Entretien avec Jacques Barrot, vice-président de la commission européenne en charge des transports « Les Etats membres devront faire un vigoureux effort en faveur des réseaux transeuropéens »

Jacques Barrot est devenu, en novembre, vice-président de la Commission européenne en charge de l'important dossier des transports. Dans une Europe à vingt-cinq où les frontières sont abolies, la maîtrise des réseaux de transports est un élément clé de la construction européenne. Jacques Barrot dévoile pour « Le Moniteur » ses grandes priorités : un engagement fort pour les réseaux transeuropéens, la relance de l'intermodalité et une nouvelle tarification des infrastructures, notamment via l'Eurovignette.

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Vous avez été chargé par le président de la Commission européenne de réfléchir à une approche commune des réseaux transeuropéens (RTE). Aborderez-vous les questions de financement ?

JACQUES BARROT. Le président José-Manuel Barroso m'a demandé de dégager une réflexion, dans un premier temps sous forme de Livre vert (consultation, ndlr), sur la manière dont nous pourrions coordonner les financements de tous les réseaux de transports des personnes, marchandises, énergie et images. Le but est de profiter de la création de ces RTE pour associer l'ensemble de ces réseaux et démultiplier ainsi les possibilités financières. Outre les fonds européens (budget RTE et fonds régionaux, prêts de la Banque européenne d'investissement), nous devons faciliter l'implication des fonds privés via les partenariats public-privé (PPP). Pour ce faire, nous allons mettre en place, cette année, un instrument de garantie. Mais sans un vigoureux effort des Etats membres, on ne parviendra pas aux 225 milliards nécessaires. Or, le niveau d'investissement des Etats dans les infrastructures a reculé de 1,5 % à 1 % du PIB. C'est un problème, d'autant que la mobilité est un élément majeur de la compétitivité. Aujourd'hui, les entreprises travaillent en flux tendus et les personnels doivent pouvoir circuler très facilement en Europe. Si l'on s'en tient au niveau d'investissement actuel, on connaîtra des encombrements extrêmement pénalisants sur tous les réseaux.

Est-ce que la nomination de six coordinateurs européens sur des projets transfrontaliers peut faciliter leur réalisation ?

Oui. J'y crois beaucoup. Le nom de ces six personnalités sera connu fin mars ou au plus tard en avril. Mon idée est qu'il faut européaniser les transports longue distance. Pour cela, il faut assurer une continuité sur un axe donné. On ne roulera pas forcément tout de suite à la vitesse maximale sur l'ensemble du corridor, mais en tout cas il faut supprimer tous les goulots d'étranglements au niveau des interconnexions transfrontalières. C'est particulièrement vrai pour les réseaux ferroviaires. Le progrès technologique va atteindre l'Europe ferroviaire via le système de signalisation européen (ERTMS). Pour les projets financés par l'Union, nous obligerons les maîtres d'ouvrage à prévoir l'usage de cette technologie d'interopérabilité. Mais cette politique doit aussi être engagée pour les autoroutes. Nous pensons qu'avec les applications de la navigation par satellite, nous pourrons aussi moderniser les systèmes de péage. Il y a, ici et là, des expériences significatives mais qui seront facilitées avec Galileo.

Souhaitez-vous voir mise en place une Agence européenne des infrastructures ?

Oui. Une agence permettrait de disposer d'une logistique plus efficace en matière de coordination et de financement. La première étape serait de coordonner cette politique avec la mise en place des coordinateurs. Et, dans un deuxième temps, nous pourrions créer une agence. Mais on n'en est pas encore là. Ceci dit, il faut garder à l'esprit que la politique des infrastructures routières ne sera pas définie à Bruxelles. Bruxelles coordonne et veille à ce que les grands corridors soient réalisés progressivement.

Les 30 réseaux transeuropéens de transport prioritaires (RTE-T) coûteront 225 milliards d'euros. Avez-vous bon espoir de voir adopté le budget de 20 milliards que la Commission a proposé pour 2007-2013 ?

