Depuis près de deux décennies, les objectifs de développement des énergies renouvelables, dont l'éolien en mer, n'ont cessé jusqu'à présent d'être revus à la hausse. Le pacte « éolien en mer » signé le 14 mars 2022 entre l'Etat et la filière en est une illustration, puisqu'il vise un rythme d'attribution d'appels d'offres de 2 GW par an dès 2025 afin d'atteindre 20 GW attribués en 2030 pour une capacité installée de 18 GW en 2035 et 40 GW en 2050.
La finalité est d'assurer une transition énergétique dans un contexte géopolitique où il devient impératif de sécuriser sa production sans dépendre de pays étrangers, tout en garantissant la protection de l'environnement et la prise en compte des différents usages de la mer. L'aspect politique est central puisqu'il revient à l'Etat de définir à la fois le choix du mix énergétique et, s'agissant des projets éoliens en mer, de lancer des appels d'offres à la fois sur son domaine public maritime et ses zones économiques exclusives. L'état du droit résout l'essentiel de ces problématiques mais des instabilités demeurent, en grande partie pour des raisons politiques.
L'intégration des parties prenantes à la prise de décision
Planification. Dès la planification de l'espace maritime, le document stratégique de façade (DSF), élaboré par l'Etat en coordination avec les parties prenantes, décline pour chaque façade maritime métropolitaine la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML). L'objectif est d'organiser la cohabitation des différents usages de la mer aussi bien traditionnels (activités de pêche, de conchyliculture…) que nouveaux (notamment les parcs éoliens en mer), le tout en conservant son bon état écologique.
Dans ce cadre, le DSF définit une cartographie des « zones maritimes et terrestres prioritaires » qui prend effectivement en compte « l'objectif de préservation et de reconquête de la biodiversité », étant précisé que la loi priorise le développement des éoliennes en mer dans la zone économique exclusive (ZEE) afin de limiter l'impact paysager de ces installations (art. L. 311-10-1-1 du Code de l'énergie). Ces éléments seront appréciés notamment dans le cadre de l'évaluation environnementale et du débat public dont doit faire l'objet le DSF (art. R. 122-17 et L. 121-8 du Code de l'environnement [C. env.]).
Appels d'offres. Ensuite, à l'occasion des appels d'offres lancés par l'Etat, un débat public est organisé sur le choix de la localisation de la ou des zones potentielles d'implantation envisagées. Il permet à toutes les parties (riverains, usagers de la mer, gestionnaire de réseau, voire Etat voisin) de formuler des observations de sorte que les problématiques liées aux enjeux économiques et environnementaux pourront à nouveau être débattues. Cette procédure de débat public peut être mutualisée avec celle relative au DSF (art. L. 121-8-1 C. env.).
Autorisation environnementale. Enfin, les autorisations environnementales et le titre d'occupation du domaine public, propres à chaque projet, ne peuvent être accordés que si ce dernier respecte la protection de l'environnement, notamment. La procédure, particulièrement exigeante, suppose la réalisation d'une étude d'impact et l'organisation d'une nouvelle consultation du public.
Pour autant, malgré ce processus - qui associe les parties prenantes - permettant de préciser progressivement la zone d'implantation qui sera finalement retenue pour un projet de moindre impact, l'opposition demeure, en particulier de la part de pêcheurs et de certaines associations de protection de l'environnement, de sorte qu'à ce jour 100 % des projets lauréats et autorisés ont fait l'objet de recours contentieux. A noter cependant que l'ensemble de ces recours a été rejeté par le juge administratif. Preuve que ce cadre juridique, bien que perfectible, est efficace. En revanche, ce constat est moins évident s'agissant du cadre économique et du contexte politique.
Un cadre économique fragilisé par un contexte politique fluctuant
L'une des particularités de l'éolien en mer est que l'Etat organise des procédures de mise en concurrence différentes pour des zones maritimes de même nature. Or, les modifications successives - par quatre décrets - des procédures de mise en concurrence et le manque de régularité des appels d'offres (AO) ont introduit une instabilité défavorable à la filière éolienne offshore française.
Evolution des procédures. Alors que pour les deux premiers appels d'offres, AO1 (Saint-Nazaire, Fécamp, Saint-Brieuc et Courseulles-sur-Mer) et AO2 (Yeu-Noirmoutier et Dieppe-le-Tréport), l'attribution a été réalisée à la suite d'une procédure d'appels d'offres simples, celle-ci est rapidement apparue inadaptée, compte tenu des prix élevés d'achat de l'électricité. A partir de l'AO3 (Dunkerque), la procédure dite de « dialogue concurrentiel » a été introduite, dans l'objectif d'améliorer la qualité des offres. Cette évolution a toutefois conduit à allonger la durée des procédures et à complexifier les modalités de réponse pour les porteurs de projet.
Consciente des imperfections du dialogue concurrentiel, la Direction générale de l'énergie et du climat du ministère de la Transition écologique a interrogé les acteurs de la filière entre mars et décembre 2023 sur la procédure à mettre en œuvre pour accélérer l'attribution des futurs parcs en envisageant trois alternatives : un dialogue concurrentiel accéléré, une procédure d'appel d'offres simple, un appel d'offres sur cahier des charges type. A cet égard, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a considéré qu'« après six dialogues concurrentiels (procédures AO3 à AO8) [qui ont permis] de stabiliser les cahiers des charges des mises en concurrence […], le choix d'une procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel n'est plus justifié ».
Si aucune modification des procédures n'est intervenue depuis, cette consultation montre que l'Etat a conscience de la nécessité d'améliorer et surtout d'accélérer les procédures de mise en concurrence en vigueur, pourtant récentes.
PPE. Par ailleurs, le développement de l'éolien en mer doit faire face à une instabilité politique ayant un impact négatif direct sur la filière. En effet, il revient tant au Parlement qu'au gouvernement de définir les objectifs de développement des énergies renouvelables, dont l'éolien en mer, qui devront se traduire dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Pourtant, la loi destinée à établir les objectifs, et avec lesquels la PPE - fixée par décret (art. L. 141-1 C. énergie) - doit être compatible, aurait dû être publiée avant le 1er juillet 2023 (art. L. 100-1 A C. énergie). De plus, bien que la consultation du public sur le projet de 3e édition de la PPE soit achevée depuis le 5 avril dernier, le décret n'a toujours pas été adopté. Enfin, le projet de loi de simplification de la vie économique, qui doit être prochainement soumis à une commission mixte paritaire convoquée le 18 juin dernier, vise à modifier cette procédure de sorte que la PPE ne serait plus fixée par décret mais par une loi qui devrait être publiée avant le 1er juillet 2026. Il en résulte donc une absence de cadre juridique pourtant nécessaire au lancement des appels d'offres, eux-mêmes indispensables pour donner de la visibilité aux opérateurs.
Ce qu'il faut retenir
- Alors que les objectifs de développement des énergies renouvelables, dont l'éolien en mer, n'ont cessé d'être revus à la hausse, la filière pâtit d'un contexte politique et d'un cadre juridique fluctuants.
- Les règles environnementales encadrant l'implantation d'un projet, de la planification à l'autorisation, permettent d'associer les parties prenantes et de concilier préservation de l'environnement et usages de la mer.
- Malgré les contentieux, ce cadre juridique est efficace : les recours ont tous été rejetés par le juge.
- En revanche, les modifications successives des procédures de mise en concurrence et le manque de régularité des appels d'offres ont introduit une instabilité défavorable aux acteurs.