.
Lesdits éléments concernaient en l'espèce les possibilités commerciales de l’entreprise, son chiffre d’affaires hypothétique, les modalités de financement ou encore des mesures prises en faveur de l’environnement. Comme le relevait le rapporteur public dans ses conclusions sur l’affaire, dévoiler les réponses de l’attributaire en phase de négociation, qu’elles soient positives ou négatives, aurait été de nature à divulguer une part des informations d’affaires de l’entreprise, et donc des informations couvertes par le secret.
Le Conseil d'Etat énonce donc que c’est à tort que les juges du fond ont regardé ces éléments comme étant communicables, alors que « les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 [du Code des relations entre le public et l'administration] et ne sont, par suite, pas communicables. »
CE, 15 mars 2023, n° 465171, mentionné aux tables du recueil Lebon
(1) CE. Ass, 4 avril 2014, "Département du Tarn-et-Garonne", n° 358994, Rec.
(2)CE, 30 mars 2016, "Centre hospitalier de Perpignan c\ Bureau européen d’assurance hospitalière", n° 375529, Rec. ; CE, 28 septembre 2016, "Société Armor Développement et autres", n° 390760, Tables ; CE, 27 mars 2020, "Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry et Mme D...", n° 426623, Rec.