Logement : la décrue se poursuit » (« Le Moniteur », 9 août 2024), « La construction neuve continue de dégringoler » (lemoniteur.fr, 30 avril 2024), « La crise du logement, une crise structurelle et multifactorielle » (lemoniteur.fr, 12 février 2024), « Le volume de logements autorisés au plus bas depuis vingt ans » (lemoniteur.fr, 17 novembre 2023), « Logement : autorisations et mises en chantier reculent » ( lemoniteur.fr, 29 mars 2023), etc. Les mois passent, la litanie demeure : la France ne parvient pas à loger ses habitants et ne construit pas assez, en particulier dans les « zones tendues ». Fin 2023, plus de 2,6 millions de ménages se trouvaient ainsi en attente d'un logement social.
Tous les indicateurs dans le rouge. Air connu : le « choc de l'offre » promis début 2024 par Gabriel Attal fait écho au même « choc » évoqué par Emmanuel Macron en 2017. Avec les résultats qu'on sait : une chute que rien ne semble pouvoir arrêter. On comptait ainsi 82 000 logements sociaux financés en 2024, contre 125 000 au cours de la première année du quinquennat (2017), selon le ministère de la Transition écologique. Le tout sur fond d'effondrement du nombre de permis de construire accordés, de hausse des taux d'intérêt, de flambée du coût des matériaux et de manque de foncier disponible, en particulier dans les grandes villes.
Désamorcer cette « bombe sociale », ainsi que la qualifie la fondation Abbé-Pierre dans son 29e rapport annuel sur le mal-logement, passera notamment par la reconversion du « déjà-là » dans toute sa diversité : anciens locaux d'activité ou d'enseignement, bureaux obsolètes, appartements vétustes, etc. Autant d'occasions de donner une nouvelle vie au patrimoine ordinaire, en le remettant aux normes actuelles et en l'adaptant à l'inéluctable changement climatique.
Ilot urbain composite : manufacture, école d'ingénieurs, et aujourd'hui logements
«La transformation de l'îlot Télécom Paris Tech est sans doute le plus gros projet en cours dans le XIIIe arrondisse ment », estime l'architecte Anne-Charlotte Zanassi, associée avec Dominique Vitti de l'Atelier Philéas.
Le site ? Les anciens locaux de l'Ecole nationale supérieure des postes et télécommunications (ENSPTT), fondée en 1888, puis installée dans le siège historique de la manufacture de gants Neyret en 1938, rue Barrault, sur le flanc ouest de la Butte-aux-Cailles. Poursuivant ses vies multiples, l'école d'ingénieurs, devenue Télécom Paris, quitte la capitale en 2019 pour rejoindre le campus de Saclay (Essonne).
Les immenses locaux sont acquis dans la foulée par la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) en vue de les transformer - notamment - en logements.
Trois agences (Savoir-fair Architecture, Atelier Philéas et Itar Architectures) s'attellent à la tâche et se partagent, à quasi-parts égales, le gâteau de la métamorphose de l'îlot, soit six bâtiments et 31 000 m² SP, conduite par l'entreprise générale GTM pour un coût global de 76 M€ HT.
« Respecter l'existant et ses qualités intrinsèques ».
En charge des bâtiments A (rue Vergniaud) et C (rue Barrault), l'Atelier Philéas voit dans cette opération un « démonstrateur » : « Il y a là une formidable opportunité de réhabilitation, de requalification urbaine et sociale, et de modernisation du patrimoine existant », souligne Anne-Charlotte Zanassi.
Pour autant, « la transformation de ce type d'immeuble en logements requiert une grande subtilité d'approche. La mise aux normes de confort actuelles doit respecter l'existant et ses qualités intrinsèques », précise-t-elle. Rue Vergniaud, 22 logements familiaux ont ainsi vu le jour dans l'édifice des années 1960 qui accueillait des chambres d'étudiants, des bureaux, des salles de travaux pratiques et autres laboratoires. « Bien que désuet, il était déjà très élégant », note l'architecte. Généreux et traversants, les nouveaux appartements en étage sont complétés par la création, plutôt rare, de souplex éclairés via une cour anglaise remaniée et végétalisée. « Ici, même les petits logements sont grands ! » s'amuse l'architecte.
Rue Barrault, dans la bâtisse des années 1920, l'approche était plus complexe. Déjà objet d'interventions antérieures - ajouts d'escaliers et de volumes parasites, couronnés du réfectoire de l'école en surélévation - l'ensemble a été désamianté et repimpé en attique par une vêture en verre émaillé bleu pâle. Elle abrite à présent 95 logements sociaux, dont 10 ateliers d'artistes en rez-de-chaussée qui tirent parti d'une belle hauteur sous plafond. « Nous avons mis en valeur ce patrimoine remarquable en supprimant les ajouts et en conservant certains éléments d'époque, comme l'escalier intérieur. Ici, on n'a pas l'impression de livrer un produit, mais bien du logement », souligne Dominique Vitti.
