Après l'excellent cru post-Covid sur fond de développement du e-commerce, l'immobilier logistique français - avec ses 83 millions de m² d'entrepôts de 5 000 m² ou plus - marque le pas. Certes, 9,4 millions de m² SP logistiques ont été autorisés en 2022, soit + 10 % par rapport à 2021, selon le ministère de la Transition écologique, mais les mises en chantier ralentissent : seulement 1,1 million de m² lancés entre décembre 2022 et février 2023, représentant une baisse de 45 % par rapport à la même période un an plus tôt.
En cause : l'équilibre financier difficile à trouver. « En deuxième couronne francilienne, entre la charge foncière moyenne de 600 €/m² et un coût de construction tout inclus à 700 €/ m², le prix de revient s'élève en moyenne à 1 300 €/m², calcule François Le Levier, directeur général adjoint chargé de la logistique de la société de conseil CBRE. Avec un loyer moyen en Ile-de-France de 60 €/m² pour dégager un rendement net moyen de 4,5 %, on obtient un prix de sortie de 1 300 €. La marge du promoteur est donc nulle car le prix de revient équivaut désormais à un prix de revente à l'investisseur qui a chuté en moyenne de 30 % depuis 2022 à l'échelle nationale en raison de la remontée des taux. »

66 % de la demande placée nécessite la construction d'un nouvel entrepôt ou la rénovation/adaptation d'un foncier existant
Source : Afilog
« La décroissance est sans appel ». Pour les professionnels, l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) met du plomb dans l'aile des projets. « Deux ans après la promulgation de la loi Climat et résilience, le ZAN a bien été pris en compte par les élus qui freinent sur la logistique », assure Patrick Remords, expert logistique de la société de conseil JLL. Selon lui, cette ambition accentue la rareté foncière, qui elle-même renchérit le prix payé par l'acquéreur du programme. Pour protéger sa marge, ce dernier répercute cet effort sur les loyers, qui ont augmenté en moyenne de 15 % à l'échelle nationale depuis 2021, selon CBRE. « En 2023, les loyers suivront a minima l'inflation [5,6 % à fin mars sur un an, NDLR]. Les hausses seront plus élevées que l'inflation dans les secteurs où le foncier est le plus cher », anticipe François Le Levier. « Ce qui nous freine en ce moment, c'est le manque de permis de construire, pas la remontée des taux, car les loyers continuent d'augmenter », complète Jérôme Delaunay, responsable de la gestion des actifs français de l'investisseur européen Patrizia.
Pour les professionnels, l'objectif de zéro artificialisation nette met du plomb dans l'aile des projets.
Les utilisateurs acceptent ces loyers en hausse, faute de solutions existantes ou en développement.
Il faut dire que le taux de vacance national de 4 % ne devrait pas remonter ces prochaines années, au regard du faible volume des opérations en cours d'instruction ou pour lesquels les permis de construire restent à déposer. « En Ile-de-France, le nombre de projets supérieurs à 10 000 m² en cours d'instruction a diminué de 60 % en deux ans. La décroissance est sans appel », insiste François Le Levier.
Et si les friches étaient une partie de la solution ? Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a recensé 8 358 fonciers artificialisés, consultables gratuitement sur Cartofriches. Problème : les terrains seraient trop petits. « Pour un m² de logistique construit, le double de surface foncière est nécessaire. Sur les trois dernières années, la taille d'un entrepôt moyen s'élève à 24 000 m², et près de 5 ha sont nécessaires pour qu'il voit le jour. En outre, à la lecture des volumes alloués aux activités économiques et industrielles par le fonds friche, ce vivier ne sera pas suffisant pour répondre à l'intégralité de la demande exprimée », affirme François Le Levier. Sur les 636 000 m² de surfaces économiques soutenues par le troisième et dernier fonds friche dont les lauréats ont été révélés en juillet 2022, la logistique (81 000 m²) est devancée par l'industrie (213 000 m²), le bureau (158 000 m²), le commerce (103 000 m²) et l'artisanat (82 000 m²), tandis que le logement pèse plus d'un million de m².
