Comment avez-vous appréhendé la pandémie et le premier confinement ?
Au cours de cette crise, notre priorité a été la sécurité et la santé de nos salariés. Nous avons scrupuleusement respecté toutes les recommandations du gouvernement, notamment la généralisation du télétravail. Tous nos chantiers ont donc été mis à l’arrêt lors du premier confinement ce qui a généré un retard moyen de deux mois.
Comment s’est portée votre activité en 2020 ?
Nous avons été résilients et avons généré 410 M€ de chiffre d’affaires en 2020, avec de forts niveaux de ventes aux particuliers et aux grands investisseurs. Ce dernier marché s’est considérablement accéléré, car le mouvement s’était enclenché avant la crise sanitaire. Lorsque nous vendons des logements à de grands investisseurs, nous réduisons les frais de commercialisation, d’aides à la vente, nous sécurisons la transaction avec un seul acheteur…Ainsi, même si le prix d’acquisition des logements varie d’un immeuble à l’autre, les opérations s’équilibrent et le rendement pour le promoteur est satisfaisant.
« Nous tablons sur un chiffre d’affaires de 800 M€ pour 2023 »
Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?
En mai 2020, nous avons décidé stratégiquement d’accélérer en direction du logement. L’équipe développement a donc été renforcée et ses objectifs ont clairement ciblé la captation du foncier en Ile-de-France, car nous souhaitons rester leader à Paris et devenir l’un des trois premiers promoteurs du Grand Paris. Outre la capitale, nous nous concentrerons sur une cinquantaine de communes dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne et, plus modestement, dans les Yvelines. Nous nous positionnerons également sur des ZAC, dans le diffus et sur des projets de transformation de bureaux en logements. Alors que nous avons livré 1 000 logements en 2020 et développons plus de 230 000 m2 d’opérations tertiaires, nous doublerons le rythme de livraison dès 2023. Nous tablons sur un chiffre d’affaires de 800 M€ pour 2023.
La RE 2020 ne risque-t-elle pas de vous freiner dans vos ambitions ?
Pour les projets déjà lancés, elle impactera la marge de nos bilans, pour les autres, elle représentera un surcoût de 5 % environ. Nous avons réalisé notre bilan carbone en 2019 et lancé en interne un concours sur l’habitat de demain. Des équipes pluridisciplinaires sont constituées pour penser nos programmes, pour travailler sur la biodiversité… On aura, par exemple, davantage recours à des modes de construction plus vertueux comme le bois ou le béton biosourcé. Une autre voie a émergé : d’ici à la fin de l’année 2021, nous proposerons la réversibilité de nos programmes. De quoi réduire drastiquement le bilan carbone des opérations.
Quelle sera la part de vos projets réversibles cette année ?
Nous visons 80 % de réversibilité sur notre production. Du fait de notre très grande expérience en matière de transformation de bureaux en logements depuis 1991, nous savons où se situent les difficultés et comment les surmonter. L’un des points importants à prendre en compte, me semble-t-il, concerne la création de surfaces extérieures dans les programmes tertiaires. Celles-ci pourront, le cas échéant, se transformer en terrasses pour les futurs logements. D’ailleurs, sans même parler de réversibilité, on constate aujourd’hui que les immeubles de bureaux qui n’offrent pas ce type d’espaces trouvent moins facilement preneurs, et ce phénomène s’accentuera encore davantage en phase post-Covid.
« Nous ne sommes pas un fabricant de prêt-à-porter, nous faisons de la couture urbaine »
Pourquoi ne pas se développer dans d’autres métropoles ?
Notre ADN, c’est l’exigence de qualité. Nous portons une attention particulière aux espaces intérieurs et extérieurs, à la végétalisation des programmes, aux espaces partagés… Des orientations confirmées dans ce que l’on appelle, « le monde d’après ». Nous ne sommes pas un fabriquant de prêt-à-porter, nous faisons de la couture urbaine. Pour y parvenir, il faut bien connaitre son bassin de vie et les attentes de toutes les parties prenantes. Cela demande un fort investissement et beaucoup de temps.
Comment faire respecter ce niveau de qualité par les entreprises ?
Tout est une question d’ambiance qui règne sur le chantier : nous y sommes très présents, pour faire comprendre à tous ce qui est important pour nous. La moitié de nos marchés sont confiés à des entreprises générales, l’autre est réalisé en corps d’état séparés.
Que pensez-vous du débat actuel sur la densité ?
A la suite des élections municipales, nous avons assisté à une très grosse cristallisation du débat sur la densité, qui s’est notamment traduite par la révision à la baisse d’un certain nombre de projets. Ce sujet est devenu une obsession pour beaucoup mais la réponse consistant à dire « Stop à la densité » n’est pas la bonne. Il faut construire des logements à Paris et en Ile-de-France. Les besoins ne cessent d’augmenter. Nous avons réalisé une étude montrant que pour près d’un francilien sur deux, l’acquisition ou la location d’un logement reste la priorité. D’ailleurs, si les investisseurs institutionnels reviennent à l’investissement locatif, ce n’est pas uniquement pour le rendement attendu mais aussi parce que la demande des locataires est forte et se maintient.
« Sur la problématique de la densité, je crois beaucoup à l’architecture et à l’apport des concepteurs »
Comment répondre au débat autour de la densité ?
