Information des candidats en Mapa et risques contentieux

Marchés publics -

Un bon acheteur public se doit d’être un stratège ! Si le Conseil d’Etat vient de confirmer l’absence d’obligation d’information des candidats évincés en Mapa, il convient toutefois de réfléchir à la bonne tactique en la matière, pour se prémunir au mieux contre les risques de litiges.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - 774269.BR.jpg

L’ est bien connu des acheteurs car il leur impose l’information des candidats évincés et l’attente d’un délai de standstill avant la signature du marché en procédure formalisée. S’agissant des marchés à procédure adaptée (Mapa), un récent arrêt () est venu apporter des précisions non dénuées de conséquences tant juridiques qu’économiques sur les pratiques des pouvoirs adjudicateurs.

LA POSITION DU CONSEIL D’ETAT EN MAPA

Aucune obligation de standstill

Dans le cadre des Mapa, l’ n’impose pas l’information des candidats évincés. La passation n’est donc soumise ni à l’obligation d’informer ces candidats des motifs de rejet de leur candidature ou offre ; ni au respect d’un délai de suspension de la signature du marché, dit de standstill.Cette lecture littérale a d’ailleurs été confirmée dans l’arrêt « Grand port maritime du Havre » (). Pour autant, un certain nombre de cours administratives d’appel, dans le cadre de recours « Tropic » (1), sont entrées en rébellion, en considérant que les principes généraux de la commande publique imposaient de mettre en place, en Mapa, un dispositif comparable à celui prévu par l’. Ce qui obligerait à respecter un délai de standstill « raisonnable », permettant aux candidats évincés d’exercer un référé précontractuel. C’est à ce mouvement de rébellion que met un terme l’arrêt « Société antillaise de sécurité » : « Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le marché litigieux a été attribué au terme d’une procédure adaptée et que le Grand port maritime de la Martinique n’était, par suite, soumis à aucune obligation de respect d’un délai minimal entre la notification de la décision d’attribution et la signature du contrat. »

Privilégier la sécurité juridique

Le but du Conseil d’Etat est clair. Il vise, d’une part, à alléger les tribunaux d’un flot de référés et à privilégier la sécurité juridique des contrats en privant d’action les entreprises qui utilisaient le prétoire de façon parfois abusive. D’autre part, le Conseil d’Etat entend laisser une voie effective à du contentieux, soit de nature réellement préventive, soit permettant de lutter contre les infractions les plus flagrantes.

Dès lors, le choix des pouvoirs adjudicateurs en matière d’information (ou pas) des candidats évincés ne sera pas sans conséquence sur les possibilités de recours à leur disposition.

L’ANALYSE DES RISQUES AU REGARD DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL

Le maintien d’une information spontanée et directe de « courtoisie »

Le pouvoir adjudicateur peut toujours, même après l’arrêt du 11 décembre 2013, et avec un soupçon de témérité, communiquer les motifs d’éviction avant la signature du contrat et respecter un délai de standstill. En réalité, il devra évaluer le niveau du risque de contentieux au regard de l’importance de la procédure de passation.

Ayant en mains les motifs de son éviction (en réalité très limités depuis l’arrêt ), le candidat pourra exercer un référé précontractuel. Dans certaines hypothèses, il peut en effet être préférable pour l’acheteur public d’avoir à justifier sa procédure au stade du référé précontractuel plutôt que de prendre le risque d’un référé contractuel ou surtout d’un recours « Tropic ». Le pari que font les acheteurs ici est de purger tout risque de contentieux avant la signature du marché, comptant sur le bon sens des opérateurs économiques et leur souhait de voir la procédure annulée ou le pouvoir adjudicateur contraint de la reprendre au stade de l’analyse des offres.

Toutefois, si les candidats ne jouent pas ce jeu et n’intentent pas un référé précontractuel, le référé contractuel semble demeurer ouvert, si l’on tire les conséquences de l’arrêt « Société antillaise de sécurité » du 11 décembre 2013.