Vue axonométrique des bâtiments de l'îlot restructurés par l'Atelier Philéas. Serres et toiture végétalisée prennent place sur la bâtisse historique.
Vue depuis le porche de la rue Daviel vers la nouvelle loge du gardien et le local à vélos. Cheminement pavé et mur mitoyen ont été rénovés.
Dix logements-ateliers d’artiste en double hauteur ont été aménagés dans le bâtiment historique de la rue Barrault.
Information technique
Maîtrise d'ouvrage : RIVP.
Maîtrise d'œuvre : Philéas Architecture (architecte). BET : CET Ingénierie (TCE), Plan02 (thermique, HQE), Moabi (paysage).
Entreprise générale : GTM Bâtiment.
Surfaces : 1 984 m² SP (bâtiment A), 7 956 m² SP (bâtiment C).
Livraison : mars 2024.
Coût des travaux : 26,3 M€ HT.
Barre des années 1950 : une résidence transfigurée par des jardins d'hiver
A la fin des années 1950, la SNCF souhaite héberger des cheminots et leurs familles près de la gare des Batignolles, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Elle fait alors construire, avenue de Clichy, une barre de 11 étages comportant 101 logements. Réhabilitée en 2023 par sa filiale ICF Habitat La Sablière, cette résidence accueille toujours des salariés de la Société nationale des chemins de fer français. Mais le site ferroviaire qu'elle bordait auparavant a été remplacé par un écoquartier. « Le caractère terriblement ordinaire de cette barre, sans rapport au sol ni au ciel, nous a permis d'avoir les coudées franches pour la transformer, indique Danyel Thiébaud, architecte associé de l'atelier Ithaques et les Litotes, chargé du projet en 2017. Nous avons réécrit sa physionomie pour qu'elle s'inscrive au mieux dans la ZAC Clichy-Batignolles dont elle marque l'entrée. »
Appartements agrandis. Au rez-de-chaussée, un restaurant s'est installé dans le prolongement du socle du bâtiment, occupé par un garagiste. Tandis qu'au dernier étage, une charpente métallique blanche redessine les lignes du toit et masque les émergences techniques. Cette blancheur, prescrite pour la ZAC, se retrouve dans l'enduit minéral qui revêt les façades. Celles-ci ont été isolées thermiquement par l'extérieur, en sus de l'ITE déjà réalisée dans les années 1990.
Quant aux fenêtres, elles sont toutes neuves. Mais la plus grande transfiguration de l'édifice se situe côté sud, où de nouveaux jardins d'hiver étendent la surface des appartements : 9 m² en plus pour les T4 traversants et 12 m² pour les T2 mono-orientés. Pour créer cet espace tempéré, il a d'abord fallu intervenir sur la maçonnerie d'origine en briques alvéolaires, en sciant les allèges et en installant des portes-fenêtres. Puis, une structure métallique de 1,50 m de largeur a été rapportée tout le long de la façade. Des panneaux vitrés coulissants permettent d'ouvrir en été et de fermer en hiver cette pièce en plus, dans laquelle chaque habitant peut s'allonger sur un hamac ou bien cultiver des tomates, comme cette résidente (ci-contre) au deuxième étage. « L'intention d'ajouter des loggias était présente dès le début du projet. Toutefois, elle a été consolidée en 2020 par la crise sanitaire du Covid et les confinements successifs que l'on a connus », souligne Fabien Veilpeau, chargé d'opération chez ICF Habitat La Sablière.
« Le budget travaux de la réhabilitation, réalisée en site occupé, s'élève à 7,95 M€ HT, soit un peu moins de 70 000 euros par logement, détaille le maître d'œuvre Danyel Thiébaud. Et le jardin d'hiver pèse à chaque fois pour environ 20 000 euros. Ça n'est pas rien, mais par rapport au surcroît de surface et de confort que cela représente pour les locataires, pour les décennies à venir, ça n'est financièrement pas insurmontable. » Ce patrimoine estimé sans valeur jusqu'à présent en a donc une désormais.
Les travaux de rénovation menés sur cet immeuble des années 1950 ont modifié sa physionomie, du socle à l’attique.
Les locataires bénéficient désormais d’un espace extérieur privatif de 1,50 m de profondeur, qu’ils peuvent ouvrir ou fermer à l’aide de panneaux vitrés coulissants.
Orientés au sud, les jardins d’hiver sont compris dans une structure métallique rapportée.
