Une idée largement répandue voudrait que le modèle d’habitat qui prévaut dans un pays soit à l’image de ceux qui y vivent. Les formes architecturales seraient l’expression d’une identité, celle d’une famille, d’un peuple ou d’une culture. Une identité qui dans un pays comme la France paraît immuable tant ses habitants sont attachés à leurs villages de pierres, aux traditions de maisons de maçons, aux matériaux tirés de la terre.

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Pourtant, aux premières années du XXIe siècle, avec les nouvelles pratiques urbaines, la recherche d’un habitat économique, le désir de coller au plus près aux nécessités du développement durable, il semble qu’à défaut de changer leur identité, les Français se laissent séduire par une nouvelle représentation de l’habitat idéal.

Certes, vingt ans après Némausus, les projets d’habitat alternatif, utilisant des matériaux industriels détournés, testant des techniques nouvelles ou relevant de la filière sèche n’ont pas essaimé au point de modifier le paysage urbain, mais de récentes expériences, comme celle de la « Cité Manifeste » à Metz, et l’engouement presque frénétique qui existe pour les maisons bois, ont montré que l’intérêt pour des modes de construction et d’habitat différents conserve toute son actualité.

En France et plus généralement en Europe occidentale, le poids des traditions, les habitudes constructives et les modèles sociaux économiques ont produit un paysage urbain dans lequel espace du travail et vie domestique demeurent très nettement distincts, et ce autant par leur esthétique que dans leur localisation. Une séparation dans l’espace qui s’est accentuée progressivement, avec une réglementation de zone, POS ou PLU, qui exclut, ou n’accepte la mixité qu’à regret, avec des activités industrielles et commerciales interdites dans les quartiers dit résidentiels et, a contrario, les constructions à usage d’habitation prohibées dans les zones d’activités. Une ségrégation qui prend ses sources au XIXe siècle dans le vécu désastreux d’un paysage industriel, sale, bruyant et socialement conflictuel. Cette connotation négative rejaillit sur les typologies et les matériaux constitutifs d’une architecture du travail qui se voit entachée des mêmes caractères détestables. Et là encore, la réglementation n’est pas en reste, implacable, qui interdit toute utilisation de matériaux dits industriels – le terme employé est aussi paradoxal que révélateur – dans la construction d’habitations ou de bâtiments à usage civil. Bardage et toiture métallique, zinc, polycarbonate et bois se voient systématiquement rejetés au profit de la maçonnerie, de l’enduit et de la terre cuite, ajoutant au poids des traditions qui font de la construction aristocratique un modèle, et de la chaumière une référence incontournable.

La séparation entre univers domestique et monde du travail est tout aussi réelle au sein des pratiques des entreprises de construction. Si le monde du bâtiment emprunte aujourd’hui exclusivement ses composants à une industrie de masse, les entreprises artisanales conservent une place plus que prépondérante dans le secteur du logement individuel. Une part encore accrue par le système de la sous-traitance quand les donneurs d’ordre sont de grands groupes industriels ou financiers. Et l’artisanat français est largement dominé par les maçons, avec une situation de quasi-monopole, issue de l’histoire et des traditions, qui impose un modèle de construction, une organisation du chantier, un partage des tâches entre différents corps d’état, et qui produit un niveau de finition relativement avancé.

A l’opposé, face au pavillonnaire, la construction de bâtiments d’activités, qui utilise l’acier des structures, la tôle, le verre ou le plexiglas, répond à une autre logique que celle, patrimoniale et domestique du logement ou du bâtiment civil. Elle se satisfait de formes purement fonctionnelles. Les notions de coût, de délais de réalisation, de rentabilité y sont primordiales, tout autant que la fonctionnalité : des critères de fonctionnalité qui se révèlent finalement assez limités, dans la mesure où bien souvent un espace simple et multifonctionnel est attendu.

Les produits de la sidérurgie ou de l’industrie verrière, comme tous les composants secs, se prêtent ici parfaitement aux besoins d’une mise en œuvre qui fait souvent appel à la préfabrication. Un système séduisant qui favorise des délais de construction réduits et un coût très bas pour peu que l’on accepte un degré de finition sommaire. Les techniques de mise en œuvre de ces matériaux étant très spécifiques, un grand nombre d’entreprises se sont spécialisées dans un secteur où les aléas de chantier sont réduits, dans un marché très actif avec un turnover patrimonial rapide. Ces entreprises sont généralement spécialisées et leur savoir-faire est sensiblement différent de celui des artisans qui interviennent dans le secteur du logement individuel. Deux univers professionnels semblent aujourd’hui coexister, à l’image, caricaturale mais bien réelle de ces périphéries de ville où se côtoient sans communiquer les semis de pavillons à enduit ocre et tuiles rouges et les zones d’activités parsemées de petits cubes de bardage gris à liseré jaune.

