Enquête

Foncier : la France entend surfer sur la révolution IA

Electricité peu chère, infrastructures solides… Le pays dispose de sérieux atouts pour accueillir des centres de données et compte simplifier les procédures administratives pour faciliter leur implantation.

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La majorité des sites « prêts à l'emploi » retenus pour accueillir des data centers se trouvent dans la moitié nord de l'Hexagone.

La France, terre promise des data centers en Europe ? Les 109 Mds € d'investissements privés français et étrangers annoncés par Emmanuel Macron lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA) à Paris début février devraient y contribuer. Une grande partie de cette enveloppe vise en effet à développer l'offre de ces bâtiments énergivores. Actuellement, le pays en compte plus de 300, dont les deux tiers comptent plusieurs locataires : ETI, PME, collectivités… Les autres sont détenus et utilisés par une même entreprise, des télécoms par exemple, ou entrent dans la catégorie hyperscale, c'est-à-dire qu'ils répondent à des besoins importants, ceux des Gafam principalement.

Après les réseaux sociaux, l'e-commerce, le streaming, le cloud, voici donc l'IA. A l'aube d'une nouvelle « révolution technologique » comme la qualifie l'Elysée, le pays ne manque pas d'atouts pour se démarquer sur fond de concurrence européenne. D'un point de vue énergétique, la France marque des points avec son électricité bon marché et décarbonée à 95 %, met en avant le gouvernement. « Pour des raisons de délais de raccordement et de coûts, les data centers sont situés à proximité des postes de transformation et demain, comme aux Etats-Unis, des centrales nucléaires », observe Pierre-Louis Dumont, directeur exécutif Industrie & Logistique au sein de la société de conseil en immobilier CBRE.

Câbles sous-marins. Autre point fort : 90 % du territoire métropolitain est couvert par la fibre optique, ce qui permet de faire communiquer les data centers entre eux à une vitesse optimale. Outre son réseau fiable, « les pannes de plus de trois minutes surviennent moins d'une fois tous les dix ans », certifie le gouvernement. Sa faible exposition aux séismes et autres risques naturels pouvant compromettre un service continu 24 h/24, 7 j/7 est également mise en avant. Enfin, via les câbles sous-marins, l'Hexagone est connecté à l'Amérique du Nord, au Royaume-Uni, à l'Afrique et à l'Asie. D'où le développement de deux pôles en régions, à Bordeaux (Gironde) et Marseille (Bouches-du-Rhône). Demeure un frein : le manque de foncier autour du port phocéen, proche de la ville. En effet, pour un centre de données d'une puissance moyenne (de 30 à 100 MW), il faut compter entre 4 et 5 ha, selon CBRE. Sont exclus les terrains en zone inondable, et la présence d'une station-service, d'une usine chimique ou d'un aéroport dans un rayon de plusieurs kilomètres, selon le danger potentiel, est éliminatoire. « La chute d'un avion est très peu probable mais la culture du zéro risque prend le dessus au nom de la continuité de service », souligne Charlotte Innocentini, consultante data center chez CBRE.

Les constructeurs-exploitants qui se partagent le marché français n'ont pas attendu la pluie de milliards annoncée pour se positionner. Le leader mondial américain Equinix compte déjà 11 data centers, dont le dernier a été inauguré le mois dernier à Meudon (Hauts-de-Seine). Couvert de panneaux photovoltaïques et doté d'un toit phonique pour lutter contre la pollution sonore, l'édifice de 20 475 m² peut héberger « des charges de travail intensives telles que les applications reposant sur l'intelligence artificielle », assure la multinationale.

De son côté, le français Data4 vise un quadruplement de son chiffre d'affaires d'ici 2030 depuis qu'il a été racheté en 2023 par le fonds d'investissement canadien Brookfield. A ce tournant de son histoire, il annonçait un plan d'investissement de plus de 7 Mds € en Europe, également d'ici 2030. Se présentant comme l'alternative aux hébergeurs américains et asiatiques, Data4 communique une puissance combinée de 505 MW au sein de son parc français. Car ce qui compte, ce ne sont pas les m² comme dans les autres classes d'actifs immobiliers… Présent en Allemagne ou encore en Italie, le groupe finance, conçoit, construit, détient et exploite 21 data centers répartis dans deux campus en Essonne. « Nous nous appuyons sur des partenaires technologiques français et internationaux de premier plan, comme Schneider Electric, Vertiv ou Legrand pour garantir la performance et la fiabilité de nos infrastructures », affirme Alexandre Delaval, son responsable dans l'Hexagone. Onze nouveaux bâtiments sont à construire, notamment dans son « PAR03 ». Comme les autres sites de Data4, celui-ci sera situé en Essonne, mais aura la particularité d'être dédié à l'IA.

Au-delà des spécialistes, des profils généralistes émergent, tels les promoteurs ou les contractants généraux.

Relais de croissance. Au-delà des spécialistes, des profils généralistes émergent. Le contractant général GSE, connu pour ses bâtiments logistiques, industriels et de bureaux, vise un rythme annuel de deux à quatre mises en chantier en France. Lors de la phase d'appel d'offres de l'investisseur ou de l'entreprise utilisatrice, le groupe, présent dans six pays européens et en Chine, s'appuie sur une équipe interne qui chiffre le projet, répond aux sujets techniques et organisationnels… Des bureaux d'études l'accompagnent sur la certification environnementale, les pré-études voirie et réseaux divers… Un chantier coordonné par GSE peut démarrer en blanc, c'est-à-dire sans acquéreur. « Avec des risques importants d'exploitation car les besoins, en particulier sur le système de refroidissement, sont très différents selon les clients finaux », observe Elodie Michaels, directrice du développement de data centers en Europe du groupe.

