Le contrat de vente se caractérise par la délivrance, en la circonstance, de matériaux, alors que le contrat d'entreprise est traditionnellement défini comme la « convention par laquelle une personne s'oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son cocontractant » (1). Dans un contexte d'évolution des techniques de fabrication allant vers une anticipation en amont d'un certain nombre d'opérations d'assemblage pour la construction des ouvrages, des litiges sont nés, pour savoir si l'entreprise qui fabriquait et livrait ce type de matériaux, s'avérait être un fournisseur ou un sous-traitant réalisant un travail pour le compte du titulaire du marché.
Les enjeux de la distinction
C'est qu'en effet, les conséquences de la qualification en contrat d'entreprise ou en contrat de vente, ne sont pas neutres entre le titulaire du marché et le sous-contractant. Dans la vente, à peine de nullité, le prix doit être déterminé ou au moins déterminable au moment de la conclusion du contrat, à la différence du contrat d'entreprise.
Dans la vente, la garantie des vices cachés s'applique avec sévérité pour le vendeur professionnel qui est présumé avoir connaissance du vice de la chose et qui peut rarement faire déclarer valide une clause limitative de responsabilité insérée dans le sous-contrat, alors que ce type de clause est déclaré valide par les tribunaux s'agissant du contrat d'entreprise.
Par ailleurs, la qualification du sous-contrat en contrat de vente, a pour conséquence de faire échapper le sous-contractant aux mesures protectrices de la loi relative à la sous-traitance, notamment le paiement direct, l'action directe et la caution en faveur du sous-traitant.
Ainsi, un bon nombre de contentieux dans ce domaine vont porter sur la volonté du sous-contractant de se situer dans le cadre d'un contrat d'entreprise afin de pouvoir bénéficier des mesures protectrices de la loi sur la sous-traitance, ou afin de pouvoir bénéficier de clauses limitatives de responsabilité contenues dans le sous-contrat, et qui seraient inefficaces s'il s'agissait d'un contrat de vente.
Les critères traditionnels de la distinction
Le critère le plus utilisé dans la seconde moitié du XXe siècle a été celui de la valeur économique respective de la matière et du travail. Si la valeur de la matière fournie est plus élevée que celle du travail, il s'agit d'un contrat de vente. Par contre, si c'est la valeur de la partie travail qui est plus élevée, il s'agit alors d'un contrat d'entreprise (2).
La Cour de cassation censure les arrêts des cours d'appel qui omettent d'examiner quelle est l'importance respective de la matière et du travail (3).
Un autre critère a également été utilisé, celui de l'intervention sur le site qui conférait ou non selon que le sous-contractant avait procédé ou non à une mise en oeuvre sur le terrain, la qualité de sous-traitant ou simplement celui de fournisseur. Ainsi, celui qui a fourni des éléments de plancher sur stock et accompagnés d'une notice de pose, et qui ne justifie pas avoir participé à leur mise en place et être intervenu sur le site, n'est pas un sous-traitant, mais un fournisseur qui ne peut, en conséquence, bénéficier de la procédure de l'action directe prévue par la loi sur la sous-traitance (4). Mais, au moins en tant que critère unique, le critère de l'intervention sur le site n'apparaît pas véritablement adapté, puisque la jurisprudence judiciaire considère que les prestations intellectuelles font partie de la catégorie du contrat d'entreprise.
Or, l'application du seul critère de l'intervention sur le site conduirait bien sûr à écarter systématiquement les contrats de prestations intellectuelles, réalisés au sein de bureaux d'études, de la catégorie des contrats d'entreprise.
Ces critères ont été critiqués par la doctrine, ce qui a conduit la Cour de cassation à adopter un nouveau critère.
C'est un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1985 qui a posé le principe de l'existence d'un nouveau critère, prenant en compte l'évolution des techniques de préfabrication, conduisant les entreprises sous-contractantes à développer en amont, sur les directives précises des donneurs d'ordre, des opérations qui avaient lieu auparavant sur le terrain. Ainsi, la Cour de cassation a décidé que celui qui fabrique et livre sous forme d'assemblage des armatures métalliques pour la confection de pieux, qu'il est impossible de détenir en stock en raison de leur dimension spécifique, et qui effectuait un travail spécifique pour un chantier déterminé, n'est pas un fournisseur, mais un sous-traitant (5).
Deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation suivirent en 1989. Ainsi, une société chargée de fabriquer des tubes en les adaptant à la nature particulière du gaz à transporter ainsi qu'à la configuration et au relief du site, ce qui impliquait non pas une production standardisée, mais obéissant à des spécifications et à des normes précises, n'est pas un fournisseur, mais un sous-traitant (6). De même, des travaux faits pour une installation de distillation, selon des caractéristiques et descriptions techniques convenues à l'avance, alors que le donneur d'ordre avait défini les conditions de fonctionnement et les objectifs à atteindre, qu'il se réservait durant l'exécution des travaux de faire procéder à des contrôles, sont constitutifs d'un contrat d'entreprise et non pas d'un contrat de vente (7).
