Les ingénieristes sont des gens discrets. Ce trait de caractère, bien connu et souvent apprécié par leurs partenaires architectes et par leurs clients, vaut dans toutes les situations. Y compris en situation de crise. Mais discret ne veut pas dire inactif, et s’ils ne sont pas ceux qui crient le plus fort en ces temps difficiles, ils agissent en coulisse avec fermeté, détermination et ingéniosité (voir interview de Nicolas Jachiet, président de Syntec-Ingénierie, p. 22).
Et de l’ingéniosité, il en faut beaucoup pour affronter la période. Car de l’avis de tous, et surtout des plus anciens, la conjoncture actuelle est l’une des plus rudes qu’ils aient traversées. Pour Roland Starace, acousticien et thermicien près de Lyon (voir son témoignage page suivante), c’est même la pire qu’il ait connue depuis qu’il a fondé son bureau d’études, en 1964. Si certains se voient malheureusement contraints de recourir au chômage partiel, voire au licenciement de collaborateurs, d’autres - la majorité - élaborent des stratégies pour s’en sortir malgré tout. Ils font le dos rond ou s’adaptent, certains tentant même l’offensive en continuant à se développer. Yves Gillet, président de SCE (groupe Keran), a avant tout choisi de préserver l’emploi dans sa société. Il agit pour cela sur de nombreux leviers, afin de redéployer ses collaborateurs en fonction des besoins, et recourt à la mobilité géographique et des compétences, ou à l’intensification des sessions de formation. Un fait semble avéré : la multiplication des secteurs d’expertise et la diversité des clients sont un facteur de résilience. Pour Marc Borensztein, président d’Igrec Ingénierie, dont aucun client ne « représente plus de quelques pourcents de son chiffre d’affaires », cette polyvalence lui permet non seulement de résister, mais aussi de continuer à gagner des marchés.
Les stratégies développées par les ingénieristes pour répondre à la crise sont nombreuses et variées. En voici quelques-unes :
1 - Jouer la polyvalence. Certains secteurs de l’ingénierie souffrent davantage que d’autres. Il peut être opportun de miser sur les plus porteurs, par exemple en réaffectant en interne une partie des expertises sur des domaines connexes.
2 - Redéfinir sa stratégie commerciale. Une sous-charge de travail peut être l’occasion de fidéliser ou de réactiver les contacts noués avec des partenaires et clients. C’est aussi l’occasion de prospecter pour trouver de nouveaux clients.
3 - Favoriser la mobilité géographique. Lorsque l’entreprise possède plusieurs agences, l’affectation temporaire de collaborateurs sur des zones géographiques moins touchées que d’autres peut aider à traverser les moments difficiles.
4 - Optimiser les coûts de fonctionnement. L’objectif est ainsi de retrouver les conditions de la viabilité économique.
5 - Investir dans l’innovation et la veille technologique. En prévision d’une amélioration de la conjoncture ou de l’émergence de nouveaux marchés.
6 - Tenter l’aventure à l’export. Pour trouver ailleurs de quoi compenser la chute des marchés sur le territoire national.
7 - Investir dans la formation. En mettant à profit une période de sous-charge de travail.
8 - Veiller à sa bonne santé financière. Ce qui permet de conserver la confiance des banques pour financer sa croissance.
9 - Etre attentif et exigeant sur les conditions de réalisation des contrats. Il s’agit de ne pas tomber dans la spirale négative de la réduction des honoraires et des marges. Certains travaillent à perte, parfois même sans s’en apercevoir !
10 - Avoir confiance en l’avenir. Tout simplement !
A l’inverse, la spécialisation peut s’avérer payante quand le champ d’expertise considéré est rare ou a le vent en poupe. C’est le cas de Paul-Etienne Davier, jeune directeur d’AI Environnement, bureau d’études spécialisé dans la conception environnementale des bâtiments (voir son témoignage page précédente). Portée par la lame de fond de la transition énergétique, sa société a la chance d’être « quasiment en surcharge », et de plus en plus sollicitée et retenue pour des concours.
Dans un contexte national en berne, la tentation de l’export est grande car, comme le rappelle Nicolas Jachiet, « les opportunités y sont nombreuses dans nos différents métiers ». Les ingénieristes qui y sont déjà présents veulent tous y accélérer leur développement. Yves Gillet, par exemple, s’est donné pour objectif de faire passer de 25 à 35 % la part de l’international dans son activité d’ici à cinq ans. Pour les bureaux d’ingénierie plus petits, « l’export pourrait aussi être une solution », comme le considère Michel Pichon, directeur général d’Ingénierie 84. Mais, à moins de pouvoir saisir une opportunité ponctuelle, la prospection à l’international demande du temps et des moyens. Si des outils existent déjà, Nicolas Jachiet propose d’aider et d’accompagner les PME dans leur aventure à l’export.