Des chantiers plus sûrs grâce au digital

Prévention -

Start-up et entreprises du BTP mettent les innovations numériques au service de la santé et de la sécurité. Mais leur utilisation doit être encadrée, et toutes n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Bouygues Construction fait tester ses nouveaux matériels en laboratoire par des salariés, afin de mesurer la charge de la tâche via des outils de posture et d’effort. Ici la solution Captiv-Neurolab, développée par TEA.

Ça bouge, ça fourmille d'idées ! observe Vincent Giraudeaux, président de la Fédération des acteurs de la prévention (FAP). Drones, capteurs, applications smartphone… Les solutions numériques se multiplient sur les chantiers du BTP pour former les compagnons, repérer les risques professionnels et les réduire, voire les supprimer.

En effet, depuis quelques années, la baisse de la sinistralité dans le secteur ralentit. Ainsi, d'après les chiffres de l'Assurance maladie-risques professionnels, le nombre d'accidents du travail dans le BTP avait même augmenté de 1,9 % entre 2017 et 2018, avant d'accuser un modeste repli de 0,3 % au titre de l'année 2019. Et le recul de 12,8 % constaté entre 2019 et 2020 s'explique par la baisse de l'activité des entreprises liée à la crise sanitaire. Or, aux yeux de Paul Duphil, secrétaire général de l'OPPBTP, « l'innovation technique constitue le premier facteur d'amélioration des conditions et de travail ».

Parfaire la prévention. Côté formation, les simulateurs - casques, lunettes de réalité virtuelle ou encore cabines, à l'image de celles de pilotage d'avion - s'invitent de plus en plus souvent dans les modules. Au-delà de leur intérêt pédagogique, ces outils, qui reconstituent des situations à risques et d'accidents, peuvent aussi parfaire un dispositif de prévention avant la réalisation des travaux. « Nous pouvons ainsi faire “jouer” un salarié en amont des chantiers pour s'assurer que nous avons pensé à tout », illustre Maude Demenois, ergonome et cheffe de projet R & D santé sécurité chez Bouygues Construction.

S'agissant de la prévention sur le terrain, l'utilisation de la vidéo se répand. Philippe Robart, directeur technique de l'OPPBTP, évoque le cas d'une entreprise de couverture que l'organisme a accompagnée. Pour réaliser les métrés sur la toiture en amont de son intervention, elle utilise désormais un drone produisant des prises de vue qui sont ensuite traduites en maquette 3D via un logiciel dédié. De quoi supprimer le risque de chute de hauteur et le risque électrique en évitant d'envoyer un salarié en repérage. A noter qu'une formation de télépilote est requise pour utiliser ce type de matériel. A la clé également, des métrés plus précis, un gain de temps et une économie globale de 23 000 euros sur trois ans.

Certaines start-up proposent par ailleurs d'équiper les caméras déjà installées sur les chantiers de dispositifs faisant appel à l'intelligence artificielle. L'idée est de repérer les situations à risque (absence du port du casque, presque accident…), pour alerter le salarié concerné ou son manager, ou encore réaliser une analyse globale a posteriori. « Le préventeur doit examiner la masse globale de données pour hiérarchiser les situations à risque selon leur récurrence et leur gravité potentielle : le digital peut l'aider à le faire », développe Olivier Stienne, directeur prévention et lean management chez Rabot Dutilleul Construction, qui teste actuellement une application permettant d'analyser les données générées lors des audits de terrain.

Au sein de Bouygues Construction, en laboratoire, des outils de posture et d'effort sont placés sur les salariés pour mesurer la charge d'une tâche réalisée avec un nouveau matériel. Autre exemple : « Les outils posés sur les machines pour éviter les collisions engins-piétons sont aujourd'hui très utilisés, avant tout par les majors », rapporte Vincent Giraudeaux.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 29592_1730509_k5_k1_3977200.jpg PHOTO - 29592_1730509_k5_k1_3977200.jpg

Projet de bras bionique. Il est également question de capteurs sur le gant bionique Ironhand qu'ont lancé en partenariat la branche infrastructures d'Eiffage et la start-up suédoise Bioservo Technologies AB. Déployé sur les chantiers depuis 2019, ce système robotique souple d'assistance physique doit prévenir les troubles musculo- squelettiques (TMS) causés par des tâches répétitives ou intenses. « Placés à l'extrémité des doigts, les capteurs enregistrent en permanence leurs mouvements, et des tendons artificiels sont positionnés le long des doigts, connectés à cinq moteurs placés dans un sac à dos », décrit Erick Lemonnier, directeur prévention sécurité. Et d'ajouter : « Dans le cadre de tests effectués en situation réelle de travail auprès notamment de monteurs, soudeurs ou encore chaudronniers, nous avons mesuré une réduction ou compensation de 25 à 82 % des efforts selon les tâches. » L'entreprise et la jeune pousse travaillent actuellement sur un projet de bras bionique baptisé Ironarm, qui doit réduire l'impact des efforts du bras complet.

