A l'embouchure du petit fleuve - le Couesnon - qui irrigue le Mont Saint-Michel, un barrage peu ordinaire a été inauguré en juin dernier. Cet ouvrage d'art qui fait face au célèbre monument monastique contribuera à lui rendre son caractère insulaire au moment des marées de forte amplitude. La baie présente ici une configuration en entonnoir qui induit un phénomène naturel et inexorable d'ensablement mais ce que la main de l'homme a accéléré est réversible. Le Couesnon participe avec la Sée et la Sélune au fonctionnement hydraulique de la baie du Mont-Saint-Michel. Les trois cours d'eau chassent vers le large les sédiments apportés par les marées, ces derniers étant à l'origine de polders. Le XIXe a été marqué par la construction d'une digue d'accès et la canalisation du Couesnon pour ralentir l'érosion des rivages. En 1970, un barrage y sera édifié. Ces divers aménagements accélérant l'envasement du site, les pouvoirs publics ont lancé en 1995 un grand projet de rétablissement du caractère maritime du lieu. Ils ont prévu de remplacer la digue d'accès par un viaduc sur pilotis et de modifier le barrage du Couesnon pour qu'il puisse à nouveau faire office de chasse tout en servant de passerelle publique. Le principe est simple : le barrage laisse les eaux des marées hautes remonter le Couesnon pour les retenir quand elles redescendent et les relâcher progressivement au reflux en créant en aval un fort courant susceptible d'entraîner les sédiments au large. Avec la livraison du nouveau barrage, l'entreprise est encore à mi-parcours et devrait s'achever en 2015. L'objectif est de permettre au Mont, d'ici une vingtaine d'années, d'être entouré d'eau 150 jours par an, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. Dans un registre équivalent, on pense au projet Mose visant à protéger Venise des inondations avec des écluses amovibles.
Françoise Arnold a fait de la construction du barrage du Couesnon le cœur d'un documentaire à caractère méditatif. Dans les sables du dragon restitue trois ans de chantier de cette machine hydraulique qui, désormais, se met en branle régulièrement pour ouvrir huit écluses aux courbes d'inox. « Du haut de l'abbaye, l'archange Saint-Michel et son dragon contemplent depuis un millénaire les hommes qui se succèdent dans la baie. Tantôt, leurs actions contribuent à ensabler la baie, en construisant une digue. Tantôt, comme aujourd'hui, ils cherchent à la désensabler en fabriquant un barrage. Hier comme aujourd'hui, avons-nous besoin de tout cela ? Jusqu'où pourrons-nous remodeler notre planète ? » Ce texte de couverture résume la posture de la réalisatrice qui se met volontiers en scène pour faire réagir ses interlocuteurs sur les enjeux de cette aventure expérimentale largemernt financée par l'Europe. Ce projet répond-il vraiment à une obligation morale, ou seulement à une forte pression touristique ? Le clin d'œil fait aux questions d'urgence écologique et de décroissance sert la qualité de l'enquête qui nous est donnée de voir : la nature des entretiens - avec l'architecte Luc Weizman, l'ingénieur Denis Carlier, le moine Frère François mais aussi le paysagiste Gilles Clément et l'ingénieur Thierry Cabirol - rend le propos vivant et témoigne de la créativité dont continue de faire preuve notre époque pour la préservation du passé, si inquiète soit-elle de l'avenir.
