« La santé est un moteur d'amélioration des matériaux »

Entretien avec Suzanne Déoux, médecin ORL et spécialiste en ingénierie de la santé dans le cadre bâti et urbain. -

L'intégration des questions sanitaires est synonyme d'innovation. La vigilance doit se concentrer sur l'étape clé du chantier.

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Suzanne Déoux, médecin ORL et spécialiste en ingénierie de la santé dans le cadre bâti et urbain.

Quel bilan dressez-vous de la prise en compte de la santé par le secteur du bâtiment ?

La santé dans le bâtiment est une problématique ancienne qui a d'abord été liée aux risques microbiologiques : plus l'occupation humaine est importante, plus le risque de contamination est élevé. Dans les années 1940, les antibiotiques ont éclipsé ce sujet. Les matériaux ont alors émergé tels que l'amiante, interdit en flocage dans les bâtiments en 1977. Les préoccupations actuelles concernent les composés organiques volatils (COV), dont les effets sanitaires (respiratoires, neurologiques, mais aussi cancérogènes avec le radon) inquiètent. A présent, c'est au tour des nanoparticules d'être suspectées de toxicité élevée.

Dans quels domaines les progrès sont-ils les plus manifestes ?

La santé est un moteur d'amélioration des matériaux.

Les exemples sont nombreux : changement des liants pour limiter les émissions de formaldéhyde, diminution des produits solvantés et des phtalates… Nous disposons aussi de davantage d'informations sur les produits manufacturés, ce qui nous permet d'être plus précis dans nos préconisations, lors de la rédaction des cahiers des clauses techniques particulières.

Les progrès concernent aussi l'acoustique : la situation en France est meilleure que celle de certains de ses voisins européens. La prise en compte de l'impact de la lumière du jour sur nos rythmes biologiques est aussi positive.

La récente publication de la norme européenne sur l'éclairage naturel (.037 Daylight) témoigne de cette nouvelle préoccupation.

Les maîtres d'ouvrage sont-ils plus sensibles à la santé dans leurs bâtiments ?

Je constate une grande disparité chez les donneurs d'ordres. Certains souhaitent contribuer à préserver la bonne santé des occupants. C'est notamment le cas des responsables de locaux d'accueil de la petite enfance, dont la démarche peut, il est vrai, être motivée par la crainte d'être mis en cause en cas de problème. Pour l'immobilier de bureaux, le bien-être est devenu un argument commercial. Quant au logement, où aucun contrôle n'est réalisé, la santé reste trop souvent un argument marketing ; car, dans les faits, les exigences sanitaires lors de la conception ont le plus souvent disparu quand vient le moment de la livraison.

£Quels points d'amélioration reste-t-il ?

Le renouvellement d'air demeure le maillon faible. Si, lors de la conception, les systèmes de ventilation sont correctement dimensionnés, sur les chantiers le bât blesse. A la livraison, les dysfonctionnements sont nombreux et les débits d'air insuffisants. Il faudrait une obligation de contrôle des débits d'air à la livraison par une tierce partie.

Quels sont les domaines qui innovent aujourd'hui ?

Beaucoup d'innovations concernent la qualité de l'air intérieur (QAI). Il s'agit d'un enjeu majeur avec, d'une part, la mesure des polluants et, de l'autre, la dépollution de l'air.

Dans les deux cas, il est nécessaire de rester critique et vigilant. informent sur le confinement, celles de COV totaux interrogent sur les composés réellement mesurés. Autre question : comment distinguer les polluants issus des activités humaines de ceux émis par le bâtiment ?

Enfin, comment l'occupant va-t-il réagir à ces informations qui peuvent être anxiogènes. Il en va de même pour les matériaux dépolluants. Certes, les tests en laboratoire sont concluants, mais en conditions réelles d'utilisation, les performances peuvent différer. La vigilance reste de mise !

Comment considérez-vous l'évolution des réglementations thermiques (RT) ?

Les différentes RT n'avaient initialement qu'un seul objectif : réduire la consommation énergétique. Aujourd'hui, avec l'expérimentation E+C-, le législateur s'intéresse au carbone, sans prendre en compte la QAI. Or, l'emploi de certains produits biosourcés dans des conditions particulières modifie les émissions dans l'air intérieur. Par exemple, dans un bâtiment E4-C2, les teneurs en polluants - limonène, alpha-pinène, hexanal… - sont bien plus élevées qu'habituelle ment en raison d'une forte présence de produits dérivés du bois.

Quelle est votre priorité aujourd'hui ?

Lors de la conception, les préconisations peuvent être bonnes, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous à la livraison.

La phase chantier reste critique. Les produits mis en œuvre ne sont pas toujours ceux qui étaient préconisés. Les matériaux exposés aux intempéries ont été installés humides, etc. Afin d'informer les compagnons, nous avons mis en place avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) les ateliers Airbat, une sensibilisation accolée à la réunion de chantier. Si nous atteignons notre objectif, la santé sera améliorée.

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