A quelque chose malheur est bon. Cette devise sied parfaitement à la carbonatation. Ce phénomène naturel est, en effet, d’abord connu pour les pathologies qu’il provoque sur le béton armé : le CO2 de l’air se diffuse dans le béton, abaissant le pH et provoquant le gonflement des armatures, puis l’éclatement du béton. Mais il est moins connu pour son impact bénéfique sur l’environnement : par les mêmes mécanismes, le béton piège une partie du CO2 émis lors de la fabrication du clinker qui le constitue (une tonne de ciment CEM I rejette environ 800 kg de CO2, 60 % provenant de la « décarbonatation » du calcaire pour produire la chaux, 40 % étant issus de la combustion pour la cuisson dans le four).
Ce piège à CO2 est actif tant que le béton est exposé à l’air. « Pendant la phase de service du béton, des éléments peu massifs, comme des voiles en béton peuvent fixer, après carbonatation de la zone d’enrobage des armatures, de 10 à 15 % du CO2 émis pour leur fabrication », précise Mickaël Thiéry, chercheur à l’Ifsttar et membre de l’équipe du projet Carbonated recycled aggregates for concrete (Crac) qui, de 2009 à 2013, s’est employé à mieux appréhender la carbonatation sur les gravats de démolition. Car une fois démolis, les gravats de béton continuent à absorber le CO2. Mieux, la surface de contact étant démultipliée, le phénomène s’accélère ! « Nous avons, dans un premier temps, mené des tests très pointus en laboratoire pour mieux comprendre comment la carbonatation diffuse au cœur d’un mélange de grains de pâte de ciment représentant des granulats de béton recyclé, explique Mickaël Thiéry. Les résultats ont été extrapolés par modélisation à l’échelle des granulats. Pour validation, nous avons expérimenté en vraie grandeur l’avancée de la carbonatation d’un tas de gravats issu de la démolition d’un béton âgé. » Dix colonnes creuses en plastique ont ainsi été remplies de granulats de béton de différentes tailles sur le site du Laboratoire régional des ponts et chaussées du Bourget (Seine-Saint-Denis), des couches étant régulièrement prélevées pour analyser l’évolution du front de carbonatation. Les conclusions sont significatives. Ainsi, si les gravats sont exposés six mois à l’air libre (protégés de la pluie), avant d’être réutilisés, 15 à 20 % du CO2 émis lors de la décarbonatation sont récupérés ; s’ils le sont pendant deux à trois ans, cette proportion peut atteindre 30 %.
Autre argument en faveur de cette exposition prolongée : en colmatant les pores du béton, la carbonatation augmente ses performances mécaniques et améliore l’ouvrabilité d’un béton formulé à partir de granulats de béton recyclé. Des résultats qui pourraient apporter de l’eau au moulin du projet national de recherche collaborative Recybéton (lire « Le Moniteur » n° 5705, Spécial TP, du 29 mars 2013, page 40).Certains pays d’Europe du Nord mettent déjà en pratique ce « bain » de CO2 forcé. Dans les pays nordiques, il est d’usage que les bétons démolis soient concassés, puis stockés à l’air plusieurs mois avant d’être réutilisés.



