Les promoteurs immobiliers contraints de supprimer des emplois pour réduire leur masse salariale afin de traverser la crise perdent aussi des compétences, qu’il sera difficile de retrouver. C’était l’avertissement de Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), au début de la tempête qu’ils subissent depuis trois ans.
En cause : la crise de la demande de logements, qui est venue s’ajouter à celle de bureaux, post-Covid. A l’échelle nationale, le volume de réservations a chuté d’environ 50% depuis le troisième trimestre 2022, marqué par le début de la rapide hausse des taux d’intérêt qui a refroidi les clients institutionnels et désolvabilisé les particuliers.
La « casse sociale » annoncée par certains professionnels a-t-elle eu lieu ? Du 31 décembre 2022 au 31 décembre dernier, la profession est passée de 31 000 à 27 500 actifs, selon la FPI. Soit une baisse de 11% sur deux ans, en décalage avec les chiffres de la plupart des promoteurs qui communiquent sur le sujet.
Licenciements en hausse, sans plan social
Obligés de détailler leur politique RH dans un document d’enregistrement universel (DEU) publié une fois par an à destination des investisseurs, les promoteurs cotés sont quasiment tous touchés par cette tendance baissière en matière d’emploi.
En excluant sa filiale d’exploitation de résidences étudiantes NéoRésid, dont le nombre de salariés est passé de 29 à 28 entre fin 2022 et fin 2024, les effectifs de Kaufman & Broad ont décru de 18% sur la même période.
« Le contexte économique du logement neuf et la baisse d’activité qui en a résulté a conduit à une adaptation des effectifs du groupe : non-remplacement des démissions et des départs réalisés dans le cadre de licenciements pour motif personnel ou de ruptures conventionnelles, et mise en œuvre du congé de mobilité négocié avec les partenaires sociaux dans l’accord de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences en date du 19 juin 2023 », explique le groupe aux investisseurs, dans son dernier DEU.
Du développement foncier au service technique & SAV, tous les métiers sont visés, à l’exception des fonctions supports « centrales », c’est-à-dire basées au siège à Courbevoie (Hauts-de-Seine). De leur côté, les fonctions supports « régionales » ont largement contribué à la réduction de la masse salariale, avec 34 postes supprimés. A noter enfin une forte hausse des licenciements, au nombre de 31 en 2023 et de 28 l’an dernier. Il y en avait eu seulement 5 en 2022.
Rien qu’en 2024, le numéro un français Nexity a licencié 237 personnes dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), le plus important du secteur. Sur le périmètre de son unité économique et social (UES) qui regroupe des entités de promotion et construction, l’évolution des effectifs affiche -16% par rapport à 2023, pour tomber à 2 519 salariés. Son chiffre d’affaires global (CA) a, lui, reculé de 13%.
Le numéro deux Altarea, dont le CA 2024 a progressé de 1% sur un an, ne communique qu’à l’échelle du groupe qui inclut d’autres métiers, comme l’exploitation de résidences seniors et la gestion de fonds immobiliers. Fin 2024, son contingent de CDI et CDD affichait -8% par rapport à 2023. Chez les alternants : -11%.
Chez Icade, filiale de la Caisse des dépôts, deux métiers cohabitent. La promotion a perdu près de 200 postes en deux ans de crise de la demande de logements, tandis que la foncière, fragilisée depuis 2020 par la crise de la demande de bureaux, en a gagné une quinzaine. Fin 2024, elle comptait 406 salariés. Icade Promotion : 616. La baisse des effectifs de 9% au sein du 4e promoteur français entre fin 2023 et fin 2024 s’explique par la fin des contrats d’alternants, représentant 19 équivalents temps plein (ETP), ainsi que la cession de son activité de promotion dans l’immobilier de santé. Cette opération a entraîné le départ de 45 personnes, dont certaines sont restées dans le groupe, via le levier de la mobilité interne.
Citons aussi Réalités, placé en redressement judiciaire en février dernier. Diversifié dans l’exploitation de résidences gérées mais aussi la restauration, la santé ou encore le sponsoring sportif, le groupe coté a multiplié les vagues de suppressions de postes et les ventes de filiales éloignées de son cœur de métier pour renflouer ses caisses. En deux ans et demi, le 19e promoteur français (en 2023) est passé de plus de 1000 salariés, dédiés à la promotion et d’autres activités, à moins d’une centaine.
Parmi les promoteurs cotés, seul Bassac navigue à contre-courant. En 2024, le 7e promoteur national a créé 37 postes au sein de ses filiales françaises, Les Nouveaux Constructeurs et Marignan. Tourné historiquement vers les particuliers, l’opérateur national a actionné le levier de la vente en bloc pour écouler son stock de logements, comme d’autres acteurs nationaux qui n’ont pas mené la même politique RH, à l’image des filiales de promotion immobilière des majors.
