Transats, petit en-cas acheté à la camionnette ambulante, eau agitée mais baignade autorisée. Nous ne sommes pas à Biarritz ou à Perros-Guirec, ni même au bord du lac Léman comme pourrait le laisser supposer le drapeau rouge à croix blanche qui flotte non loin. Mais à Bâle (Suisse), au bord du Rhin. Nager dans le fleuve est une pratique du quotidien dans la ville frontalière de la France. Ici, personne ne s'étonne de voir un jeune cadre rouler son costard- cravate dans un grand sac étanche et l'emporter avec lui pour piquer une tête en cette pause méridienne. De couleur orange, marqueur de l'appartenance à cette tribu insolite, ce sac lui servira aussi de bouée. Après avoir remonté les marches du Mittlere Brücke, le « pont du milieu » médiéval, il reprendra peut-être son poste à l'agence bancaire toute proche.
Cette trempette, les autorités du canton de Bâle-Ville l'organisent à la suisse. A savoir : un subtil mélange de discrétion - quelques panneaux épars décrivent la « Rheinschwimmen » (baignade dans le Rhin) le long des berges -, de liberté, de gratuité d'accès et de précaution. Dressée par la section bâloise de la Société suisse de sauvetage, la liste de mises en garde est longue comme le bras : ne pas nager trop près des piliers de ponts, ni porter de brassards gonflables, faire attention aux silencieux bateaux de marchandises, ne pas plonger des ponts…
Mais ici, on fait d'abord confiance au sens spontané de la discipline, avec une initiation proposée tous les mardis d'été pour les novices. La baignade n'est pas surveillée, et ça fonctionne. Il est recommandé de ne pas se mettre à l'eau quand elle passe sous la barre des 18 °C ou au- dessus d'un certain niveau (246,50 m précisément), mais aucune loi ou décret ne vient poser d'interdictions strictes.
680 substances surveillées. Depuis 1980, une journée de nage collective s'y déroule même chaque année à la mi-août, histoire de marquer la puissance de la tradition et son ancrage dans un temps long : 4 800 personnes y ont participé l'année dernière. Remontant au Moyen-Age, la Rheinschwimmen a connu un sévère coup d'arrêt le 1er novembre 1986 avec l'incendie de l'usine Sandoz qui a transformé le fleuve en cloaque. Depuis, les pouvoirs publics ont patiemment travaillé à la remise en état, dans le cadre multinational de la Commission internationale pour la protection du Rhin réunissant ses Etats riverains dont la France. A Bâle-Ville où le fleuve démarre son parcours urbain, le canton surveille la concentration de pas moins de 680 substances, dont 420 quotidiennement.
La nage dans le Rhin bénéficie d'un ensemble d'une soixantaine de rampes, marches d'escaliers, pontons et autres échelles installées au fil du temps le long des quelque 3 km autorisés. Un parcours dont l'arrière-plan offre un condensé de merveilles archi tecturales, remontant le temps de l'amont à l'aval, depuis le musée Tinguely signé Mario Botta jusqu'à la cathédrale gothique protestante Notre-Dame en passant par les fameuses tours Roche dessinées par Herzog & de Meuron sans oublier les usines de briques, promenades et villas cossues du XIXe siècle.
Aménagements structurants. Le département construction du canton assure l'inspection régulière des ouvrages, leur entretien courant, leur remplacement, la réalisation d'aménagements plus structurants ainsi que le nettoyage de la végétation débordante. De septembre 2018 à mars 2019, il a créé, au niveau du musée Tinguely, une plage de graviers qui a fait gagner de 2 à 4 m, selon le niveau de l'eau, et favorisé l'essor de la biodiversité par l'aménagement de petites criques.
Selon le département, les rives sont devenues particulièrement attractives le long de la section entre les ponts de la Forêt-Noire et du Wettstein.
Dans la partie nord de la baignade, du pont de Wettstein à celui des Trois-Roses, le canton mènera de fin 2024 à fin 2026 un vaste programme Rheinbord de rénovation-consolidation des berges aménagées au XIXe siècle, « devenues moins visibles, voire glissantes », au moyen de reprises des fondations notamment. Il poursuit ainsi un projet qui avait fait l'objet d'un concours de maîtrise d'œuvre dès les années 2010 avant d'être stoppé par la pandémie de Covid. Son coût reste à préciser, à partir d'estimations à 10 M€ voire davantage. Les baigneurs de ville le méritent bien.