C'est un sujet d'inquiétude. Car l'effectivité de l'engagement sur les RTE est fondamentalement liée à l'adoption des « Perspectives financières », c'est-à-dire le budget européen pour 2007-2013. Tout le débat en cours est de savoir si les Etats s'arrêteront au seuil de 1 % du PIB, ce qui correspond à 813 milliards d'euros pour toute cette période, ou iront jusqu'au 1,14 % proposé par la Commission (soit 1 013 milliards).

Pourtant, les RTE sont un élément majeur de la stratégie de Lisbonne, qui vient d'être révisée.

Absolument. Ils commandent très largement les progrès qui permettront de donner au marché intérieur toute son efficacité. La mobilité est au coeur de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi dans un marché intérieur qui compte maintenant dix nouveaux Etats membres. Nous aurons de gros problèmes si nous n'avons pas ces corridors ferroviaires et routiers, car le commerce avec ces Etats va aller en s'intensifiant au fur et à mesure de leur développement.

Où en sont les projets prioritaires français ?

Les travaux sont bien engagés sur la ligne TGV-Sud France-Espagne, pour une mise en service en 2009. Sur la liaison Rhin-Rhône (branche est de Dijon-Mulhouse), les études financées par l'Europe seront terminées fin 2006, date à laquelle débuteront les travaux. En ce qui concerne la ligne Sud-Europe-Atlantique (Angoulême-Bordeaux), l'enquête d'utilité publique prévue en 2005 se prépare. Pour la liaison Tours-Angoulême, les études d'avant-projet sommaire sont en cours. Pour la LGV-Est, la première tranche Vaires-Baudricourt doit être ouverte en 2007. Pour Lyon-Turin, les premières études ont été financées. Pour le canal Seine-Nord, nous en sommes au stade des études sur financement communautaire.

Pensez-vous que la présidence luxembourgeoise parviendra à un accord sur le projet de directive Eurovignette ?

Il s'agit d'un point clé qui n'est pas encore résolu. Et je m'inquiète de voir que certains Etats rechignent à mettre en place une tarification des infrastructures routières un peu plus ambitieuse. Ce sujet est à l'ordre du jour du Conseil des ministres du 21 avril. J'espère que nous allons progresser. Des difficultés subsistent notamment dans des pays comme la France qui disposent d'un système de concessions. Mais nous devrions arriver à intégrer le système des concessions dans une architecture Eurovignette suffisamment souple. Le deuxième problème concerne l'affectation des ressources au financement des projets d'infrastructures car beaucoup d'Etats, comme la Grande-Bretagne, sont très réticents. Il est indispensable de franchir au moins une première étape avec une affectation partielle.

La Commission doit adopter une proposition modifiée de règlement sur les obligations de service public en matière de transport de voyageurs. Quels en sont les grands axes ?

Un texte est en préparation qui sera présenté courant 2005. C'est un cadre juridique pour les transports urbains et interurbains. Ce cadre permettra à la fois l'ouverture de ce marché de services tout en prévoyant l'acceptation d'obligations de service public ouvrant droit à compensation. La règle étant de « mettre de l'ordre » dans une contractualisation entre l'agglomération et la ville qui concède ses services de transports urbains. C'est une approche qui montre qu'on peut concilier l'ouverture du marché, qui permet une saine concurrence, et le maintien des obligations de service public.

Ce texte sera-t-il plus acceptable que le précédent ?

Oui, parce qu'il permet aux villes et aux agglomérations d'être autoproductrices du service avec une régie directe. Mais, si le transport urbain est mis en régie directe, cette régie ne pourra pas faire autre chose que d'organiser le transport urbain dans la ville. Elle ne pourra pas s'engager dans une concurrence avec des opérateurs dans d'autres villes.

PHOTOS :

Jacques Barrot appelle de ses voeux la création d'une Agence européenne des infrastructures.

Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne en charge des transports.

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