Existe-t-il une volonté chez les entreprises du BTP, en raison d’une relative atonie du marché français, d’aller davantage à l’international ?
Jérôme Pentecoste : Oui, mais les démarches sont très variables. Il y a des entreprises qui sont déjà présentes dans certains pays et qui nous consultent uniquement sur ceux-ci. D’autres clients réalisent d'abord une étude globale – par exemple sur la zone africaine et le secteur de l’énergie – et ciblent quelques pays en fonction de critères qui sont souvent un cadre juridique stable, une stabilité institutionnelle et des richesses permettant de financer des projets. Enfin, certains clients opportunistes vont aller là où il y a des projets matures, par exemple en Afrique de l’Est où existent notamment des partenariats public-privé (PPP) routiers, mais qui sont des pays de common law très éloignés de notre culture juridique française.
Pensez-vous que les constructeurs français soient trop timides à l’étranger ?
J.P. : En effet, mais certains clients ont connu des déboires à l’étranger. Il peut s’agir de la spoliation de leurs actifs dans des pays ne respectant pas le droit de propriété ou les contrats signés. Il peut aussi s’agir d’entreprises ayant développé en vain des offres spontanées et exposé plusieurs centaines de milliers d’euros à la demande d’autorités publiques. En clair, l’entreprise aura travaillé plusieurs mois pour un résultat nul. Enfin, jusqu’à une époque récente, le marché du BTP en France était suffisamment actif pour absorber les capacités des constructeurs. Si les entreprises espagnoles sont parties à l’assaut des marchés étrangers, c’est parce que leur marché domestique était au plus bas. Pour travailler hors de ses frontières, il faut s’acculturer aux modes de décision du pays. Sauf exception, ce n’est pas le cabinet d’avocats qui va ouvrir ces opportunités, mais il peut rassurer le client sur l'environnement juridique et institutionnel des projets.
Existe-t-il des pays africains avec des réglementations sur les appels d’offres matures, dans lesquels une entreprise française a de réelles chances de gagner si elle donne une réponse de qualité ?
J.P. : Je pense que c’est le cas dans certains pays, par exemple au Maroc ou au Sénégal. Mais il existe des pays dans lesquels soit il n’y a aucune réglementation, soit il existe des réglementations avec parfois de mauvaises pratiques. Nous y accompagnons pourtant nos clients. Il faut alors avancer pas à pas et essayer de formaliser le maximum de choses. Ce n’est pas évident, car l’oralité a du poids dans ces pays. Plutôt que d’arriver tout de suite à l’étape de rédaction du contrat, qui oblige à engager des frais, il est préférable d'avancer par étapes préalables. Il faut s’assurer que l'autorité qui signe est mandatée par les hautes instances du pays, que les ministres concernés sont en phase avec celle-ci, que le premier ministre est d’accord, que les ethnies importantes sont favorables à la démarche… En clair, il faut s’assurer que le projet est consensuel et socialement acceptable pour qu’il soit poursuivi dans le cas d’une alternance politique. Il existe ainsi des projets d’infrastructures avec des projets sociaux annexes. L’électrification d’une zone pour une infrastructure de transport desservira aussi la zone urbaine, par exemple.
On insère aussi des clauses dans les contrats pour faire travailler la main-d’œuvre locale. C’est une démarche de responsabilité sociétale des entreprises qui bonifie le projet et ses chances d'être mené à terme.
Quels sont les marchés d’infrastructures les plus porteurs en Afrique ?
J.P. : Ce sont davantage les infrastructures dites économiques comme l’énergie – production et distribution –, les transports – ports, aéroports, routes, réseaux ferrés et les infrastructures à péage. Les services urbains arrivent ensuite puis les infrastructures sociales. Sur le plan juridique, les concessions sont privilégiées par les États africains, mais avec des seuils d’équilibre garantis par l’autorité publique, car le risque trafic ne peut pas être complètement pris par le concessionnaire. Dans des pays où il n’y pas d’autoroutes, il est difficile d’évaluer le risque trafic. Il s’agira alors de PPP concessifs, avec un seuil de rentabilité en dessous duquel l’autorité publique verse un revenu d'équilibre. Le Maroc pour ses autoroutes pourrait se diriger vers ce système. Les autres pays d’Afrique sont plutôt dans des logiques de PPP à paiement public.
Justement, où en est-on des PPP au Maroc ?
J.P. : Il existe une législation sur les PPP qui est en place depuis 2015 et les premiers PPP sortiront bientôt. Ils devraient porter sur des infrastructures sociales – santé, hôpitaux, écoles – et des projets atypiques comme un centre d’immatriculation des véhicules, une unité de vaccination et des ports de plaisance en Méditerranée.
L'intégralité de cette interview est à retrouver dans Le Moniteur Export