Chiffre d’affaires divisé par deux
Les effectifs de Bouygues Immobilier ont en effet fondu ces deux dernières années : -12% en 2023, -17% en 2024. Le 3e promoteur français comptait 1119 ETP au 31 décembre dernier. La crise de la demande de logements n’explique pas tout. Certes le CA 2024 du 3e promoteur national était issu à 99% du résidentiel, mais celui-ci a été divisé par deux depuis 2019...
Chez Linkcity, filiale de Bouygues Construction, les effectifs affichent également des baisses à deux chiffres : -18% en 2023 et -10% en 2024. Ce spécialiste de la vente en bloc communique 220 ETP au 31 décembre dernier.
Ils continuent de recruter, mais de moins en moins
Si l’objectif est de réduire leur masse salariale, les promoteurs continuent de recruter malgré la crise. En 2024, Altarea a embauché « 157 nouveaux talents » en CDI. C’est 46 recrutements pérennes en moins par rapport à 2023 et 168 par rapport à 2022. Le groupe ne dit pas s’ils ont rejoint ses filiales de promotion, sa foncière commerciale ou ses « nouveaux métiers », notamment dans le photovoltaïque, censées stimuler la croissance de demain.
Autre exemple : Kaufman & Broad communique 75 recrutements pour une durée indéterminée en 2024, soit 33 en moins par rapport à 2023. Sur la seule année dernière, Kaufman & Broad dit en outre avoir contribué à l’insertion des jeunes, avec « 49 embauches en apprentissage ou contrat de professionnalisation, permettant au groupe d’atteindre 9,7% de son effectif en alternance, soit plus du double de l’objectif initial (4%) ».
De son côté, l’opérateur généraliste Vinci Immobilier a été le premier promoteur national à avoir annoncé un plan social, en janvier 2024. « La décision a été prise très tôt à regret, car nous avions la conviction que les volumes de réservations de logements seraient plus faibles durablement, et que le bureau ne repartirait pas dans des volumes aussi importants qu’avant la crise », confiait sa dirigeante Virginie Leroy, dans un entretien exclusif en mai dernier.
Au total, plus de 120 personnes ont quitté le navire à l’été 2024. En excluant ses filiales d’exploitation de résidences gérées et son activité de promotion en Pologne, le 5e promoteur français compte désormais 550 salariés dédiés à la production de programmes immobiliers et la reconversion de friches, un de ses axes de développement.
La décrue est importante également chez un autre généraliste : Eiffage Immobilier. Le 10e promoteur français, lui aussi issu d’une major internationale, est passé en deux ans de 390 à 300 ETP.
Citons enfin Adim, filiale de Vinci Construction. Le deuxième promoteur de France dans la catégorie tertiaire a vu son CA 2024 progresser de 4% sur un an (après -15% en 2023), mais a continué à légèrement réduire ses effectifs (-3%), pour tomber à 199 ETP. Fin 2022, il en comptait dix de plus.
2025, troisième année de baisse des effectifs
Les déclarations au « Moniteur » d’acteurs non cotés indiquent également une forte décroissance des effectifs dans la profession.
Présent en Ile-de-France et sur la Côte d’Azur, Emerige est passé de 217 à 160 ETP. Rien que l’an dernier, le 15e opérateur français a vu ses effectifs baisser de 20%. Idem chez Quartus, qui ne compte plus que 207 ETP. Le 17e promoteur national en déclarait 280 au 31 décembre 2022.
Contrairement à ce qu’anticipaient Nexity et Altarea jusque la fin d’année dernière, 2025 ne marquera pas le début du rebond, qui aurait été tiré par des accédants de nouveau solvables, mais sera plutôt une année moins pire que 2024 en termes de ventes.
Primo : les taux d’intérêt qui font la pluie et le beau temps du secteur ne baissent plus à cause principalement de la situation budgétaire de la France. Les prévisionnistes, de BPCE notamment, parlent désormais d’une stabilisation du coût moyen d’un crédit immobilier, au-dessus de 3% sur 25 ans. De quoi refroidir les ménages privés de prêt à taux zéro (PTZ), principal levier qui stimule encore un peu les achats dans le neuf.
Secundo : le non-remplacement du dispositif Pinel pèse sur de nombreux acteurs qui en dépendaient. C’est le cas de l’opérateur national Edouard Denis. Un gros tiers de ses 320 salariés est invité d’ici l’an prochain à quitter cette filiale de Nexity, tournée historiquement vers les investisseurs locatifs. D’autres réorganisations sont en cours. Chez Vinci Immobilier par exemple, 35 postes sont menacés au sein de sa filiale de promotion Urbat, soit un tiers des effectifs de mai dernier.
Hors top 20, le généraliste Lamotte prévoit de supprimer 7 ETP cette année, pour arriver à 230 salariés, après les 29 suppressions survenues en 2024 malgré un chiffre d’affaires en hausse de 10% sur un an. Enfin, WO2 compte lui aussi s’adapter au nouveau marché. Ce spécialiste de l’immobilier tertiaire pense finir l’année en cours avec 5 ETP en moins, alors que ses effectifs (25 salariés) étaient stables depuis 2023.