En tant que banquier spécialiste des entreprises de BTP, confirmez-vous que la reprise est bien là ?
Claude Lavisse : A cette époque de l’année, nous ne disposons pas de tous les éléments financiers consolidés, mais oui, nous constatons clairement un redémarrage de l’activité sur tous les segments : dans le logement neuf –collectif ou individuel- le non-résidentiel et dans l’entretien-amélioration. Les carnets de commande se regarnissent, et les mises en chantier de logements neufs ont augmenté de plus de 5% en volume sur les neuf premiers mois de 2016 par rapport à la même période l’année dernière.
Le redémarrage des mises en chantier est néanmoins moins explosif que celui des ventes. Pour quelles raisons ?
C.L : Il y a toujours une période de latence (18 mois généralement) entre le moment où l’on obtient l’autorisation et la sortie de terre effective de l’opération. La pré-commercialisation doit en effet atteindre un certain seuil avant de pouvoir lancer le chantier, c’est pourquoi nous constatons que les mises en chantiers sont moins explosives que le niveau des ventes lui-même.
Les travaux publics bénéficient-ils aussi de cette embellie ?
C.L : Oui et c’est une très bonne nouvelle pour ce secteur qui a davantage souffert de la crise que le bâtiment. Bien que le budget des collectivités locales ne se soit pas particulièrement amélioré, l’activité repart et nous constatons une hausse de 4,5 % du niveau des carnets de commande depuis le début de l’année. Ceci dit, ces derniers ne retrouvent que leur niveau de 2010, qui était déjà une année –certes moins intense- de crise. On ne peut donc pas encore parler d’une santé florissante pour les TP.
C.L : Hélas non. Ces dernières années, les prix ont été tirés vers le bas du fait de la concurrence acharnée à laquelle se sont livrées les entreprises. Et ce n’est pas parce que les volumes repartent à la hausse que les prix suivent : lorsqu’un maître d’ouvrage lance une opération aujourd’hui, le maître d’œuvre fait trop souvent son chiffrage sur les prix constatés antérieurement. Et puis certains entrepreneurs sont toujours prêts à casser les prix pour obtenir le marché. En revanche, les efforts gouvernementaux pour lutter contre la fraude au travail détaché devraient payer. Au final, il est peu probable que les entreprises retrouvent des niveaux de marges satisfaisants avant 2017-2018. En attendant, il faut jouer la prudence.
Quel conseil donnez-vous aux entrepreneurs pour aborder sereinement cette reprise ?
C.L : Je leur dis qu’il faut absolument sélectionner les chantiers avec soin, pour privilégier la rentabilité sur le volume. Souvenons-nous de l’année 2000, année de reprise pour le secteur : les volumes augmentaient mais les prix n’étaient pas au rendez-vous. Si bien que nombre d’entreprises, dont le bilan était dégradé suite à des années de disette, se sont lancées tête baissée dans des opérations à bas prix, incapables de faire face à l’augmentation du besoin en fonds de roulement que la reprise impliquait. Résultat : le niveau de défaillance a atteint cette année-là des records.
Cette année, vous avez analysé l’évolution des coûts de main d’œuvre depuis 2009. Que constatez-vous ?
C.L : Le résultat est surprenant. Nous avons constaté que le coût de la main d’œuvre est quasi-stable par rapport au chiffre d’affaires depuis 2009 (y compris l’intérim) et ce quel que soit le secteur d’activité. L’explication tient dans la conjonction de deux phénomènes qui jouent en sens contraire : les gains de productivité sur chantier et les effets bénéfiques du CICE ont en effet été compensés par une augmentation régulière et significative des salaires sur la période.