Quant au port de charges lourdes, principal facteur de pénibilité dans le secteur, aucun exosquelette ne permet pour le moment d'en atténuer l'effort. Les équipements de ce type, de plus en plus utilisés dans l'industrie, ne semblent pas forcément adaptés au travail sur chantier, « où les salariés ne font pas toujours exactement le même geste », souligne Jean-Christophe Blaise, responsable du laboratoire sécurité des machines et des automatismes à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Par ailleurs, gare au risque d'effets pervers de certaines innovations technologiques en matière de prévention.

« Avec les exosquelettes ou les robots, on soulage de tâches répétitives, mais on génère une exposition à un risque mécanique. On peut par exemple ajouter une nouvelle contrainte musculaire : les bras travaillent moins, mais s'ensuit un report sur les jambes », alerte l'expert.

Supprimer un risque mais en ajouter un autre, voilà le danger potentiel du recours à certaines innovations. En matière d'EPI connectés, Patrice Marchal, ingénieur à l'INRS, met en garde sur un point : l'élément ajouté ne doit pas dégrader la protection initiale. Concernant par exemple les chaussures ou les lunettes munies de capteurs, l'équipement, bien que certifié avant d'être augmenté, « doit de nouveau être testé dans sa globalité ».

Mesurer la charge mentale. Autre point de vigilance : éviter d'ajouter une charge cognitive pour le salarié. C'est ce à quoi veille Bouygues Construction dans le cadre d'une expérimentation actuellement menée sur des grues conduites à distance. L'outil évalue la charge mentale du grutier et des conducteurs d'engins à l'aide notamment d'électro -encéphalogrammes et d'électrocardiogrammes, dans le but d'optimiser les informations données aux salariés en temps réel.

Par ailleurs, comme le fait remarquer Jean-Christophe Blaise, « les sirènes du marketing fonctionnent : il faut en être, acheter les technologies. Mais attention, comme c'est “tout nouveau, tout beau”, il y a moins de méfiance et peu d'analyse du besoin. » Il observe d'ailleurs que « les préventeurs sont souvent le dernier maillon de la chaîne et consultés en fin de course ». Bouygues Construction s'en défend. « Tous les besoins sont définis par les directions santé et sécurité au travail du groupe et nous nous assurons que la R & D apporte les meilleures réponses innovantes », insiste Maude Demenois. Chez Rabot Dutilleul, Olivier Stienne regrette pour sa part d'être « souvent contacté par des start-up qui essayent de nous vendre un produit sur étagère ». En bon préventeur, il dit « partir du problème et l'analyser. Dans certains cas, la tech permet de le résoudre, mais pas toujours. » Le recours aux innovations digitales peut d'autre part être entravé par des freins financiers : les ETI et PME semblent ainsi attendre que les majors se lancent, financent la R & D, et que soient générées des économies d'échelle.

« Allers-retours en laboratoire ». Quant aux salariés, « ils sont très disposés à tester. Il est plus difficile en revanche de passer de la R & D à la solution pérenne », relève Maude Demenois. « Dès que nous lançons une recherche, nous travaillons en itératif. Autrement dit, nous testons très rapidement les premiers prototypes sur le terrain, puis nous faisons des allers-retours en laboratoire. Ce qui nous permet de développer rapidement la solution », précise de son côté Erick Lemonnier.

A l'OPPBTP, Philippe Robart définit les conditions d'une stratégie efficace : « Notre leitmotiv est la prévention intégrée, c'est-à-dire en amont. Le digital et la tech y participent. Néanmoins, la démarche de prévention ne fonctionnera qu'à condition de continuer de travailler, en parallèle, sur la qualification et la formation des salariés. » Et de conclure : « Si on livre des outils digitaux performants dans une organisation du travail qui n'est pas satisfaisante, on ne fera pas forcément mieux. »

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires