L’offre anormalement basse d’une personne publique

Marchés publics -

Que faire lorsque l’acheteur public détecte une offre anormalement basse, et que cette offre lui est présentée par une personne publique ?
En principe, une personne publique peut se porter candidate à l’attribution d’un marché public.
Si le prix qu’elle propose est inférieur à celui des entreprises, cela ne suffit pas forcément à qualifier son offre d’anormalement basse. C’est ce qu’indique un arrêt du 22 juin 2010.

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La cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé récemment les conditions dans lesquelles un pouvoir adjudicateur doit apprécier les offres produites par une personne publique candidate à l’obtention d’un marché public (CAA Bordeaux, 22 juin 2010, « Synd. intercommunal d’équipement de la région de La Souterraine et commune de Bussière-Dunoise », n° 08BX03247-08BX03253). Après appel d’offres, une commune avait eu recours aux services d’un syndicat intercommunal pour réaliser l’aménagement d’un lotissement. Ce dernier lui avait remis une offre inférieure de 15 % à l’estimation de la maîtrise d’œuvre. Le choix de la commune, après avoir été annulé par le tribunal administratif (TA Limoges, 16 octobre 2008, « Fédération régionale des travaux publics du Limousin c. commune de Bussière-Dunoise », n° 0500896), a été validé en appel. Pour la CAA, l’appréciation des offres des personnes publiques doit être opérée par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des procédures prévues par le Code, en l’occurrence celle portant sur le contrôle des offres anormalement basses, avant d’être éventuellement discutée au fond devant le juge administratif.

Le principe : candidatures libres

L’avis « Soc. Jean-Louis Bernard consultants », rendu il y a dix ans par le Conseil d’Etat (8 nov. 2000, n° 222208), a relevé qu’aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public. La personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence ne peut refuser, par principe, d’admettre à concourir une personne publique (1). Dans ce cas, le juge administratif a toutefois subordonné l’attribution du marché à ce que, d’une part, « le prix proposé soit déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat », et d’autre part, que cet opérateur public n’ait pas bénéficié « pour déterminer le prix qu’il a proposé, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public et enfin qu’il puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ». Pour les pouvoirs adjudicateurs, la difficulté est donc de combiner ce contrôle nécessaire avec les règles procédurales de passation qu’impose le Code.

Un mode opératoire

Dans l’espèce ici analysée, le tribunal administratif s’était engagé dans un contrôle de fond sur la composition des prix du candidat public sans véritablement s’interroger sur les conditions dans lesquelles la commune devait elle-même procéder à un tel contrôle. Il avait prononcé l’annulation de la décision de la commune au motif que les documents produits « ne permettent nullement de déterminer les coûts directs d’exécution du marché en cause et le poids des coûts généraux, tels que prise en charge des salaires et quote-part des frais généraux ». Il a donc décidé « que le syndicat ne justifie pas des conditions de détermination du prix proposé ».

La commune et le syndicat attributaire ont reproché à ce jugement d’ajouter une obligation nouvelle pour les pouvoirs adjudicateurs, en présence d’une offre proposée par une personne publique sensiblement inférieure aux autres offres : celle de vérifier que son prix ne résulte pas d’une sous-estimation des coûts de nature à fausser la concurrence, en dehors de toute disposition spéciale du Code. La cour administrative d’appel a fait droit à cette demande, en fournissant en quelque sorte aux pouvoirs adjudicateurs le mode opératoire pour traiter les candidatures des personnes publiques à l’attribution d’un marché public. Elle précise en effet que ce contrôle doit être opéré au stade de la remise des offres par le truchement de l’article 55 du Code qui permet la détection des offres anormalement basses, le juge contrôlant le respect de cette procédure par le pouvoir adjudicateur, avant d’engager un éventuel contrôle de la composition des prix proposés par la personne publique.

Détection des offres anormalement basses

Dès lors que la candidature des personnes publiques est libre dans son principe, le contrôle de la candidature d’une personne publique ne doit pas différer sensiblement de celui opéré sur les autres candidats. C’est à l’occasion de l’examen des offres de prix que le pouvoir adjudicateur doit s’interroger sur le respect des principes fixés par le conseil d’Etat par une personne publique candidate à l’obtention du marché public. Dans ses conclusions sous l’avis du 8 novembre précité, le commissaire du gouvernement précisait que « la seule circonstance que la personne publique propose des prix très inférieurs à ceux de ses concurrents privés ne suffit pas à établir la sous-estimation des coûts. La personne responsable du marché ne pourrait d’ailleurs écarter une telle offre qu’après en avoir demandé la composition conformément à l’article 97 ter du CMP. D’abord, parce qu’il ne peut être exclu que ce prix soit bas parce que les autres offres résultent d’une entente ; ensuite, parce que le droit de la concurrence n’interdit pas de minimiser les marges de profit, notamment lorsque le soumissionnaire souhaite pénétrer un nouveau marché ». En revanche, le pouvoir adjudicateur doit exercer effectivement un contrôle au stade de la remise des offres, sans pouvoir prétendre qu’il est « inapte à vérifier si cet établissement n’a pas bénéficié pour déterminer ses prix d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public ». Ce refus d’exercer un tel contrôle constituerait un manquement aux obligations de mise en concurrence (TA, Lille, 5 juil. 2001, n° 0102663, à propos de l’annulation de l’attribution de contrats de délégation de service public d’eau potable à un syndicat d’exploitation).

