U n paradoxe étonnant. Telle est la situation que vit le marché du chauffe-eau électrique : il est à la fois condamné, car exclu de la construction neuve - donc en décroissance programmée -, mais aussi incroyablement vivant, avec plus de 1,4 million d’unités vendues en 2013. De fait, le chauffe-eau électrique est l’un des équipements de chauffage les plus vendus en France. En baisse de 7 % à fin septembre 2014, les ventes sont bien en régression, mais certainement pas à l’agonie. « Le marché n’est pas en chute libre comme on a pu l’imaginer », confie un industriel, visiblement soulagé. Les craintes étant effacées, l’optimisme est de rigueur dans toute la filière, contrastant singulièrement avec le pessimisme de mise avant l’application de la RT 2012.
Pourtant, le remplaçant du chauffe-eau électrique est dans les starting-blocks : il s’agit - ce n’est pas un scoop - du chauffe-eau thermodynamique, qui figure au catalogue de nombreux fabricants. Soutenu par le crédit d’impôt pour la transition énergétique (nouvelle mouture du CIDD), il est prêt à prendre la relève. Avec des ventes estimées en hausse de 54 % à fin août 2014 par rapport à 2013, (45 954 unités en 2013), il a même le vent en poupe.
Un produit aux nombreux atouts…
À en croire les industriels, il n’y aurait guère lieu de s’inquiéter. Le parc de chauffe-eau électriques, estimé entre 15 et 17 millions d’unités, constitue un important fonds de commerce que le chauffe-eau thermodynamique n’est pas prêt de s’approprier. D’une part, ce dernier n’est pas toujours adapté, notamment dans les immeubles collectifs et en zone urbaine, dès lors que les mètres carrés sont précieux. D’autre part, le chauffe-eau électrique sait se faire oublier : pas d’entretien, pas de réglage, pas de soucis. On ne se souvient de son existence que lorsqu’il faut le remplacer, c’est-à-dire quand il a rendu l’âme et se met à fuir. C’est alors l’urgence qui commande : le plombier arrive aussi vite que possible, un chauffe-eau neuf déjà chargé dans son camion, et effectue le remplacement. Pas le temps - ni même l’idée - d’envisager une autre solution, voire simplement de choisir une marque ou un modèle : sur ce marché, l’installateur, unique prescripteur, est le maître de cérémonie et décide de tout. D’autant que l’investissement étant (presque) toujours imprévu, le budget est souvent limité.
La directive européenne Energy Related Products (ERP, soit Produits liés à la consommation d’énergie) du 21 octobre 2009, qui va définitivement ranger le produit dans la classe C de l’étiquette énergétique, ne serait donc pas un sujet d’inquiétude... Et l’aspiration des Français à plus d’écologie et d’énergie renouvelable ? Non, il semble qu’il n’y a toujours pas lieu de s’en faire, selon le marché : ce produit est le moins coûteux des systèmes de production d’eau chaude sanitaire, tant du point de vue de la fourniture que de la pose. De plus, il s’installe à l’horizontal ou à la verticale, ne fait aucun bruit, est devenu carré et peu profond pour mieux disparaître au regard… Bref, trois fois sur quatre, son remplacement par un produit similaire lui est favorable.
Le marché du chauffe-eau électrique serait-il donc inébranlable ? Bien sûr que non. Mais, malgré le contexte, il est loin de vaciller. Le gâteau est important, même si les fabricants de chauffe-eau thermodynamiques n’ont pas l’intention de laisser leur part. Ceux-ci vont évoluer et finiront bien par entrer dans tous les logements, y compris collectifs. Mais demain est un autre jour.
… et stratégique à plus d’un titre
Outre les avantages déjà cités, le chauffe-eau électrique est sous haute protection pour au moins deux raisons : contrairement au à son homologue thermodynamique, il est en grande partie fabriqué en France et génère environ 5 000 emplois (avec le chauffage électrique). De plus, il est très apprécié d’EDF et de sa filiale RTE : en fonctionnant (quasi) exclusivement la nuit, il joue un rôle important dans l’équilibrage du réseau de transport de l’électricité. Sa puissance électrique absorbée est faible, puisqu’elle est calculée pour assurer le chauffage du volume d’eau durant les six heures de la période creuse nocturne. Ce mode de fonctionnement est adapté à la structure tarifaire domestique de l’électricité en France - à moins que ce ne soit l’inverse -, qui barre le marché à tout autre système, en particulier aux chauffe-eau instantanés et à la production décentralisée de mise dans les pays germaniques. S’ils sont plus économiques (pas de stockage) en termes de consommation, ces modes de production sont très gourmands en termes de puissance, cette dernière renchérissant notablement la facture d’électricité en France.
Plus inattendu, le chauffe-eau électrique, ce basique ballon d’eau présent dans des millions de foyers, deviendrait, comme certains le prédisent, la solution la plus efficace et la moins coûteuse pour assurer le stockage, sous forme de chaleur, des surplus de production de l’électricité photovoltaïque. Tandis que l’énergie solaire thermique, qui doit être évacuée lorsque la température est atteinte dans le ballon du chauffe-eau solaire, est gaspillée, il n’y aurait aucune difficulté, dans le cadre de l’autoconsommation, à stocker sous forme de chaleur l’électricité photovoltaïque excédentaire. D’autant que les réseaux électriques intelligents, les fameux smartgrids, n’auraient aucun mal à gérer cette situation.
D’ici à ce que le chauffe-eau électrique, mis à la porte de la cons-truction neuve par la réglementation thermique 2012 car trop gourmand en énergie primaire, ne revienne par la fenêtre de la réno- vation, afin de participer au développement du photovoltaïque en autoconsommation… Ce serait là un sacré pied de nez à tous ceux qui l’ont déjà enterré !