Les plans d'occupation des sols sont-ils un outil pour limiter les surfaces constructibles ? Les élus pratiquent-ils un certain « malthusianisme » ? S'il est difficile de généraliser, les aménageurs et les construc- teurs se plaignent de cette situation.
Ce constat est difficilement chiffrable et il paraît paradoxal dans la mesure «où 80 % de la population est rassemblée sur 20 % du territoire », rappelle Pierre Hérisson, sénateur-maire de Sévrier (voir encadré ci-contre). « Il y a effectivement beaucoup d'espace en France, mais il n'est pas situé là où on en a besoin ; ce qui compte, ce sont les endroits où les gens habitent, c'est-à-dire à proximité des agglomérations », répond Guy Portmann, P-DG du groupe France-Terre, une entreprise spécialisée dans l'aménagement.
Les aménageurs possèdent quelques indicateurs de la restriction des surfaces de terrains à bâtir. « Tout d'abord, nos adhérents éprouvent beaucoup de difficultés à renouveler leurs stocks de terrains », explique Isabelle Baer, déléguée générale du Syndicat national des aménageurs lotisseurs (Snal). Selon le Snal, dans l'agglomération bordelaise, les années précédentes, il y avait 1500 terrains à bâtir disponibles par an, alors que depuis deux ans, ce chiffre est tombé à 500. Dans l'agglomération nantaise, la production de surfaces constructible aurait été divisée par deux.
Première raison de cette restriction des terrains à bâtir avancée par les élus : le problème de l'accueil de populations nouvelles. Les nouveaux arrivants peuvent mettre en péril la base électorale de l'élu en place. En outre, les habitants sont souvent hostiles à ce que de nouveaux arrivants soient accueillis dans la commune, surtout lorsque ces derniers ont des revenus modestes. « Il nous arrive d'observer des communes qui créent alors volontairement une pénurie et freinent leur capacité d'accueil », reconnaît Paul Schwach, directeur de l'aménagement foncier et de l'urbanisme (Dafu).
Des contraintes de financement et de réglementation
Autre raison à cette restriction de terrains constructibles : le financement des équipements. En effet, qui dit nouveau quartier dit aussi nouvelle école, nouvelles routes et cela augmente la pression fiscale sur les habitants de la commune en attendant que les nouveaux arrivants contribuent à leur tour au financement des équipements.
« La loi Sapin de 1993, la loi Bosson de 1994 et la jurisprudence récente ont limité les contributions versées par les aménageurs à la commune pour la construction de nouveaux équipements. Cela n'incite pas les villes à engager des dépenses importantes », reconnaît Guy Portmann. Les communes avaient, en effet, l'habitude de faire reposer les efforts financiers destinés aux équipements sur les aménageurs, même si les contributions dépassaient les besoins du nouveau quartier. Cette habitude n'a plus cours.
Autre raison pour laquelle les élus restreignent les surfaces des terrains constructibles : le manque de foncier. La loi littoral, la loi montagne, les zones inondables, les plans de prévention des risques peuvent imposer le classement en zone inconstructible d'une bonne partie des terrains d'une ville, ce qui limite son développement. Les villes situées le long de la Loire sont notamment très touchées par ce problème, car elles doivent tenir compte des risques de crues dans leurs POS.
Des POS restrictifs
Le plan d'occupation des sols est l'instrument privilégié utilisé par les élus pour limiter le développement urbain. « Le POS n'est pas responsable de cette situation, il n'est qu'un outil au service d'une politique. Il permet d'accentuer le développement ou, au contraire, de créer une pénurie de terrains », précise Patrick Hocreitère, conseiller pour les affaires juridiques à la Dafu.
Plusieurs solutions s'offrent à l'élu qui souhaite restreindre la surface totale des terrains à bâtir. Il peut classer les terrains en zone NC (de richesses naturelles), ce qui est souvent bien perçu par la population. Il peut aussi créer des zones NA (d'urbanisation future). La zone peut également être à règlement alternatif, c'est-à-dire que sa constructibilité ne peut se faire que dans le cadre d'un plan de masse ou d'un schéma d'organisation, ce qui interdit a priori la construction d'une maison isolée. Cette zone peut être aussi zone NA stricte, c'est-à-dire sans règlement, et elle reste inconstructible jusqu'à ce que le POS soit modifié. Dans tous les cas, ces zones sont rendues difficilement constructibles.
Le classement en zones NB, desservies partiellement par des équipements qu'il n'est pas prévu de renforcer, est aussi un moyen de limiter l'urbanisation. Cela revient à figer la zone telle qu'elle est, et à pas admettre des constructions nouvelles.
