Ci-dessous, le court-métrage : «Et puis il y a Chinagora», par Fanny Taillandier…
«Tu es trop jeune pour savoir exactement où tu es. Tu as connu autre chose mais tu l’as déjà oublié : le principe de l’enfance. Tu n’es pas d’ici mais tu ne connais nul ailleurs : le principe de la banlieue. Tu sais qu’il y a la tour, le square, le parking, la supérette, le bus de la piscine, l’école. Il y a l’église arménienne et la sandwicherie turque, l’épicerie arabe et le supermarché casher, tout cela se ressemble et tu ne saisis pas les différences : des rues, des façades, des vitrines et du béton, chez toi.
Et puis il y a Chinagora.
Tu apprends, tu parcours. Tu connais les bords de Marne, où l’on rencontre la BAC à la nuit tombée, tu connais les bords de Seine ; cheminées, poids lourds à toute berzingue. C’est un terrain vécu, arpenté, baptisé du nom des quartiers que vous habitez toi et les autres, Alouettes, Liberté, Grand ensemble, carrefour Pompadour, port à l’anglais. C’est ici que tu grandis, bus, collège, RER, premières fugues et premières amours. Tout ça c’est le monde normal, le monde tel qu’il est et avec lequel il va falloir composer : au loin les cheminées de la centrale EDF, là au-dessus des dix voies de l’autoroute A4 on arrive à ce coteau où des cabaniers gardent des chiens furieux, là-bas l’échangeur qui forme un vaste entrelacs au-dessus de la rivière.
Et puis il y a Chinagora.»
Fanny Taillandier est née en 1986. Écrivaine, autrice du roman Les Confessions du monstre (Flammarion 2013, prix littéraire des Grandes Écoles 2014), du roman-essai Les états et empires du lotissement Grand Siècle (P.U.F. 2016, prix révélation de la Société des gens de lettres, prix Fénéon, prix Virilo), de Par les écrans du monde (Seuil, 2018) et Farouches (Seuil, 2021).
Une collection réalisée par Stefan Cornic, concepteur de la série, et produite par Année Zéro et le Pavillon de l'Arsenal en partenariat avec La Métropole du Grand Paris, La Caisse des Dépôts et Enlarge Your Paris.