Je crois beaucoup à l’architecture et à l’apport des concepteurs sur cette problématique. Pour un même projet, le ressenti de la densité variera selon que vous créerez plus ou moins de surfaces extérieures, plus ou moins d’espaces végétalisés, plus ou moins d’espaces libres, plus ou moins de failles… Ensuite, il faut parler, concerter, ouvrir le débat sur les hauteurs. Notre projet Ordener-Poissonniers, dans le XVIIIe arrondissement parisien, que nous développons en copromotion avec Ogic, constitue de ce point de vue un bon exemple. Dans le cadre d’un travail mené en commun avec la mairie du XVIIIe, l’Hôtel de ville, tous les groupes politiques représentés au Conseil de Paris, la SNCF, les riverains et nous, les promoteurs, nous sommes parvenus à un accord. Nous avons adapté le projet en fonction des demandes qui ont été formulées : nous avons agrandi le parc et diminué le nombre de logements. Bien sûr, la concertation ne nous met pas à l’abri d’une opposition systématique de certains, mais il faut l’assumer. Chacun doit pouvoir s’exprimer librement.
« Au cours des cinq dernières années, nous avons transformé plus de 230 000 m2 de bureaux en logements »
Contrairement à Emerige, peu de promoteurs se sont véritablement engagés dans les opérations de réversibilité. Comment l’expliquez-vous ?
Au cours des cinq dernières années, nous avons transformé plus de 230 000 m2 de bureaux en logements. L’une des difficultés tient à la « dilatation » des logements issus de ces opérations de reconversion. Souvent, les appartements concernés ne répondent pas aux critères standards, notamment en termes de surface. Un deux-pièces peut faire 50 m2 et un cinq-pièces, 150 m2, ce qui pose la question de la solvabilité des acquéreurs et celle du calibrage des dispositifs d’investissement locatif. Cette contrainte ne nous a jamais posé de problème pour écouler nos stocks. En revanche, elle figure parmi les raisons qui rendent difficiles notre implantation dans les grandes métropoles régionales.
Qui sont les clients d’Emerige ?
Nous comptons plus d’utilisateurs finaux et moins d’investisseurs souhaitant bénéficier des avantages fiscaux que les autres promoteurs : 51 % de notre offre est vendue au détail, 13 % en logement social et 36 % à des institutionnels.
Sur les 51 % de ventes au détail, un peu plus de 20 % est vendu en Pinel, le reste en résidence principale. Le fait d’avoir plus d’utilisateurs finaux entraîne deux conséquences : notre ticket moyen est plus élevé et les maires font plus appel à nous car ils commencent à percevoir les limites d’une mise en oeuvre à très grande échelle de dispositifs fiscaux qui peuvent être revus à terme.
A combien se situe votre ticket moyen ?
Il dépasse les 400 000 euros. Cela tient à l’effet Paris où le prix de vente moyen de nos opérations avoisine les 14 000 euros le m2, soit 2,5 fois de plus qu’à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine.
Vous avez remporté Morland Mixité Capitale, l’un des projets emblématiques de Réinventer Paris 1. Avez-vous gagné d’autres sites dans le cadre de cette consultation ou d’Inventons la métropole du Grand Paris ?
Dans le cadre de Réinventer Paris 2, nous avons été lauréats sur l’esplanade des Invalides (VIIe) – le projet Aérog’Art en partenariat avec Nexity et Dominique Perrault – et sur un atelier des Beaux-Arts, rue de Sévigné (IIIe), avec l’architecte
Christian Biecher. Un programme petit par sa taille (1 300 m2), mais très emblématique car nous allons y installer un démonstrateur de la création artistique du XXIe siècle. Nous sommes également lauréats de deux projets issus du concours Inventons la métropole du Grand Paris : la friche Babcock à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) avec la Compagnie de Phalsbourg, et Antonypôle à Antony (Hauts-de-Seine).
« Avec le projet Morland Mixité Capitale, nous avons pris le risque de mixer onze usages en un seul immeuble »
Que vous ont apporté ces appels à projets urbains innovants ? Vous ont-ils fait évoluer dans votre manière de concevoir ?
Ces consultations nous ont obligés à modifier nos façons de penser et d’appréhender les problématiques urbaines, et à travailler en équipes très ouvertes. Nous avons rassemblé autour de nous énormément de talents, certains dont nous n’imaginions même pas l’existence. Pour Morland Mixité Capitale [réhabilitation et transformation d’un ancien site administratif, NDLR] dans le IVe arrondissement parisien, c’est notamment le cas de Terroirs d’Avenir pour le marché alimentaire, de The People Hostel pour l’auberge de jeunesse et, bien sûr, de Sous les Fraises pour l’agriculture urbaine. A l’époque, en 2014, au moment du lancement de Réinventer Paris, ces différents modèles étaient très innovants, presque inconnus, et nous avons pris le risque de les intégrer dans notre projet et de mixer onze usages en un seul immeuble. Aujourd’hui, ces activités sont devenues la norme dans beaucoup de constructions. Pourtant, nous avons réalisé cette opération de 43 000 m2 SP en un temps record : moins de six ans entre notre désignation en février 2016 et la livraison du programme en fin 2021.
Alors comment faire pour que les programmes restent innovants au moment de leur livraison ?
Il faut une dose de risque et surtout s’entourer des bonnes personnes afin de sourcer le plus en amont possible les dernières innovations, qu’elles soient à l’état embryonnaire ou déjà éprouvées. Je pense par ailleurs, qu’en matière d’immobilier il n’y a pas d’obsolescence technique ou d’usage à court terme. Qu’il s’agisse du recours aux matériaux biosourcés ou de la mixité des usages, ces innovations seront loin d’être démodées dans les années qui viennent.