L’intérêt de l’arrêt de la CAA du 22 juin 2010 est de rappeler qu’en ce qui concerne la passation des marchés publics, la procédure de détection des offres anormalement basses prévue à l’article 55 constitue la procédure qui doit être suivie par les pouvoirs adjudicateurs. Dans sa rédaction alors en vigueur, il énonçait que « si une offre paraît anormalement basse (…) à la commission d’appel d’offres pour les collectivités territoriales, elle peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’elle juge opportunes et vérifié les justifications fournies ».

Contrôle juridictionnel

Dans une décision du 9 juin 2005 (« Soc. Compagnie générale des Eaux », n° 03DA00269), rendue à propos de l’attribution d’un contrat d’affermage d’eau et d’assainissement à un syndicat intercommunal, la CAA de Douai soulignait que : « compte tenu de la différence de prix enregistrée et du sérieux des doutes émis par le candidat évincé, la production de documents de nature à justifier la détermination du prix proposé par l’offre de l’établissement public se révélait nécessaire ». L’annulation prononcée sanctionnait le refus de ce dernier de communiquer des pièces justificatives tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d’appel.

Ultérieurement, dans un arrêt du 16 novembre 2006 (« Commune de Quièvrechain », n° 05DA00341), la CAA de Douai a exercé un contrôle direct plus approfondi en présence d’une offre d’exploitation d’un service de l’eau produite par un syndicat intercommunal faisant « apparaître un prix de l’eau au m3 inférieur de près de la moitié à celui pratiqué par le syndicat les années précédentes dans le cadre du précédent contrat d’affermage signé avec la même commune et inférieur de 37 % par rapport au prix proposé par la société Eau et Force Nord-Ardennes, seule entreprise concurrente ». Pour la CAA, la production, par le syndicat lui-même, de comptes-rendus financiers pour 1997 et 1998, établit que le montant des charges répercutées sur le contrat de délégation résulte aussi d’une péréquation générale des coûts que l’établissement public supporte pour l’accomplissement de ses différentes missions. En procédant à une telle « mutualisation » de ses coûts, le syndicat a disposé de la possibilité d’abaisser de manière significative le prix de l’eau proposé. Forte de cette déduction (qui résulte moins d’une analyse intrinsèque de la composition des prix proposés par le syndicat intercommunal, mais beaucoup plus de l’absence de comptabilité distincte entre ses activités de service public et ses activités dans le domaine concurrentiel), la CAA a annulé la décision d’attribution du contrat pour méconnaissance du principe de liberté de concurrence.

Pour revenir au cas d’espèce, le TA de Limoges a procédé à l’examen de la composition des prix des prestations proposées par le syndicat intercommunal candidat à l’obtention du marché de travaux. Il a jugé que les documents produits, dans le cadre d’un jugement avant-dire droit, ne lui permettaient pas de déterminer les coûts directs d’exécution du marché en cause ni le poids des coûts généraux et a donc décidé que le syndicat ne justifiait pas les conditions de détermination du prix proposé. Mais pour la CAA de Bordeaux, une offre inférieure de 15 % à l’estimation du maître d’œuvre ne révèle pas un écart de prix caractérisant une offre anormalement basse. En conséquence, elle a jugé que la commune n’était pas tenue de demander au syndicat intercommunal de produire des documents justifiant le prix de son offre. Dans une autre affaire récente, la même CAA avait estimé qu’une commune n’était pas tenue de demander à un département de produire des documents de nature à justifier la détermination du prix proposé pour une activité de dragage assurée par un service départemental doté d’un budget annexe et soumis à des obligations fiscales et comptables comparables à celles des entreprises privées en précisant que « le prix proposé par le département n’était pas le moins élevé » ().

Ainsi, on ne peut présumer du seul écart de prix une atteinte à la libre concurrence et à l’égalité entre les candidats publics et privés à la commande publique. Le TA de Limoges a été sanctionné pour avoir exigé que le candidat public produise des justificatifs sans avoir préalablement vérifié si le pouvoir adjudicateur devait déclencher la procédure de détection d’une offre anormalement basse. Cette décision rappelle que les conditions de fond posées par l’avis du Conseil d’Etat de novembre 2000 n’ont pas été intégrées aux règles régissant le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse parmi lesquelles on trouve les dispositions de l’.

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