Dans le contenu même du règlement, les articles 5 à 9 qui régissent les règles d'implantation des bâtiments, peuvent permettre de limiter la constructibilité du terrain. L'article 5 peut notamment réglementer la superficie minimale requise pour qu'un terrain puisse être constructible, ou sa largeur de façade sur rue. Cela permet d'obtenir une urbanisation aérée. L'article 10 réglementant la hauteur des constructions peut aussi contribuer à cette faible densité.
Autre moyen permettant de limiter la construction : le coefficient d'occupation des sols (COS). L'article 14 permet de fixer un coefficient d'occupation des sols déterminant la densité maximale de la construction susceptible d'être édifiée sur un terrain. Les COS alternatifs peuvent faire varier le coefficient en fonction de la superficie des terrains pour favoriser les regroupements parcellaires et les COS différenciés permettent de privilégier l'habitat ou le commerce.
Le danger du malthusianisme
Si le POS est utile aux élus pour limiter l'urbanisation, reste que tout cela doit être justifié par des motifs d'intérêt général et expliqué dans le rapport de présentation. « Si une commune décide de rendre inconstructible une zone parfaitement équipée, le juge administratif pourra annuler cette décision. Le POS doit justifier qu'il préserve les espaces naturels mais aussi qu'il dégage les espaces nécessaires pour satisfaire aux besoins de la population », a expliqué Philippe Baffert, chargé de mission à la Dafu, lors du dixième congrès du Snal.
Depuis l'entrée en vigueur de la LOV, en 1991, les communes situées dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants (dans lesquelles la pression foncière est la plus forte) doivent accueillir des logements sociaux à hauteur 20 % du total des logements de la commune. Les villes n'ont donc théoriquement pas le droit de refuser de construire du logement, et elles sont tenues d'élaborer des programmes locaux de l'habitat (PLH). Les communes qui ne remplissent pas ces objectifs doivent s'acquitter d'une amende. Ces PLH ont d'ailleurs été, bien souvent, l'occasion pour les communes de faire l'état des lieux de leur foncier disponible et des besoins de la commune (voir « Le Moniteur » du 5 décembre 1997, page 54).
Le POS doit aussi respecter les orientations du schéma directeur. Si celui-ci prévoit une zone d'extension de l'urbanisation, il sera impossible à la commune de la rendre inconstructible. Cependant, si le POS doit être compatible avec le schéma directeur, il n'est pas forcément conforme. « Les communes peuvent donc construire au minimum de ce qui est demandé par le schéma directeur, et c'est ce qui se passe en Ile-de-France », regrette Guy Portmann.
De nombreux élus sont d'accord pour dire que le malthusianisme est dangereux. En effet, lorsqu'une ville ne renouvelle pas ses habitants, la population vieillit, les écoles se vident et les commerces dépérissent. A trop vouloir restreindre la constructibilité, les villes peuvent être en danger. « Certes, il ne faut pas construire n'importe quoi, mais trouver un équilibre entre le développement et le respect de l'environnement et de l'existant. Pour cela, il faut faire des études préalables, même si elles coûtent cher », affirme Christophe Lanceau du cabinet Béca Environnement.
L'exemple de Crégy-lès-Meaux (77), ville de 3 000 habitants, montre qu'une ville peut se développer harmonieusement. A Crégy, la population a été multipliée par cinq ces vingt dernières années. Pour planifier ce développement, des études importantes ont été menées et « un de nos premiers soucis a été de fournir une offre diversifiée de logements. Il ne faut pas qu'il n'y ait que du pavillon. L'immeuble permet aussi de structurer un quartier. Il répond aussi à un besoin des personnes âgées, ou à des jeunes qui ne peuvent pas s'acheter tout de suite une maison », explique Robert Le Foll, maire de Crégy-lès-Meaux. Afin de respecter l'urbanisation existante, le projet a été fait de ne pas construire au-delà de deux étages (plus les combles), et une sorte « d'étude de marché » a été réalisée pour savoir qui venait habiter sur la commune afin de répondre exactement à la demande.
Cependant, il n'est pas certain que des études au niveau de la seule commune soient suffisantes. En effet, l'agglomération ou le bassin d'emploi semble plus pertinent pour prendre en compte le développement urbain et les équilibres fonciers. Peut-être le développement de l'intercommunalité réclamé par de nombreux acteurs permettrait-il d'apporter des solutions au problème de l'offre foncière.