Le 15 novembre, s’est tenue à Rennes la septième édition des assises de la terre crue, organisée par l’association Asterre.
Cette année, elle rassemblait près de 250 experts de la filière, mêlant majoritairement des artisans, mais aussi des chercheurs et des maîtres d’œuvre. « Il y a dix ans, ces assises ne réunissait que la petite famille des maçons, note Daniel Turquin, directeur technique de l’entreprise de fabrication de matériaux en terre crue, Akterre. Aujourd’hui, ce matériau présente un regain d’intérêt. La preuve : 80% des personnes présentes sont issus d’autres milieux », indique l’artisan.
Les différentes conférences, alternant retour d’expériences, exemples de réalisation et travaux de recherches, ont fait état des qualités de ce matériau vernaculaire.
Voilà en effet une matière abondante, renouvelable et recyclable, et qui utilise très peu d’énergie grise. Sa densité élevée lui confère une grande inertie thermique et sa perméabilité à la vapeur d’eau en font un excellent régulateur hygrométrique. La terre est aussi incombustible.
Crue, elle se décline de l’enduit au pisé en bloc prêt à l’emploi, en passant par le torchis, la bauge, l’adobe ou la brique extrudée.
Mais des freins restent à lever pour développer la filière.
Des réglementations inadaptées
Les professionnels relèvent le manque de réglementation adaptée : « Les lois sont rédigées pour ceux qui existent sur le marché, secteur du béton en tête », regrette Michel Rizza, consultant. C’est pourquoi, Daniel Turquin estime « qu’il est aberrant d’exiger des essais de résistance au feu pour un produit qui a été utilisé pour construire des fours ».
De plus, la profession a l’impression que l’application des réglementations s’effectue selon la règle du « deux poids, deux mesures ».
L’agence TOA, qui a récemment livrée une école à Nanterre avec un soubassement en pisé, s’est heurtée à cette difficulté : « Notre bureau de contrôle a demandé à ce que le pisé ne soit pas porteur et a souhaité une Appréciation technique d’expérimentation (Atex) validée par le CSTB », indique Pascal Thomas, architecte. « Or, l’exigence a également concerné la clôture, qui a du être renforcée par une structure béton, alors que le pisé est autoportant », poursuit l’architecte.
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Revoir les méthodes de calcul de la RE2020
Premier pas vers une réglementation adaptée, « la Confédération de la construction en terre crue (CCTC) a mis au point en avril des Guides de bonnes pratiques. Ils se déclinent en cinq opus à destination des maîtres d’ouvrages, maîtres d’œuvre et entreprises, pour les aider dans la mise en œuvre de la terre crue », explique Alain Marcom, maçon.
Dans un même élan, la confédération s’attelle à faire passer les qualités de son matériaux dans le cadre de la Réglementation environnementale (RE 2020) et aux Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) sur lesquelles elle s’appuie.
Les petites unités de la filière biosourcé n’ont pas toujours les moyens d’en produire, et doivent donc se baser sur des valeurs par défaut, pénalisantes. La méthode de calcul de la RE 2020 est aussi débattue chez les partisans de la terre crue. Pour Arthur Hellouin de Menibus, docteur en sciences des matériaux et membres de la CCTC, « il faut prendre en compte la contribution au stockage du carbone de l’atmosphère pendant la durée de vie du bâtiment ».
Brevet sur des parois en terre crue pour du R+6
Autre solution pour faire avancer les réglementations et démultiplier la production, « il faut que des industriels défendent les intérêts de la terre », selon Andreas Krewet, consultant et fondateur de la société Akterre.
Saint-Gobain Distribution Bâtiment s’empare déjà du sujet. L’industriel va déposer un brevet sur une paroi à base de terre crue destinée à des constructions pouvant dépasser le R+6. D’autre part, « l’argile représente environ 30 % des déchets de carrière, rien d’étonnant à ce que des cimentiers comme Lafarge ou Vicat regardent attentivement cette ressource », poursuit Michel Rizza.
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Les déchets du Grand Paris Express pour construire des quartiers en terre crue
« Le changement d’échelle quant à son utilisation est perceptible », souligne Andreas Krewet. Le Grand Paris a créé un engouement inédit. Ces travaux de grande ampleur mettent en lumière la problématique des déblais. Cycle Terre se propose de réutiliser et de valoriser les cinquante millions de tonnes de terres excavées non polluées, considérées comme des rebuts, pour la construction en terre crue de nouveaux quartiers du Grand Paris. Une usine de fabrication de brique doit d’ailleurs voir le jour en 2020 à Sevran, en Seine-Saint-Denis.
L’importance de la volonté publique
La terre arrive en milieu urbain ce qui représente aussi une nouveauté. Mais ce n’est pas toujours une évidence, comme le montre l’exemple de la ZAC de Biganos (Gironde). « Le maître d’ouvrage souhaitait utiliser de la terre crue pour construire de nombreux logements, mais plus le chantier avance, plus le matériau disparaît des procédés de construction », déplore Andreas Krewet.
Quoi qu’il en soit, même si la terre crue n’est pas toujours utilisée à bon escient, l’intérêt public et l’effet de mode autour de ce matériau motivent à l’ouverture du marché. « Le maire de Nanterre est un fervent partisan de techniques environnementales de pointe, relève Pascal Thomas, architecte. Sans sa volonté, le pisé n’aurait pu voir le jour dans cette ville dense. Notre travail n’est peut-être pas hyper concluant, mais au moins nous innovons », conclut l’architecte.