L’absence de communication directe au profit de la publication d’un avis d’intention de conclure

N’ayant aucune obligation sur ce point, l’acheteur peut se résoudre à ne pas communiquer les motifs d’éviction tout en publiant un avis d’intention de conclure. Les candidats pourront alors exercer un référé précontractuel avant la conclusion du contrat. Par souci de transparence, le règlement de la consultation avisera les candidats potentiels de l’intention de la personne publique de procéder à la parution d’un tel avis.

L’avantage sera de faire échapper les Mapa au référé contractuel, dès lors que l’acheteur public aura respecté la double formalité posée par l’ (CJA) : faire paraître au « JOUE » un avis par lequel il fait part de son intention de conclure le contrat (dit avis « ex ante ») ; et attendre ensuite au moins onze jours avant de conclure le contrat.

Ces formalités étaient cependant jusqu’alors peu utilisées par les acheteurs, qui leur préféraient la soumission volontaire à l’. Deux raisons peuvent l’expliquer. En premier lieu, et même si la parution de cet avis « ex ante » est gratuite, elle suppose que soient saisies des informations relatives au contrat à conclure, et ce au « JOUE », alors même qu’aucune publicité initiale n’y a été insérée, s’agissant de Mapa. En second lieu, beaucoup d’acheteurs avaient fait le pari de l’équivalence des effets entre la notification individuelle de la décision de rejet et l’avis d’intention de conclure. Sur ce second point, on pourrait penser que cet avis retrouve désormais son utilité car il serait le seul à fermer définitivement le référé contractuel.

L’ANALYSE DES RISQUES AU REGARD DU RÉFÉRÉ CONTRACTUEL

La question qui mérite donc d’être posée est de savoir s’il est opportun, pour un acheteur public passant un Mapa, de publier un avis d’intention de conclure ? Certes, la parution d’un tel avis empêche le référé contractuel. Toutefois, même à supposer que cette formalité n’ait pas été accomplie et qu’un référé contractuel soit intenté, les conditions posées par l’ ne sont quasiment jamais susceptibles d’être appliquées. De sorte que, bien que recevable, le référé sera, sauf cas rares, rejeté au fond.

En effet, depuis l’arrêt « Grand port maritime du Havre » de 2011, il est acquis que, lorsque le contrat n’est, comme les Mapa, pas soumis à l’obligation de respecter un délai de standstill, seules trois hypothèses peuvent conduire à l’annulation du marché :

- l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ;

- la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ;

- la signature du marché en méconnaissance de la suspension consécutive à l’introduction d’un référé précontractuel si, par ailleurs, le pouvoir adjudicateur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat.

Ainsi, et alors même que l’acheteur se serait soumis volontairement à un délai de standstill avant la signature du contrat, la violation de cette contrainte auto-imposée ne sera pas de nature à permettre aux candidats évincés de contester la procédure de passation du marché ().

Le référé contractuel s’avère ainsi singulièrement inefficace, de sorte que face à un risque postcontractuel quasi inexistant, la parution d’un avis d’intention de conclure paraît d’un intérêt limité.

L’INFORMATION POSTÉRIEURE À LA FORMATION DU CONTRAT

Les pouvoirs adjudicateurs peuvent choisir de faire paraître au « JOUE » un avis d’attribution informant les candidats non retenus de la conclusion du marché (). Concrètement, il conviendra d’indiquer le nom de l’attributaire, la date de signature du contrat, le montant du marché et d’autres informations relatives à l’objet du marché conformément au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne. Il s’agit bien d’un avis au « JOUE » (gratuit) et non du simple avis d’attribution de l’article 85 à faire paraître dans les journaux ayant publié l’avis d’appel public à la concurrence (AAPC) initial. Informés par cet avis, les candidats évincés ne pourront plus exercer de référé précontractuel puisque, par définition, le marché aura été signé, mais ils conserveront la possibilité d’exercer un référé contractuel pendant une durée de trente et un jours ().

Le véritable enjeu pour l’acheteur public : éviter le recours « Tropic » (1). Quelle que soit l’hypothèse retenue, et y compris en cas de soumission volontaire aux dispositions de l’, les acheteurs ont tout intérêt à fermer ce recours.

