Le démarrage a été plus lent qu'espéré. En octobre 2021, le Ségur de l'investissement avait acté une enveloppe de 7,5 Mds € destinée aux opérations de construction ou de rénovation des établissements de santé. A ce stade, selon le Conseil scientifique des investissements en santé (CSIS), 2,3 Mds € ont été engagés, subventionnant les projets à hauteur de 23 à 86 % selon les stratégies régionales, soit 34 % en moyenne. Au total, 306 projets d'un budget supérieur à 20 M€ ont été identifiés par les agences régionales de santé (ARS), dont 73 % devraient être validés d'ici la fin de l'année. Sur 24 projets d'un budget supérieur à 150 M€, 10 ont franchi l'étape de la soutenabilité financière.
Les raisons de ces lenteurs, selon le Pr François-René Pruvot, président du CSIS, sont multiples. « Avec l'annonce du Ségur, les hôpitaux ont reboosté leurs projets. Les idées n'étaient donc pas aussi matures que souhaité. Et les opérations étant complexes, nous avons mis en moyenne 22 mois pour les finaliser. » Les décaissements n'ont donc démarré qu'au premier semestre 2024.
La conjoncture a accru les difficultés à boucler les financements. « Les établissements hospitaliers ont été victimes d'un triple phénomène, analyse Cécile Chevance, responsable du pôle offres à la Fédération hospitalière de France. D'abord, l'inflation : les enveloppes se sont retrouvées insuffisamment calibrées. Ensuite, les taux d'intérêt ont augmenté. Enfin, les établissements ont vu leur situation financière se dégrader et, donc, leur capacité d'autofinancement diminuer. » A cela s'ajoute une autre difficulté : le fait d'agir dans le cadre d'un plan, en étudiant tous les projets en même temps, crée un goulot d'étranglement chez les entreprises du BTP capables de répondre aux contraintes de la construction hospitalière.
Ambitions réduites. L'ARS d'Occitanie, par exemple, a dû revoir une partie de ses projets pour pouvoir les mener à enveloppe constante malgré la hausse des coûts. « Soit nous avons abouti à un phasage, soit nous avons réduit le périmètre. Dans nos projets, quand nous envisagions une construction neuve, nous avons finalement opté pour une réhabilitation avec une simple extension », détaillent Magali Tribodet, cheffe de projet investissement Ségur, et Agathe André-Doucet, architecte urbaniste de l'Etat et conseillère de direction à l'ARS Occitanie.
Face à cette situation, le CSIS a recommandé aux porteurs de projets, notamment les plus grands, de les découper en tranches pour s'assurer d'une validation rapide. C'est le choix opéré par le CHU de Montpellier (Hérault), dont le chantier comprend une multitude de sous-opérations sur des bâtiments distincts.
L'état des finances publiques rend l'avenir d'une partie des projets encore plus incertain, reconnaît François-René Pruvot : « Consigne a été passée de “ déprioriser” les programmes qui ne sont pas encore sortis et montreraient des difficultés de soutenabilité. » Des tractations sont en cours entre les hôpitaux, les ARS et la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Enfin, la disparition annoncée pour fin mars du CSIS, qui jouait un rôle central dans l'accompagnement des projets, pour être « fondu » dans l'Agence nationale de l'appui à la performance des établissements de santé, ajoute encore une dose d'instabilité.
La belle enveloppe du CHRU de Nancy
Le plan de modernisation du CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle) n'a pas volé son titre de deuxième plus gros chantier hospitalier de la décennie en France, derrière Nantes (Loire-Atlantique) et juste devant Marseille Nord (Bouches-du-Rhône). Ce programme planifie à l'horizon 2030 le regroupement de l'ensemble des plateaux techniques disséminés dans la ville sur un lieu unique, l'hôpital de Brabois, à l'ouest de l'agglomération, où deux nouveaux bâtiments totalisant 144 000 m2 seront construits.
Les contours du projet immobilier avaient été esquissés en 2012 en réponse à un taux de vétusté technique élevé (plus de 66 %), des non-conformités en matière de sécurité incendie, ainsi qu'un éclatement de l'établissement sur sept sites, synonyme de surcoûts de transport et de maintenance.
Il doit permettre de réduire la surface totale du CHRU de 40 %, la faisant passer à 262 000 m².
Le programme, pourvu de façades en ossature bois et de planchers mixtes bois-béton, doit sa concrétisation à une enveloppe providentielle de 418 M€ accordée par l'Etat à la suite du Ségur de la santé d'octobre 2021, soit 383 M€ d'aides en capital et 35 M€ d'emprunt aidé. Une manne assortie de l'effacement d'une partie de la dette de l'établissement lorrain à la santé financière dégradée.
Explosion du budget. La signature, le 20 décembre dernier, du marché de maîtrise d'œuvre avec l'agence Michel Beauvais Associés a marqué une nouvelle avancée du projet. Toutes les incertitudes ne sont pas pour autant levées, à commencer par « sa soutenabilité financière » pointée du doigt par la chambre régionale des comptes dans un rapport rendu public trois jours auparavant. L'inflation a fait exploser le budget, estimé au moment du Ségur à 604 M€ TDC. Son chiffrage réactualisé à 915 M€ a incité la maîtrise d'ouvrage à retravailler son dossier pour qu'il redescende à 786 M€ en supprimant certaines constructions, sans coup de pouce supplémentaire de l'Etat.
La défiance des Sages était accentuée par le retrait du programme de la déconstruction d'une barre des années 1960 hébergeant l'hôpital pour adultes (22 M€) et de la déconstruction de l'hôpital pour enfants, alors qu'elles « devront nécessairement être réalisées ». Ce dernier sera finalement réhabilité afin d'y loger ses services administratifs.