Négoce – La distribution bâtiment est passée par plusieurs étapes durant les deux mois de confinement. Comment le redémarrage s’est-il passé ?
Franck Bernigaud – Nous avons observé une forte accélération la semaine qui a précédé le 11 mai. Beaucoup de négoces indépendants ont anticipé la réouverture au public, notamment parce que les grandes surfaces de bricolage avaient rouvert et que certains n’ont pas voulu attendre davantage pour redémarrer officiellement. Avec toutes les mesures de distanciation et d’accueil spécifiques à cette période, nous pouvons rouvrir à 100 % ce 11 mai. C’était d’autant plus nécessaire que la pression de nos clients s’accentuait, de même que celle de nos équipes.
Est-ce le drive qui mettait vos équipes en tension ?
Oui, le drive devenait intenable dans beaucoup de négoces. Nous n’avons pas le système informatique suffisant, et le stress pour les équipes en place est important, du fait d’un nombre élevé d’appels téléphoniques et d’opérations à effectuer sur chaque commande.
Côté coûts, l’explosion du drive et de la livraison sur chantier vous inquiètent-ils ?
Avec le drive, le rendement d’une commande est nécessairement dégradé. Mais le drive étant également contraignant pour les clients, nous avons observé une hausse significative du panier moyen.
Du côté des livraisons, c’est une question très ancienne pour la profession : nous ne savons pas répercuter le coût de transport. De mon point de vue de négociant local, la période que nous venons de traverser a toutefois créé un réflexe nouveau parmi nos équipes, qui ont mieux su facturer ce service, ce que nos clients ont également mieux accepté.
Les mesures sanitaires à mettre en place dans les points de vente ajoutent également des coûts. Sont-ils absorbables ?
Les gants, les masques, le gel, le Plexiglas… Tout cela représente des sommes à investir, mais nous n’avons pas le choix. Nous aurons du mal à répercuter la totalité de ces coûts, mais à nous d’être malins dans la durée et de remonter certains prix de vente !
Vos clients, eux aussi exposés à des surcoûts, ne risquent-ils pas le vivre assez mal ?
Nos clients font eux aussi face à des coûts nouveaux, qui peuvent les placer dans des difficultés importantes, ainsi qu’à des baisses de rendement. Les chantiers, en particulier les grands chantiers, vont avancer moins vite, car plusieurs équipes ne pourront pas toujours travailler en même temps. Toute la filière va donc faire face à un accroissement de ses coûts, et il va bien falloir les répercuter. Tout cela, de façon inévitable, renchérira le coût du bâtiment.
Dans une période où la construction s’est presque arrêtée, mais où les négoces sont restés ouverts, vos adhérents se sont-ils fragilisés financièrement ? Craignez-vous pour leur pérennité ?
L’activité a fortement ralenti, mais nos coûts fixes ne réduisent pas d’autant, la masse salariale n’étant qu’une partie de nos frais généraux. Cela dit, les négoces ont adapté la voilure, grâce au chômage partiel et aux aides apportées par l’Etat. Il faut reconnaître que beaucoup de mesures efficaces ont été prises, que les décalages de remboursement d’échéances ont souvent été enclenchés automatiquement, et que pour l’heure le taux d’impayés reste relativement bas.
J’ajouterai que, à mon sens, la construction a moins ralenti que ce que les indicateurs publiés pendant la crise peuvent laisser penser. Beaucoup d’entreprises artisanales ne se sont pas arrêtées, même si elles ont tourné au ralenti, et c’est pourquoi le négoce a souhaité continuer à jouer son rôle. L’activité des TPE a été difficilement quantifiable, mais tout un tissu local a continué ses chantiers durant le confinement.
Mi-avril, la FNBM a alerté le gouvernement sur les pratiques des assureurs crédit. L’affaire s’est-elle résolue ?
Nous espérons avoir été entendus par le ministre. Mais nous n’avons pas eu de retour précis des assureurs crédit. Alors qu’ils s’étaient engagés à ne pas rééditer ce qui s’était produit en 2009, avec des décotes massifs et arbitraires, nous avons observé l’inverse. Sans tenir compte de nos résultats 2019 qui commençaient à être publiés ni de notre engagement dans cette situation exceptionnelle, ils nous ont infligé des décotes qui, quoi qu’ils en disent, ne reposaient ni sur des critères objectifs ni sur des analyses individuelles.
Craignez-vous que la crise économique qui s’annonce entraîne des défaillances chez les clients du négoce ?
Oui, bien sûr, nous redoutons des défaillances. Il y en aura certainement parmi les artisans, mais la vigilance s’impose surtout pour les PME sous-traitantes de gros donneurs d’ordres. D’ailleurs, des mécanismes sont à l’étude pour prévenir ce danger.
Quels ont été vos rapports avec vos fournisseurs durant la période de confinement ?
Nous avons eu des rapports globalement très bons. Dans l’ensemble, les fournisseurs ont su s’adapter au négoce et se sont montrés solidaires. Nous observons, au redémarrage de l’activité, quelques tensions sur certains produits, mais dans l’ensemble la chaîne fonctionne bien. La FNBM a beaucoup échangé avec l’AIMCC, et j’ai reçu nombre d’appels de responsables industriels s’interrogeant sur l’ouverture des négoces. Notre rôle de rouage essentiel dans la chaîne de valeur de la construction est clairement apparu durant cette crise. Le négoce a d’ailleurs été entendu non seulement par la filière, mais aussi par le gouvernement.
La digitalisation s’est invitée dans vos entreprises de façon plus marquée. Faut-il y voir un tournant ?
La crise sanitaire a sans aucun doute été un accélérateur de la digitalisation. Le clic & collect existait depuis longtemps chez certains acteurs, mais n’était pas toujours fortement utilisé. Nous verrons très bientôt si l’envolée que nous avons connue n’était qu’un feu de paille. Mais il me paraît évident que de nouvelles façons de vendre vont émerger, même si tous les clients ne sont pas encore prêts à basculer. •