Peu de touristes le savent, mais il est de plus en plus probable que leur chambre d'hôtel soit située dans d'anciens bureaux… « Dès que le sujet de la reconversion d'un immeuble tertiaire s'impose, les propriétaires de bâtiments à repositionner nous sollicitent pour envisager un scénario avec un hôtel », confie Sami Mendil, responsable de l'investissement du marché hôtelier de CBRE. La société de conseil est passée de trois sollicitations en 2022 à une quinzaine depuis le début de l'année.
Bonnes affaires dans le bureau. L'impératif de sobriété foncière, contenu dans la loi Climat et résilience de 2021, bouscule le marché. Les investisseurs-exploitants sont à l'affût de bonnes affaires, les propriétaires de bureaux obsolètes pouvant concéder des décotes à deux chiffres. De quoi équilibrer un changement de destination. « 70 % de nos chantiers consistent en la transformation de bâtiments tertiaires durablement inadaptés à la nouvelle demande qui veut de l'horizontalité, des espaces extérieurs, de la hauteur sous plafond et une localisation centrale », observe Xavier O'Quin, président-fondateur d'Edgar Suites. Lancée en 2016, la marque française propose des « suites urbaines » de 50 m² en moyenne, en région parisienne et à Bordeaux, bientôt à Lille (en octobre) et Cannes (l'an prochain). Sont appréciés les actifs de 500 m² à 6 000 m², situés dans des zones denses où le foncier est rare.
Positionné sur le même segment de marché haut de gamme, Archides se concentre sur le bureau francilien, frappé par un taux de vacance historique de 8 % selon Immostat. « Le propriétaire nous fait porter le risque pendant les travaux que nous menons, via un bail commercial », précise Raphaël-Elie Lorin, cofondateur. Chargés de la conception et du suivi de chantier, les 10 salariés de ce nouvel entrant travaillent avec des entreprises tous corps d'état pour créer quelques appartements dans des parties d'immeubles.
Des bailleurs sous pression. L'exploitant peut aussi avancer avec un investisseur, qui rachète le bâtiment à transformer. C'est le cas d'Appart'City, dont les appartements avec services hôteliers sont de moyenne gamme. « Les planètes sont alignées pour transformer les bureaux des années 1980 et 1990, observe Vincent Compagnon, son président. A la frontière du logement, le produit appart'hôtel offre une réversibilité qui rassure les investisseurs. » Refroidis par la remontée des taux d'intérêt (lire encadré ci-contre) , les fonds, banques, assureurs, etc. cherchent à diversifier leur portefeuille, composé essentiellement de bureaux. Le millier d'appartements exploités en France par Appart'City se concentrent dans les métropoles régionales, de Montpellier, son fief, à Angers. L'opérateur cherche à se développer en Ile-de-France, où il est moins présent. Chaque nouvel établissement représente un investissement de 8 M€ à 40 M€ selon la localisation et la taille du projet, à la charge du propriétaire des murs.
Au pays du ZAN, le marché de la reprise d'hôtels est plus dynamique que celui de la construction
Dans la catégorie économique, B&B Hotels tisse aussi sa toile avec les investisseurs. Le locataire-exploitant de 390 hôtels en France, à travers un bail de douze ans renouvelable trois fois, a inauguré 60 nouvelles adresses en 2022 dans l'Hexagone. Pas encore portées par la transformation de bureaux, ces ouvertures sont en majorité le fruit de reprises d'établissements qui appartenaient à des chaînes hôtelières ou des indépendants. « La tendance va se poursuivre, annonce Eric Bourgeois, directeur du développement. Nous aurons cette année entre 40 et 50 ouvertures, à 70 % des reprises. La restructuration du bureau devrait aussi se développer dans les années à venir. » Ce marché de seconde main - bureaux et hôtels - est porté par « les bailleurs, sous pression du dispositif Eco Energie Tertiaire et du décret Bacs. Ils souhaitent se débarrasser de leurs immeubles les moins performants, ce qui leur permet aussi de réduire leur bilan carbone », observe-t-il. Une certitude : au pays du ZAN, le marché de la reprise d'hôtels est plus dynamique que celui de la construction. « Le chantier est moins cher et offre plus de visibilité en termes de loyer aux investisseurs comme les foncières Covivio et Primonial ou les family offices, poursuit-il. Entre la hausse du coût de construction de 10 à 20 % en deux ans et la remontée des taux d'intérêt de 1 à 6 % en un an, la vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) auprès des promoteurs nationaux et régionaux est en panne. »
Friche ferroviaire. Frappons à la porte de Vinci Immobilier, l'un des leaders de la construction-restructuration d'hôtels. Ces dernières années, ce marché a représenté entre 5 % et 8 % du chiffre d'affaires global du quatrième promoteur de France. Quatre des six chantiers en cours cochent la case du recyclage urbain, à l'image d'un ancien bâtiment de 11 000 m² du ministère des Armées, acquis par le fonds qatari Constellation. L'hôtel de luxe parisien, de 27 000 m² pour 125 chambres, sera exploité par Hampton by Hilton. La date de livraison prévisionnelle n'est pas communiquée.
A Amiens, Vinci Immobilier a signé la Vefa d'un hôtel 4 étoiles de 94 chambres, issu d'une friche ferroviaire, avec l'investisseur-exploitant français SD2P, pour sa jeune enseigne You - Urban Home. La livraison est annoncée au quatrième trimestre 2025. « L'équation économique est plus difficile à trouver par rapport à un projet neuf à cause des contraintes techniques », reconnaît Jean-Luc Guermonprez, directeur du département hôtellerie de Vinci Immobilier. Mais les clients du promoteur, le plus souvent positionnés dans le haut de gamme, sont prêts à payer le surcoût, très variable, de la dépollution pour se positionner dans les quartiers centraux.
Le neuf ralentit
On ne peut pas parler d'un coup de frein mais d'un ralentissement des chantiers d'hôtels, assure Katell Bourgeois, directrice de l'hospitality au sein de la société de conseil Cushman & Wakefield. « Des villes lèvent le pied sur les autorisations après avoir connu une accélération du développement de l'offre hôtelière, confirme Laura Ben-Ibgui, responsable des transactions hôtelières au sein de la société de conseil JLL. C'est le cas de Bordeaux, après la ruée vers l'or de 2020 et 2021. Sur le littoral atlantique, les élus souhaitent limiter le tourisme au nom du développement durable.
Les projets continuent de sortir, mais ils sont plus petits et plus vertueux. En montagne, les collectivités portent un regard appuyé sur le volet constructif et demandent plus de matériaux biosourcés, par exemple. »
Besoin de rendement immédiat.
La conjoncture ne joue pas non plus en faveur des porteurs de projet, pris en étau entre « la remontée des taux d'intérêt et la hausse du coût des travaux qui pèsent sur le prix de vente des projets et la rémunération des fonds », résume Katell Bourgeois. Dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) sur vingt-quatre mois, les investisseurs manquent en effet de visibilité sur le rendement attendu à cause de la hausse des taux directeurs, qui pourraient toutefois se stabiliser d'ici au début 2024, selon les analystes financiers. Dans ce contexte, les promoteurs traquent les mètres carrés inutiles. « Il faut plus de temps en amont pour optimiser les plans, les surfaces, afin de créer de nouvelles chambres, des espaces de coworking, de restauration, des ateliers de cuisine, une bibliothèque, un concept store, une conciergerie… L'idée est de créer du flux, un lieu de rencontres, pour que les clients vivent dans la ville », explique Laura Ben-Ibgui.