Le directeur associé du groupe 6ème Sens Immobilier avait rarement vu pareil engouement pour un immeuble de bureaux. « En 2017, quand nous avons fait le pari d'acheter cet ancien siège de banque des années 1970, situé Porte Maillot (Paris XVIe), nous ne nous attendions pas à une telle hystérie locative », confie Damien Bertuli. La configuration de ce bâtiment atypique de 7 500 m2 sur deux niveaux, doté de vastes plateaux horizontaux, de larges baies vitrées, de belles hauteurs sous plafond et de 500 m2 de jardins extérieurs, ne correspond pas aux critères classiques de l'immobilier de bureau, symbolisés par les tours en verre de la Défense, situées à 4 kilomètres de là. Pourtant, très vite, une dizaine d'utilisateurs, entreprises du CAC 40, écoles de commerce, acteurs du coworking, manifestent un vif intérêt pour le projet. Après six mois de surenchère, c'est finalement WeWork, leader des espaces partagés, qui décroche le bail en octobre dernier, pour 750 euros/m2 par an, soit 150 euros de plus que le montant du loyer initialement proposé par l'investisseur !
Retour sur investissement RH. L'engouement pour l'immeuble « M » n'est pas un hasard. Grâce à son positionnement géographique central, à sa connectivité aux réseaux de transports et à un aménagement de l'espace décloisonné et ouvert sur l'extérieur, en phase avec les méthodes de management actuelles - en modes projet, agile, collaboratif… -, cette adresse parisienne répond en tout point aux aspirations des entreprises de transformer leurs bureaux en levier de performance. « Avant, les entreprises percevaient l'immobilier exclusivement comme une charge. Aujourd'hui, elles appréhendent le sujet sous l'angle du retour sur investissement RH », analyse Dimitri Boulte, directeur général de la Société foncière lyonnaise (SFL).
« L'environnement, au même titre que le travail lui-même, est un outil pour attirer et fidéliser les talents », complète Olivier Estève, directeur délégué de Covivio. Les chiffres le confirment. La majorité des salariés de la French Tech, qui travaillent à 88 % en open space (contre 49 % pour l'ensemble des salariés), considèrent que les bureaux ont été importants dans le choix de rejoindre leur entreprise et que ces derniers ont un impact positif sur leur motivation (1).
Grands plateaux filants. Ces espaces, inspirés des codes du coworking, prônant une ambiance décontractée et bienveillante, ne sont plus l'apanage des start-up du digital. Le phénomène traverse tous les secteurs d'activités. Pour s'adapter à ces nouveaux standards, des entreprises, comme Estée Lauder dans les cosmétiques, Nestlé et Bjorg Bonneterre & Cie dans l'agroalimentaire, Covivio dans l'immobilier, n'hésitent pas à repenser l'aménagement des espaces au profit de postes de travail individuels plus flexibles et d'une plus grande diversité d'espaces collectifs, censés favoriser le travail en équipe mais aussi les échanges informels entre collaborateurs.
Les entreprises relocalisent de plus en plus leurs bureaux à l'intérieur des villes.
Cela nécessite des adaptations techniques. « Pour faciliter la communication entre les salariés, nous travaillons sur l'horizontalité en créant des grands plateaux filants sans rupture de charge. Pour optimiser la surface de premier jour et accroître la lumière naturelle, qui génère stimulation et bien-être, nous optons pour des trames de 18 mètres au maximum et nous plaçons les éléments techniques dans les faux plafonds plutôt qu'en façade », explique Dimitri Boulte.
Jusqu'à 600 €/m2 /an. En parallèle de ces réaménagements intérieurs, les entreprises repensent la localisation géographique de leurs immeubles de bureaux. « Dans toutes les grandes villes, on assiste à un recentrage des utilisateurs, souvent aux abords des infrastructures de transport, gares, aéroports, tramways, métros », souligne Ludovic Delaisse, DG de Cushman & Wakefield France. Paris intra-muros bénéficie à plein régime de ce retour à la ville. « Le retour des entreprises sur le marché parisien est bien réel, insiste Magali Marton, directrice des études chez Cushman & Wakefield. Autour d'Etoile et d'Opéra, le taux de vacance est de 1 %, si bien que l'on assiste à un transfert de la demande plus à l'est, vers les IIIe , IVe , XIe , XVIIIe , XIXe et XXe arrondissements. On y a enregistré des transactions à plus de 500 €/m2 /an, voire 600 €/m2 /an, valeurs que l'on n'aurait pas imaginées dix-huit mois plus tôt », précise Magali Marton. Pour compenser ces prix élevés, les entreprises s'appuient sur les nouveaux modes d'organisation du travail -flex office (lire p. 14) , télétravail et coworking notamment - pour réduire la surface de leurs bureaux.
Selon Jean-Frédéric Heinry, président de Cogedim Entreprises, ce retour à la vie de quartier, mêlant habitations, écoles, commerces de proximité, restauration, loisirs, culture, entraîne un regain d'intérêt pour les opérations de restructuration d'immeubles de bureaux : « Pour un utilisateur, un bâtiment rénové sur un emplacement ultra-prime est préférable à un immeuble neuf situé en grande périphérie. » Le promoteur Altarea Cogedim montre l'exemple. Il s'implantera fin 2019 dans un immeuble de 33 000 m2, requalifié par ses soins, avec business center, auditorium privé et terrasses végétalisées. Direction la rue Richelieu, Paris IIe arrondissement, au cœur de la « Silicon Sentier ».
En parallèle, le spécialiste concourt, la semaine prochaine, à Cannes, pour le Mipim Award dans la catégorie « Best refurbished building » (meilleure rénovation). Il a été sélectionné pour l'immeuble Kosmo, situé sur le très fréquenté boulevard Charles-de-Gaulle, à l'entrée de Neuilly-sur-Seine. Le bâtiment sera livré aux parfums Christian Dior à la rentrée prochaine. Déjà un beau programme en soi.
(1) Paris Workplace 2017, baromètre SFL/Ifop.