Mutations économiques et urbaines

Mais les évolutions de ces dernières années font apparaître des évolutions qui pourraient annoncer les prémices d’un rapprochement entre ces deux mondes. Dans les centres-ville, et maintenant dans les périphéries, les terrains se font rares, les coûts de construction ont augmenté. Face à des prix du foncier devenus prohibitifs beaucoup se tournent vers les quartiers post-industriels et des types de construction jusqu’alors méprisés. Transformer un ancien atelier en habitation n’est plus réservé à quelques initiés. Beaucoup y voient la possibilité de rester en centre-ville, de disposer d’un espace évolutif et de surfaces plus conséquentes. L’esthétique industrielle semble perdre peu à peu son caractère effrayant. Les quartiers bobos de certaines villes de la première couronne parisienne en témoignent.

Les bâtiments d’activité ont pour leur part beaucoup évolué. La législation du travail exige un degré de confort accru pour les employés et par conséquent un niveau de finition et d’équipement nettement plus sophistiqué. La réglementation thermique et les normes acoustiques qui les concernent se rapprochent de celles applicables au logement. Surtout, les mutations des économies occidentales, qui voient peu à peu les activités industrielles remplacées par des activités tertiaires où le poste informatique remplace l’établi, font que bâtiments d’habitation et locaux d’activité tendent à se confondre en respectant les mêmes standards constructifs à défaut d’employer les mêmes matériaux.

Il est temps aujourd’hui de rapprocher les cultures constructives plutôt que de les opposer. Le développement des filières sèches, principalement celles du bois et de l’acier – cette dernière, moins connue, est encore aujourd’hui majoritaire avec plus de 10 000 maisons bâties chaque année –, semble aujourd’hui relever de l’évidence. Les techniques y sont plus économiques si elles sont maîtrisées, les délais comme l’empreinte écologique des chantiers sont fortement réduits. L’emploi de structures et d’enveloppes métalliques permet de réduire les fréquences d’entretien et favorise la pérennité de ces modes constructifs ; l’intégration d’équipements écologiques est facilitée par une plus grande technicité. Enfin, avec un poids structurel très réduit par rapport aux constructions en béton, les constructions de la filière sèche possèdent une meilleure adaptabilité aux terrains difficiles et conviennent particulièrement bien aux opérations d’extensions et de surélévations.

Des qualités intrinsèques qui ne doivent cependant pas faire oublier les handicaps de ces filières, voire les carences techniques de certains matériaux et systèmes constructifs. Les faiblesses techniques des procédés de la filière sèche sont nombreuses pour qui ne les maîtrise pas : faible inertie des matériaux et inaptitude à stocker les calories, manque de standardisation des composants structurels et de variété des matériaux d’enveloppe, problèmes de stabilité au feu et défauts de contreventement, fragilité des matériaux bois.

D’autre part, le développement de petites entreprises susceptibles de mettre en œuvre ces procédés nécessitent une main-d’œuvre très qualifiée qui n’existe pas aujourd’hui. Un handicap qui peut néanmoins être aussi un avantage car en proposant un métier plus technique mais moins dur physiquement, la filière peut attirer une nouvelle génération rebutée par la pénibilité actuelle des métiers du bâtiment.

Le succès des filières sèches nécessite par ailleurs l’évolution des réglementations techniques françaises, remarquablement adaptées à la maçonnerie et au béton, mais pas toujours aux matériaux légers ; l’uniformisation des normes européennes devrait accélérer cette évolution.

Il faut aussi compter avec le poids des traditions et la réalité du paysage français, bâti de pierres, de briques et de maçonneries enduites, un patrimoine protégé par la réglementation des Bâtiments de France, sans négliger la culture constructive des entreprises et le poids industriel des cimentiers français. On trouve là un environnement contrasté qui ne permet pas de croire véritablement à une croissance exponentielle de ce secteur. La réalité du terrain plaide pour le développement de solutions mixtes alliant la maçonnerie traditionnelle et les superstructures relevant des filières sèches.

Une orientation qui ne peut que redonner un rôle de premier plan aux architectes car elle évite de favoriser les procédés tout industriels mais exige une conception technique détaillée. Prévoyant une part de préfabrication en atelier et ne laissant que peu de place à l’improvisation sur le chantier, elle nécessite une coordination beaucoup plus forte entre l’architecte, le bureau d’étude et l’entreprise.

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