Conjoncture déprimée
La troisième édition des « 24 heures du bâtiment » a lieu, le 14 juin, à Paris dans un contexte d’activité déprimé pour le bâtiment. Confirmez-vous vos prévisions, assez pessimistes, pour 2013 ?
Arrivés presqu’à mi-année, nous sommes malheureusement dans l’épure annoncée il y a six mois, soit une baisse d’activité de 3,5 % et 40 000 emplois perdus sur 2013. Les opérations dans le logement social se sont ralenties ces derniers mois. La rénovation ne décolle pas. On espère que la perspective d’une hausse de la TVA au 1er janvier 2014 accélérera un peu le marché des particuliers à compter de septembre. Mais, pour l’instant, les artisans ne voient pas les demandes de devis affluer. Le manque de confiance des Français pèse sur les décisions d’achat immobilier et de travaux. Avec un distinguo entre les régions urbaines et rurales toujours aussi sensible.
Alors, quand entrevoyez-vous une reprise ?
2013 et 2014 seront de mauvaises années. Il faudra sans doute attendre fin 2014 pour entrevoir une reprise de l’activité.
Le moral des patrons du bâtiment s’en ressent forcément…
Evidemment. Mais, au-delà du seul manque d’activité, il y a des éléments psychologiques qui pèsent lourd : le développement de la concurrence déloyale, l’argent qui ne rentre pas, la fiscalité…
Logement : des annonces à concrétiser
Le Plan d’investissement pour le logement (PIL) ne les rassure-il pas ?
Le plan d’investissement pour le logement annoncé par le président de la République le 21 mars reprend 12 des mesures que nous préconisions. L’une de ses vertus est de travailler à la fois pour augmenter les volumes de production et pour réduire les contraintes. Si les annonces du gouvernement se concrétisent effectivement, on pourra parler d’avancées significatives. Je pense aux mesures sur les délais de paiement, au moratoire sur les normes, à l’encadrement du statut de l’auto-entrepreneur…
Ce plan sera-t-il en mesure de contribuer à relancer la production de logements ?
Il va dans le bon sens mais ce n’est pas un plan d’urgence. Certes, le logement social est préservé dans son rôle contra cyclique. Mais il ne va pas assez loin, notamment sur l’accession. Il faudrait élargir l’assiette du différé d’amortissement du PTZ , revoir le régime d’imposition des plus-values immobilières, trancher au sujet de la TVA sur la rénovation énergétique…
Qu’en est-il dans le tertiaire ?
La visibilité est encore moindre dans le tertiaire. L’activité se limite surtout aux grands bassins d’emplois. Là aussi, le manque de confiance pèse sur l’investissement.
Est-ce que vous anticipez une contraction de l’investissement public à l’approche des municipales ?
Il y a toujours un trou d’air avant et après les élections municipales. Personne ne nie que le gouvernement a écouté et comprend les professionnels que nous sommes. Mais je voudrais convaincre nos politiques qu’il faut aider le bâtiment. Je suis persuadé que le bâtiment peut sortir l’économie française de sa morosité. Voir l’activité de construction repartir aura un effet d’entraînement très fort sur la confiance des citoyens de notre pays. J’espère que le pacte pour le bâtiment que nous devons signer d’ici à l’été sera une occasion importante de relance pour notre secteur.
J’adresserai à nos adhérents un message de compréhension de leurs difficultés. Mais l’outil de production, s’il donne des signes de faiblesse, tient. Je me dois donc aussi de leur transmettre de l’espoir et de tracer des perspectives pour les aider à le préserver. Je dois dire que toutes les composantes de la fédération sont extrêmement mobilisées sur le terrain pour aider les entrepreneurs dans cette période difficile.
Concurrence et prix trop bas
Diriez-vous que la concurrence déloyale s’intensifie ?
Oui, clairement. Nous nous félicitons de la volonté du gouvernement d’encadrer le statut d’auto-entrepreneur dans le bâtiment, qui est une forme non négligeable de concurrence déloyale. Mettre davantage de contraintes sur le dispositif, c’est déjà reconnaître ses travers. Des avancées ont été enregistrées sur ce dossier. Nous n’abandonnons toutefois pas l’espoir que le bâtiment soit exclu de son champ d’application. (NDLR : l'interview a été réalisée avant l'annonce de la réforme sur le statut de l'auto-entrepreneur le 12 juin; voir notre article). Par ailleurs, la concurrence étrangère se développe également et, là non plus, nos entreprises ne jouent pas à armes égales. C’est pourquoi nous venons de préconiser dix mesures qui permettraient de lutter véritablement contre la concurrence déloyale (voir l'encadré).
Certaines de ces mesures ont-elles des chances d’être adoptées rapidement ?
L’une d’elles figurera dans la future loi de finances pour 2014. Il s’agit de l’auto-liquidation de la TVA dans la sous-traitance des travaux immobiliers. Nous plaidons également pour que la réglementation européenne sur le détachement des travailleurs soit renforcée. Plusieurs rapports parlementaires ont confirmé cette nécessité très récemment. Certes les contrôles ont été intensifiés à la demande du gouvernement. Mais même s’il n’est pas facile de contrôler car ces travaux sont réalisés sur des périodes souvent très courtes, il s’agit d’un enjeu majeur, tout comme la sensibilisation des maîtres d’ouvrage à conclure à des prix raisonnables.