Alors que plane la menace d'une « bombe sociale » liée au manque de logements, une crise logistique n'est-elle pas en train de germer ? Les développeurs, utilisateurs et brokers réunis au sein de l'association Afilog en sont persuadés. « Au rythme actuel de délivrance des permis de construire, avec un taux de vacance national qui se stabiliserait à 4 % et une demande placée qui passerait de près de 4 millions de m² en 2022 à 3 millions cette année, le solde négatif annuel moyen d'aujourd'hui à 2030 serait de 800 000 m² », avertit François Le Levier. Cette estimation repose sur une étude de marché alimentée par les membres d'Afilog, présentée le 28 mars à l'occasion de la Semaine de l'innovation du transport et de la logistique (SITL) et envoyée au ministre chargé des Transports, Clément Beaune.
Entrepôts à étages. C'est peut-être le moment de jouer la carte de la verticalité à grande échelle, comme au Japon ou en Chine, contraints par la densité et la rareté du foncier. En France, le contractant général européen GSE (lire l'entretien ci-dessous) compte une dizaine d'entrepôts à étages dans son pipeline. « La logistique multiniveaux nous permettra de tirer notre épingle du jeu dans les années à venir. La première vague de livraisons pourrait intervenir vers 2025 », annonce Robert de Marchi, directeur du développement de l'entreprise.
Le constructeur australien Goodman tient, lui, « un démonstrateur de ce qu'il va désormais falloir développer à l'aube des ZAN et ZFE-m [zones à faibles émissions m obilité, NDLR] », assure Philippe Arfi, son directeur en France. Son nom : Green Dock. Localisation : port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Chiffres clés : près de 100 000 m² SP répartis sur quatre niveaux logistiques avec un ponton de liaison multimodale avec la Seine. « Nous avons pensé le projet techniquement pour que tous types de véhicule opérationnel, de l'utilitaire jusqu'au semi- remorque, puisse accéder et opérer normalement à tous les étages, poursuit-il. Une telle conception implique un coût de construction bien plus élevé, jusqu'à quatre fois plus cher que pour une plateforme logistique dite “traditionnelle”. Pour l'instant, ce type de projet n'est économiquement pertinent qu'en première couronne parisienne et éventuellement lyonnaise, mais la densification de l'immobilier productif est en marche et de nombreux autres exemples verront le jour dans les prochaines années. » Pour Green Dock, Goodman vise un dépôt des dossiers administratifs d'ici l'été prochain, pour une mise en chantier mi-2024 et une livraison à l'été 2026.
Ce bâtiment fait partie de la vingtaine de projets à l'étude ou en cours d'autorisation, principalement en bordure extérieure de la ZFE-m francilienne recensés par Patrick Remords, de JLL : « Certains ne vont pas sortir faute de trouver preneur avant le lancement des travaux, à cause du surcoût lié à la verticalité. En 2022, il fallait compter environ 900 €/ m² pour construire une messagerie [moins de 10 000 m², NDLR]. Aujourd'hui, les mêmes promoteurs proposent entre 1 800 € et 2 000 €/m² pour un entrepôt à étages, en raison de la quantité de béton nécessaire pour empiler les niveaux et résister aux charges. »
Attentisme des investisseurs. Dans ce contexte, les investissements injectés dans les entrepôts de 5 000 m² ou plus ont reculé en 2022 de 11 % sur un an (près de 4,6 Mds €), selon JLL. Observé sur toutes les classes d'actifs en raison de l'attentisme des investisseurs habitués à se financer à des taux historiquement bas, ce ralentissement ne devrait pas durer dans l'immobilier logistique. « Nous sommes revenus en France à une normalité des taux, donc pas d'affolement. Surtout qu'il y a toujours du cash », juge Bernard d'Arche, directeur du développement de la société de conseil Longevity Partners. CBRE et JLL confirment : début 2023, le premier tour pour un portefeuille logistique estimé à 200 M€ a attiré 15 candidats. Sur la table : plus 2 Mds € cumulés…
En attendant une baisse de l'inflation - d'ici à juin, selon la Banque de France - qui devrait précéder a minima une stabilisation des taux directeurs et donc des taux d'intérêt, les assureurs français, fonds de pension étrangers et autres investisseurs institutionnels n'ayant pas besoin d'emprunter sont donc les seuls en capacité d'animer le marché des transactions ces prochains mois.