Information technique
Maîtrise d'ouvrage : ICF Habitat La Sablière.
Maîtrise d'œuvre : Ithaques et les Litotes. BET : Betom (TCE, économie), Cap Terre (environnement), Gamba (acoustique).
Entreprise générale : GTM Bâtiment.
Surfaces : 5 675 m² Shab réhabilités, 937 m² Shab créés.
Coût des travaux : 7,95 M€ HT.
Hôtel post-haussmannien : l'ancien palace, souple par nature
Avec son dôme d'angle oblong et la chantilly des motifs de sa façade en pierre, le 98 quai de la Rapée (XIIe ) dégage un charme rappelant sa vocation première. En 1911, cet imposant immeuble post-haussmannien avait été bâti à mi-chemin entre les gares de Lyon et d'Austerlitz pour accueillir l'hôtel Méditerranée. Mais, dès les années 1920, les chambres avaient laissé place à des bureaux. Récemment encore, la Ville de Paris, propriétaire, y logeait ses services de l'architecture et du patrimoine tandis que le rez-de-chaussée était occupé par les salons de réception Vianey. Doué d'une grande capacité d'adaptation, l'édifice vient à nouveau de changer de destination avec, au début de l'année, la livraison de logements sociaux pour le bailleur social de la Ville de Paris Elogie-Siemp. « Ce bâtiment est effectivement malléable. A l'origine, il a été construit avec peu de moyens - notamment un nombre réduit de matériaux : la pierre, le métal, la brique - mais beaucoup d'intelligence.
Dès les premières études, nous avons su qu'il était réversible », explique l'architecte Patrick de Jean.
Note d'intention. L'agence De Jean Marin, dont il est associé fondateur, dispose d'une solide expertise en réhabilitation et, pour mener cette opération, elle a été retenue par Elogie-Siemp sur note d'intention. « Pour intervenir dans l'existant, le concours n'est pas adéquat car on ne peut pas élaborer un projet avant d'avoir établi le diagnostic. L'analyse fait le projet », poursuit le maître d'œuvre. Quai de la Rapée, cette étape a notamment permis de proposer la réalisation de 71 logements au lieu de la soixantaine envisagée dans l'étude de faisabilité.
L'agence De Jean Marin a ainsi établi que deux courettes pouvaient être supprimées. Dans cet édifice construit en quadrilatère autour d'une cour intérieure, elle a aussi rationalisé les espaces, notamment en concentrant les circulations. La boucle complète de l'ancien corridor central a disparu au profit de deux couloirs parallèles. « Au départ, ce changement était une conséquence de la réglementation incendie mais cette contrainte nous a permis de positionner des espaces traversants, là où il n'en avait jamais existé. » Les quelque 500 fenêtres de 82 types différents, depuis les lucarnes jusqu'aux larges baies aux impostes cintrées, « offraient une souplesse supplémentaire pour composer le plan, ajoute Patrick de Jean. Nous avons fait correspondre les séjours aux plus grandes ouvertures, puis nous y avons adjoint les pièces d'eau. » A partir de ce centre vital, l'agence a déroulé ses plans d'appartements, sans avoir à trop se soucier de la structure du bâtiment tant elle était, également, permissive. « Elle est constituée de poteaux et de poutres métalliques, avec des remplissages de briques, ce qui était assez courant pour les constructions de cette époque marquée par le développement de l'industrie sidérurgique, raconte l'architecte. Nous avions donc la possibilité de percer comme nous le voulions. Une aubaine ! »
La façade sur l’avenue Ledru-Rollin. Au rez-de-chaussée, les anciens salons Vianey ont cédé la place à des activités de l’économie sociale et solidaire ainsi qu’à des locaux de la Propreté de Paris.
Schéma de principe. Les pièces de vie (en rouge) ont été positionnées derrière les plus grandes baies. Les pièces d’eau (en bleu) y ont ensuite été accolées.
L’accès aux logements se fait depuis le quai de la Rapée par ce large vestibule qui traverse tout le bâtiment et dessert les deux noyaux de circulations verticales.
Les nouvelles fenêtres ont été ajustées avec précision aux ouvertures existantes souvent irrégulières, afin d’assurer leur parfaite étanchéité à l’air et au bruit.
Information technique
Maîtrise d'ouvrage : Elogie-Siemp. AMO environnement : Géra'Nium.
Maîtrise d'œuvre : De Jean Marin Associé. e.s (architecte, mandataire). BET : Altéréa (structure, fluides), Gamba (acoustique).
Entreprise générale : Paris-Ouest Construction. Surfaces : 6 515 m² SP dont 5 065 m² SP pour les logements.
Calendrier : lancement du chantier début 2021, réception des logements en février 2024.
Coût des travaux : 13 M€ HT.