La hausse des coûts de construction ces dernières années ne favorise-t-elle pas ce type de concurrence ?
Une étude que nous venons de réaliser pour objectiver cette hausse des coûts de construction (voir notre article) conclut à une hausse de 60 % du coût de construction sur quinze ans, à comparer à plus de 100 % pour les prix de l’immobilier. Elle s’explique avant tout par la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et des matériaux, par l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, et par des normes et des réglementations empilées sans souci de cohérence ou de maîtrise des coûts.
De nouvelles dépenses ont également fait leur apparition ou ont fortement augmenté. Je pense au gardiennage, aux clauses d’insertion, aux droits de voirie, à la dépollution des sols… Tous ces éléments mis bout à bout pèsent incontestablement sur le prix final à payer par le maître d’ouvrage, qui a souvent du mal à comprendre l’impact, en termes de coût, de l’addition de toutes ces contraintes.
Vous devez donc être satisfait de l’annonce d’un moratoire sur les normes ?
Oui, c’est un point important. Nous attendons toutefois des précisions sur son champ d’application.
Que penser des niveaux de prix actuels ?
Je ne peux que constater les comportements suicidaires de certaines entreprises qui proposent des prix beaucoup trop bas pour survivre à terme et de certains maîtres d’ouvrage qui acceptent des offres à prix cassés sans toujours mesurer l’importance du risque qu’ils prennent de voir le chantier arrêté pour de long mois si une entreprise fait défaut. Ce phénomène est récurrent dans les périodes difficiles. C’est là que la détection de l’offre anormalement basse est importante. Nous continuons d’insister sur ce point. C’est un travail de longue haleine.
De nombreuses annonces ont été faites pour améliorer les délais de paiement ces derniers mois. En êtes-vous satisfait ?
Nous avons, en effet, obtenu dans les marchés privés la reconnaissance du droit aux acomptes mensuels et l’inclusion du délai de vérification du maître d’œuvre dans le délai de paiement ; dans les marchés publics, le CCAG sera modifié pour accélérer le paiement du solde grâce à un DGD tacite. En revanche, le projet de loi consommation nous préoccupe beaucoup en proposant de réduire le délai de paiement des factures récapitulatives de soixante jours à quarante-cinq jours. Il me semble que l’action de lobbying engagée par les négociants est particulièrement malvenue vu la situation déplorable des trésoreries de nos entreprises.
Cice et contrat de génération peu plébiscités
Les entreprises utilisent-elles le préfinancement du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) ?
Le démarrage est lent car il faut du temps pour que les entreprises découvrent et s’approprient le sujet. Leur intérêt grandit manifestement. Mais les petites entreprises renoncent le plus souvent, jugeant, au vu des démarches administratives nécessaires et des coûts, que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Certains adhérents nous font savoir que des maîtres d’ouvrage demandent que les quelque 4 % de crédit d’impôt soient répercutés sur leurs devis. C’est parfaitement scandaleux car cet outil est destiné à aider les entreprises à consolider leurs capitaux propres. J’ajouterai un autre écueil, comptable celui-là. Si le Cice a été conçu pour être neutre pour le calcul de l’impôt sur les sociétés, sa comptabilisation de facto en moins des charges va impacter les index de salaires. Pour répondre à sa vocation, il aurait fallu le comptabiliser en produit d’exploitation. Pour l’instant, nous éprouvons quelques difficultés à nous faire entendre à Bercy.
Dans le même registre, les entreprises s’intéressent-elles au contrat de génération ?
Sur le principe, ce contrat est une bonne idée pour transmettre le savoir et favoriser la mixité des âges. Mais dans la réalité, il a du mal à décoller. Une négociation va s’ouvrir à la mi-juin dans le BTP sur ce thème. Force est de reconnaître que la principale préoccupation du chef d’entreprise en ce moment, c’est de remplir son carnet de commandes.
L’écoconditionnalité devrait s’appliquer début 2014. Le secteur sera-t-il prêt ?
Effectivement, l’écoconditionnalité devrait être effective début 2014, si j’en crois les déclarations successives des ministres concernés. C’est demain ! Cela signifie que pour bénéficier du crédit d’impôt développement durable ou de l’éco-PTZ, le particulier aura recours à une entreprise « reconnue Grenelle de l’environnement ». Nous devons faire œuvre de pédagogie accélérée. La poursuite du programme de formation Feebat est une bonne chose. Il faudrait qu’il soit pérennisé. Au-delà, je pense que pour aider ce marché à décoller, l’Etat serait bien inspiré de mettre en place une qualification équivalente pour ses propres marchés de rénovation énergétique. En fait, tout le monde, ou presque, fait déjà de la performance énergétique sans le savoir. En revanche, les entreprises doivent s’attacher à construire une offre globale. Cela nécessite de l’investissement, de la formation, du temps, un réseau, etc.