Un petit qui pousse vite. Le marché français du coliving compte entre 14 000 et 17 000 lits, selon les sociétés de conseil CBRE et JLL. Mais, compte tenu des chantiers en cours, ils seront 12 000 en plus dès la fin de l'année 2025 (voir ci-dessous). Importé des Etats-Unis à la fin des années 2010, ce produit se définit comme « un lieu de vie prêt à l'emploi pour étudiants et jeunes actifs qui profitent d'espaces partagés pendant un mois minimum », selon Axelle Baillet, directrice en France de l'exploitant italien Joivy.
Il peut également « convenir aux salariés qui arrivent dans une nouvelle ville et aux personnes en transition, après un divorce par exemple », illustre Florence Sémelin, directrice de l'investissement résidentiel chez JLL. Argument convaincant : un locataire n'a pas besoin de déposer de caution pour bénéficier d'un logement équipé de moins de 20 m² avec coin cuisine, douche et WC. Le loyer, qui inclut les charges et les abonnements divers, s'élève en moyenne à 770 € par mois. De fortes disparités existent néanmoins selon la localisation, les espaces communs et les options. Avec ou sans Netflix, par exemple.
Attirant principalement de jeunes célibataires, le coliving partage une frontière poreuse avec le logement étudiant. « Notre groupe développe et exploite des résidences étudiantes, qui ont l'obligation de loger des étudiants à 70 %, et dans lesquelles certains étages peuvent être dédiés au coliving », explique Thibault Champenier, dirigeant du groupe Cardinal.

Bâtiment mono-propriétaire. Contrairement au Royaume-Uni, aucun acteur en France n'a fait faillite. « Cela s'explique principalement par la jeunesse du marché, estime Adrien Prigent, consultant chez CBRE. La plupart des exploitants se trouvent en phase de développement et sont en train d'utiliser le cash des investisseurs qui les suivent. » Le coliving s'est en effet imposé comme l'actif résidentiel préféré de ces derniers, en particulier les institutionnels qui achètent en bloc l'immeuble entier. Les élus locaux apprécient également ces projets car « ils ont la certitude que le bâtiment sera entretenu, contrairement aux résidences étudiantes vendues dans les années 2000 à des particuliers et aujourd'hui difficile à rénover », observe Thibault Champenier.
Autre point fort dans le contexte actuel : le coliving se prête bien à la reconversion de bureaux. « Les grands plateaux peuvent être divisés en appartements individuels ou en espaces communs. De plus, les résidences de coliving comportent des configurations de chambres ou de logements qui se répètent, mieux adaptées aux bâtiments tertiaires qu'à ceux de logements traditionnels », souligne Michel Rami, directeur des acquisitions de The Boost Society, investisseur-exploitant qui achète en Vefa à Nacarat et d'autres promoteurs des résidences de 150 lits minimum.
Terrain de jeu préféré des principaux acteurs, l'Ile-de-France offre de belles perspectives car le taux de vacance de ses bureaux ne cesse de progresser depuis le Covid. « Nous sommes approchés par des foncières tertiaires pour envisager des reconversions en coliving, mais elles peuvent être refroidies par la division par un et demi ou deux du loyer attendu, par rapport au bureau », confie Axelle Baillet, de Joivy. Toutefois, des projets se concrétisent. En témoigne la transformation en cours de locaux d'activités dans le Xe arrondissement de Paris qui intégreront une dose de meublé touristique, loué plus cher qu'un appartement en coliving, pour rentabiliser l'opération.
A chacun son modèle économique. Pour grandir, le coliving français s'appuie sur des profils variés : le promoteur Vinci Immobilier avec sa filiale d'exploitation dédiée Bikube, le pure player Colonies qui a levé 71 M€ depuis 2019… Certains restent propriétaires des murs, d'autres se concentrent sur l'exploitation. Le développement de l'offre dépend du plus ambitieux d'entre eux, le groupe Uxco, qui intègre les métiers de promoteur et de gestionnaire. Son credo : plus il y a de résidents, plus il y a d'espaces partagés qu'un jeune ne pourrait trouver dans une colocation classique (cafétéria, fitness, salle de cinéma…). Rentable, sa marque d'exploitation Ecla compte à Palaiseau (Essonne) la plus grande résidence d'Europe, avec un total de 1 800 lits et 4 000 m² de services. « Les parties communes doivent représenter entre 10 % et 15 % de la surface totale du bâtiment », explique Florelle Visentin-Klein, directrice générale du groupe.
Fréquenté principalement par des étrangers, ce campus en appelle d'autres. Ecla doit « passer de trois résidences exploitées actuellement en Ile-de-France à une dizaine d'ici cinq ans, y compris en région », annonce la directrice générale. Les métropoles de Lyon, Toulouse et Montpellier sont ciblées. A Bordeaux et Lille, les chantiers sont en cours pour des ouvertures en 2026. Foncier inclus, Uxco investit entre 80 et 100 M€ par projet de 700 lits minimum. « A la construction, le coliving est plus coûteux qu'une opération résidentielle traditionnelle, car en tant qu'exploitant, nous mettons les moyens dans l'épaisseur des murs, la qualité des menuiseries, le système de production d'eau chaude… pour optimiser les bénéfices énergétiques », confie-t-elle.
A l'opposé, le rénovateur-exploitant Colodge loge 10 à 20 personnes dans de petits immeubles ou maisons. Ces volumes ne lui permettent pas d'offrir « un énorme programme d'événements » comme les poids lourds du marché, reconnaît Thomas Schmider, dirigeant-fondateur. Toutefois, trois « city managers » sont chargés d'animer les communautés, de Roubaix (Nord) à Lyon (Rhône). « Nos forces sont le calme, les espaces généreux et la sélection des habitants pour susciter des rencontres », assure-t-il. A son lancement en 2014, Colodge était « maître d'ouvrage pour adapter les maisons comme on le voulait, en détenir les murs et les exploiter », mais au fil de l'eau, « certains biens ont été revendus à des investisseurs », raconte-t-il. Son activité d'exploitation sera à l'équilibre pour la première fois cette année, avec un chiffre d'affaires de 1,5 M€ pour un total de 300 lits. Foncier inclus, l'investissement moyen par chambre créée est passé en dix ans de 100 000 € à 125 000 €. Le marché tâtonne encore, mais foisonne déjà.