En effet, si le pouvoir adjudicateur ne publie aucun avis informant le public de la date de conclusion du marché et sa possible consultation dans le respect des secrets protégés par la loi, ledit marché pourra faire l’objet d’un recours en contestation de validité sans condition de délai. L’avis d’attribution pourra ainsi servir de support à l’accomplissement de cette formalité, venant du même coup enfermer le recours « Tropic » dans un délai de deux mois après parution de l’avis.

A défaut, et contrairement au référé contractuel qui deviendrait irrecevable à l’expiration d’un délai de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat, le recours « Tropic » demeure, lui, recevable sans condition de délai. En outre, le demandeur peut, dans ce cadre, soulever tous moyens, que ceux-ci aient ou non été susceptibles de le léser (CE, avis, 11 avril 2012, « Société Gouelle », n° 355446). En cela, le recours « Tropic » apparaît véritablement comme le recours de principe des concurrents évincés en droit de la commande publique.

L’ABSENCE TOTALE D’INFORMATION ET DE PUBLICATION

En Mapa, il n’y a donc aucune obligation d’information des candidats évincés à peine d’irrégularité du contrat. Le pouvoir adjudicateur peut ainsi signer le marché dès son attribution sans informer les candidats évincés ni par courrier, ni par avis d’attribution. Et ne respecter aucun délai de standstill. Dans une telle hypothèse, seuls les candidats demandant des précisions au titre de l’ bénéficieront d’une réponse qui leur permettra, le cas échéant, en fonction du stade de la procédure, d’exercer un référé contractuel (recevable mais inutile compte tenu de la limitation des moyens susceptibles de conduire à l’annulation du marché) ou un recours « Tropic ».

Un risque, celui de générer des référés préventifs

Bien évidemment, le risque de référé contractuel est augmenté ; les candidats n’ayant pu exercer de référé précontractuel, le recours en référé contractuel leur restera ouvert pendant un délai de six mois à compter du lendemain du jour de la signature du contrat. Mais les moyens susceptibles de conduire à l’annulation du marché demeurent, comme précédemment exposé, très limités.

Force est donc de constater que le mouvement jurisprudentiel initié par le Conseil d’Etat pousse les candidats à exercer le référé précontractuel de façon préventive, très en amont de la procédure, pour les irrégularités les plus flagrantes, notamment les incohérences du dossier de consultation des entreprises (DCE), l’absence d’allotissement, l’existence de critères sans rapport avec l’objet du marché ou insuffisamment définis, etc. Et il y a fort à parier que l’aboutissement de cette logique sera un nouvel arrêt dans la veine de « Smirgeomes » (2), aux termes duquel le Conseil d’Etat affirmera que le candidat ayant déposé son offre ne pourra plus démontrer un intérêt lésé suivant le principe « qui ne dit mot consent ».

La nécessité d’un minimum de transparence

En tout état de cause, il serait illusoire pour les acheteurs publics de faire abstraction d’un minimum de transparence dans les informations portées à la connaissance des opérateurs économiques. Car l’opacité aura deux conséquences fondamentales :

- d’une part, la naissance du scoring des fournisseurs envers les acheteurs n’affichant pas, ou si peu, de transparence, de sorte que certaines collectivités mal notées par les entreprises verraient s’appauvrir la concurrence, avec comme fâcheuse conséquence une augmentation substantielle des prix ;

- d’autre part, le déplacement du contentieux administratif vers un contentieux pénal des marchés avec un juge doté de moyens d’investigations sans commune mesure avec ceux de son homologue administratif.

Autrement dit, pour les acheteurs publics, la politique d’information des candidats évincés dépend de plusieurs paramètres : - de leur motivation économique à maintenir un lien de confiance avec les entreprises d’une part ;

- de leur appréciation du risque de contentieux qu’ils estiment supportable d’autre part ;

- et enfin, de leur appréciation du risque que les entreprises, voyant la voie administrative se restreindre, optent pour une voie pénale.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 774269.BR.jpg PHOTO - 774269.BR.jpg
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires