Quelles sont les missions de l'Agence européenne pour l'environnement ?
Suzanne Dael : Nous sommes une organisation de l’Union européenne basée à Copenhague (Danemark) et nous fournissons des informations fiables et indépendantes sur l’environnement. Ces données sont collectées grâce à notre réseau de partenaires dans les pays membres de l’UE. Nous les utilisons pour produire des évaluations sur un vaste éventail de sujets en lien avec l’environnement. Elles servent ensuite aux personnes impliquées dans l’élaboration, l’adoption, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques environnementales et climatiques, mais aussi au grand public.
A quel niveau se situent actuellement les émissions de gaz à effet de serre? Ce niveau est-il compatible avec l'Accord de Paris ?
Suzanne Dael : En 2019, les émissions de gaz à effet de serre dans l'UE des 27 étaient d'environ 24 % inférieures aux niveaux de 1990. L'objectif pour 2020 était de réduire nos émissions d'au moins 20 % par rapport aux niveaux de 1990, il a donc été atteint au prix d’efforts substantiels de la part des états membres.
Mais pour respecter l'Accord de Paris qui vise à limiter l'augmentation de la température mondiale bien en deçà de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels, nous devons accroître nos efforts afin de limiter l'augmentation moyenne de la température du globe à + 1,5 °C. Pour atteindre cet objectif de long terme, les émissions de tous les pays du monde devront être nulles d'ici 2050. Cela nécessite de réduire beaucoup plus vite nos émissions que nous le faisons actuellement.
Vous venez de réaliser une étude sur l'économie circulaire et le secteur de la construction. Pourquoi ce choix ?
Almut Reichel : Qu’il s’agisse de l’extraction des ressources nécessaires à leur production, de leur mise en œuvre ou de leur élimination, les matériaux de construction contribuent pour une part importante aux émissions de gaz à effet de serre. En France, les bâtiments représentent 19 % du total des émissions, selon le Haut conseil pour le climat dans son rapport pour le grand public de 2019.
Dans ce contexte, le recyclage et le réemploi des matériaux représentent un important gisement de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour autant, il n’existait pas de méthode qui mesure à la fois les bénéfices de la réduction des émissions et l’impact des actions de réemploi. Nous avons donc cherché à en développer une, en calculant les bénéfices pour chaque secteur. Notre étude a servi pour évaluer l'impact de l'économie circulaire dans la construction. Elle sera suivie par d'autres, dans d'autres secteurs.
Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Nous avons mis en évidence que quelques actions clés suffisent à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie des bâtiments. La réduction peut atteindre 61 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins lorsque tous les leviers du recyclage et du réemploi sont activés.
L'étude présente également une nouvelle méthode pour évaluer le potentiel d'action de l'économie circulaire. Qui peut l'utiliser ?
Almut Reichel : La méthodologie peut être utilisée par les décideurs politiques des pays ou par les entreprises impliquées dans le cycle de vie du secteur des bâtiments pour identifier les politiques qu’ils peuvent développer ou les changements qu’ils peuvent apporter pour maximiser leurs contributions à l’atténuation du changement climatique.
Que faire du ciment, du béton et de l'acier qui sont utilisés en très grande quantité par le secteur de la construction ?
Almut Reichel : L'étude a porté sur un large éventail de matériaux, mais a révélé que le ciment, le béton et l'acier ont le plus grand impact en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Cela est principalement dû à leur production, qui nécessite des apports énergétiques très importants.
Dans le rapport, nous avons toujours tenu compte du fait que ces matériaux seraient toujours utilisés, mais nous avons constaté que leur sur-spécification au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour la sécurité structurelle présentait déjà un impact notable. De plus, si nous pouvons éviter les approvisionnements en matière vierge mais plutôt réutiliser des matériaux provenant de bâtiments existant, l’impact sera majeur.
Que contient le plan d’action de l’Union européenne pour l’économie circulaire ?
Suzanne Dael : Ce plan ne se limite pas au secteur de la construction et propose un large éventail d’initiatives et de mesures d’économie circulaire qui concerne tout le cycle de vie des produits. Son objectif est de faire en sorte que les produits durables deviennent la norme au sein de l’UE et de réduire les déchets. Le plan cible en particulier les secteurs les plus consommateurs de ressources, outre la construction et les bâtiments, on trouve les secteurs de l’électronique, des batteries et de l’automobile, de l’emballage, du plastique, des textiles, mais aussi de l’alimentation et de l’eau. Par exemple, le texte vise à augmenter le contenu recyclé des matériaux de construction et à réviser les objectifs de recyclage des déchets de construction et de démolition.
Qu'en est-il de la rénovation par rapport à la construction neuve ?
Almut Reichel : L'étude estime une réduction de 7,5 % de la demande de bâtiments neufs suite à la rénovation de 1 % du parc immobilier par an. Cela revient à prolonger leur durée de vie moyenne de 80 à 100 ans.
Suzanne Dael : L’effet serait bien entendu plus important si le taux de rénovation augmentait comme prévu dans l’initiative « Renovation wave ». Lancée par la Commission européenne, elle vise à doubler le nombre de rénovation chaque année.
Quelles sont les difficultés pour les décideurs politiques aujourd'hui ?
Suzanne Dael : Passer d’un modèle linéaire d’usage des ressources à un modèle circulaire nécessite une transformation profonde de l'ensemble de notre économie. Outre les pionniers, il sera nécessaire que tous les acteurs économiques traditionnels opèrent ce changement, qui nécessite de revoir en profondeur la façon dont sont conçus les produits, les infrastructures, les modèles commerciaux utilisés, la façon dont nous les utilisons et consommons. Il faut aussi revoir le traitement des produits en fin de vie. Cette transformation nécessite la co-création de décideurs politiques avec les acteurs économiques, les consommateurs, les citoyens et la société civile.