Des promoteurs immobiliers ont également senti le bon filon. Citons la démolition-reconstruction d'un ancien data center des annuaires France Télécom à Pessac (Gironde) pour lequel Orange avait lancé un appel d'offres. Annoncé mi-2024, ce projet en copromotion est porté par Capelli - placé en redressement judiciaire début mars - et Sogeprom. De son côté, le groupe Altarea a lancé Nation Data Center en 2022, au début de la crise du logement neuf, son activité principale. Cette filiale d'une vingtaine de salariés (développement, ingénierie…) ambitionne de créer 15 data centers d'ici 2030. Le premier, à Noyal-sur-Vilaine (Ille-et-Vilaine), vient d'être mis en service. « Développées et conçues par nos équipes, nos infrastructures s'appuient sur des sources d'énergie renouvelable et valorisent la chaleur fatale produite, en la redistribuant dans les réseaux de chauffage urbain », illustre Nation Data Center, qui planche à la fois sur la conception de bâtiments neufs et la réhabilitation-extension. Ce marché fait partie des nouveaux « métiers » du groupe censés générer sa croissance dans le futur.

Outre ces promoteurs en quête de diversification, Prologis, développeur de bâtiments logistiques qu'il exploite ensuite, « souhaite accroître ses investissements dans l'IA et les data centers, en particulier dans l'Hexagone », sans donner de montant précis. A l'échelle mondiale, le groupe américain a converti 29 entrepôts en centres de données depuis 2014. En Ile-de-France, la foncière prévoit d'investir 3,5 Mds € dans un data center de 400 MW. Enfin, dans d'autres métiers, des acteurs se sont spécialisés dans ce marché de niche. Présent à Londres, Milan et Madrid, l'agence d'architecture RBA a notamment conçu un bâtiment pour Equinix à Pantin (Seine-Saint-Denis). La société d'ingénierie française Critical Building cite, elle, parmi ses références des centres de données pensés pour des institutions ou des entreprises, comme la Banque de France ou EDF.

Projets d'intérêt national majeur. Si les atouts sont nombreux, les freins à l'implantation des projets le sont tout autant : la complexité des procédures, la longueur des instructions, le manque de transparence et de coordination entre les administrations représentent « le talon d'Achille » de la France à cet égard, relevait Nicolas Walker, avocat associé du cabinet Reed Smith lors d'une conférence organisée en fin d'année dernière. Aussi, dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique dont l'examen - suspendu en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale -devrait reprendre prochainement, le gouvernement entend-il doter les data centers d'un cadre propice à leur implantation. Comment ? En identifiant ces locaux comme des « projets d'intérêt national majeur » (PINM).

Si les atouts sont nombreux, les freins à l'implantation des projets le sont tout autant.

Cette qualification, qui interviendra par décret, leur permettra de bénéficier de plusieurs mesures de simplification : mise en compatibilité accélérée par l'Etat des documents de planification et d'urbanisme ; délivrance du permis de construire par l'Etat ; procédures de raccordement accélérées ; reconnaissance anticipée d'une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), nécessaire à l'obtention d'une dérogation espèces protégées. Attention toutefois, tous les data centers ne bénéficieront pas de ce privilège. Seuls ceux qui revêtent « eu égard à [leur] objet et à [leur] envergure, notamment en termes d'investissement et de puissance installée, une importance particulière pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale » pourraient être qualifiés de PINM.

Autre coup de pouce envisagé par le Sénat lors de l'examen du texte en octobre dernier : les implantations industrielles et les PINM ne seraient pas comptabilisées dans la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers pour la période 2021-2031.

Image d'illustration de l'article
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Les Hauts-de-France tirent leur épingle du jeu

Début février, lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle à Paris, le fonds d'investissement canadien Brookfield annonçait une mise de fonds de 20 Mds € destinée à l'implantation de plusieurs data centers en France d'ici 2030. Le parc logistique E-Valley, près de Cambrai (Nord), va accueillir l'un des plus importants. D'une puissance de 80 MW à son ouverture en 2026, il passera à 400 MW en 2028, avant d'atteindre 1 GW à terme. Le temps pour RTE et Enedis d'être en mesure d'acheminer une telle quantité d'énergie. Le data center abritera un campus de formation, une partie hébergera des serveurs pour les entreprises et une autre sera dédiée à l'IA.

Brookfield va injecter entre 2 et 3 Mds € pour construire le mégadata center cambrésien. Deux autres sites ont également été retenus par le second fonds immobilier mondial, pour un investissement total compris entre 6 et 9 Mds €. Si leur localisation n'est pas encore connue, on sait déjà qu'ils prendront place dans les Hauts-de-France. « Depuis le début du projet en 2014, nous rêvions d'emmener E-Valley et la région à la pointe de l'industrie numérique », se félicite David Taïeb, P-DG de Castignac, propriétaire et aménageur de l'ancienne base aérienne de 320 ha, aujourd'hui nantie de 450 000 m2 SP d'entrepôts. Cette société immobilière, spécialisée dans les infrastructures logistiques, était née en 2021 de la fusion du groupe BT-Immo de David Taïeb avec… Brookfield.

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