Les opérations complexes
La jurisprudence de la Cour de cassation paraît bien orientée en ce sens. Dans un arrêt du 17 mars 1998, elle censure un arrêt d'une cour d'appel au motif que celle-ci avait décidé qu'un sous-contractant était un vendeur, tout en ayant relevé que les circuits imprimés fabriqués constituaient un produit spécifiquement destiné à répondre aux besoins précis du donneur d'ordre (8). Dans un arrêt du 6 mars 2001, elle rejette au contraire la qualification de contrat d'entreprise, pour une commande de fibre optique concernant un ouvrage de télécommunication, en motivant sa décision sur l'inexistence en l'espèce d'un travail spécifique réalisé sur les directives du donneur d'ordre (9).
Dans la plupart des cas, les litiges qui portent sur la qualification en contrat d'entreprise ou en contrat de vente, concernent une obligation ambiguë qu'il convient d'éclaircir. Mais, dans certaines opérations complexes, l'entreprise se voit confier par un donneur d'ordre, des obligations variées intégrant à la fois la conception, la fourniture de matériaux et matériels, la réalisation, la mise en service et parfois la maintenance durant une période plus ou moins longue. C'est par exemple le cas de la réalisation de complexes industriels selon la technique dite « clés en main ». Il est alors naturellement impossible pour le juge, de résoudre un tel litige en enfermant une telle complexité dans une seule qualification. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 1977, a eu l'occasion d'approuver une cour d'appel d'avoir retenu que les obligations d'une entreprise chargée d'un marché pour la réalisation d'une centrale thermique, portaient, d'une part, sur une vente de matériel et de machines, et d'autre part, sur un contrat d'entreprise s'agissant d'une mission de conception, s'agissant du montage de l'ouvrage (10).
(1) B. Boubli, Encyclopédie Dalloz civil : Contrat d'entreprise. (2) Cour de cassation, 1re ch. civile, 27 avril 1976, JCP 1977 II no 18635. (3) Cour de cassation, 3e ch. civile, 19 juin 1991, Bulletin des arrêts III no 185. (4) Cour de cassation, 1re ch. civile, 15 juin 1983, Gazette du Palais I 1983, panorama p. 136.
(5) Cour d'appel de Versailles, 19 mai 1988, Dalloz 1988, info rapide, p. 221. (6) Cour de cassation, 3e ch. civile, 5 février 1985, Dalloz 1986, p. 499. (7) Cour de cassation, ch. com., 20 juin 1989, Dalloz 1990, p. 246. (8) Cour de cassation, ch. com., 4 juillet 1989, Dalloz 1990, p. 246. (9) Cour de cassation, ch. com., 17 mars 1998, « Petites affiches », 18 novembre 1998, p. 26. (10) Cour de cassation, ch. com., 6 mars 2001, JCP 2001 II no 10564. (11) Cour de cassation, 3e ch. civile, 16 mars 1977, JCP 1978 II no 18913.
L'essentiel
Les difficultés de distinction entre contrat d'entreprise et contrat de vente ont été réactivées par l'évolution des techniques de construction qui ont conduit les fabricants à développer leur savoir-faire en réalisant des éléments préfabriqués en amont de la mise en oeuvre sur le site.
Les critères traditionnels fondés sur l'importance de la valeur respective de la matière et du travail, ainsi que sur l'intervention ou non sur le site, ont été remplacés par un critère plus psychologique, consistant à rechercher celui du donneur d'ordre ou du fabricant, à maîtriser la conception, la réalisation et les propriétés d'utilisation de l'objet.
L'enjeu de la qualification n'est pas neutre, puisque s'il s'agit d'un contrat de vente, plutôt qu'un contrat d'entreprise, d'une part, les clauses limitatives de responsabilité figurant dans le sous-contrat ne seront pas valides, et d'autre part, les mesures protectrices de la loi sur la sous-traitance ne s'appliqueront pas.
EN SAVOIR PLUS
Articles de référence : « Comment surmonter les difficultés de l'action directe », «Le Moniteur» du 31 janvier 2003, page 73.
« Sous-traitance : les nouvelles responsabilités du maître de l'ouvrage », «Le Moniteur» du 13 décembre 2002, page 78.
« Droit et pratique de la sous-traitance : bien gérer la sous-traitance en marchés publics et privés », «Le Moniteur» du 31 mai 2002, page 80.
« Le cadre juridique de la sous-traitance : un dispositif limité et d'ordre public », «Le Moniteur» du 9 février 2001, page 86.
Ouvrage de référence : « La sous-traitance dans la construction », par B. Sablier, J.-E. Caro, S. Abbatucci, 5e édition, 2002, Editions du Moniteur. Renseignements : 01.40.13.30.05.