Premier constat : une grande majorité d'interlocuteurs se méfie énormément - pour ne pas dire plus ! - des mots « prévisions » et « prospective », même s'il s'agit d'évolution à court-moyen termes (deux ou trois ans) du secteur du bâtiment. Globalement, il n'en demeure pas moins que la plupart d'entre eux ne prévoient pas de chambardement dans le secteur de la construction d'ici à l'an 2000 et au tout début du troisième millénaire.
LOGEMENTS COLLECTIFS : DES PRODUITS MIEUX CIBLES
« Le parc de logements sociaux doit absolument être rendu plus attractif car, dans certaines villes et dans certaines régions, on commence à enregistrer des vacances. Preuve que l'offre ne correspond plus toujours à une demande de plus en plus exigeante, en termes de confort et de qualité des prestations, même de la part de locataires - ou d'acquéreurs potentiels - aux revenus plus que modestes », constate Patrick Marie, directeur de la société anonyme d'HLM et d'aménagement de Haute-Normandie (8 000 logements locatifs). Directeur délégué à l'action professionnelle de l'Union des HLM, Pierre Quercy, qui croit aussi beaucoup au développement de ce marché de la mise à niveau du parc social en vue de faire baisser le nombre des logements vacants, estime, pour sa part, que les bailleurs sociaux vont probablement devoir s'orienter vers des produits plus - ou mieux - ciblés qu'aujourd'hui. « Il n'y a pas qu'une clientèle, mais des demandes très spécifiques émanant des démunis, des immigrés, des étudiants, des jeunes ménages, des classes moyennes, des personnes du troisième âge, etc. Cette diversité devrait se retrouver au niveau de l'offre, ou plutôt des offres. »
Pierre Quercy est également convaincu que les bailleurs sociaux, pour des raisons évidentes (les locataires et les accédants potentiels sont moins « riches » qu'il y a quelques années), vont devoir éviter certains gaspillages. « Par exemple, prévoir moins de places de parking », précise-t-il. Avant d'ajouter : « Force est de reconnaître que la superficie des logements, pour des raisons de solvabilité de la clientèle, a également tendance à diminuer. Il y a quatre ou cinq ans, un T3 équivalait à 68 m2. Aujourd'hui, on est beaucoup plus près de 63 m2. Cette tendance ne devrait pas s'inverser au cours des prochaines années. »
Des appartements transformables
Gérant et directeur général de BAPH (Bâtir, aménager, promotion, habitat, groupe Ocil), Edouard Darkanian fait à peu près la même analyse lorsqu'il suggère que les organismes HLM et les promoteurs produisent de « faux » 3 ou 4 pièces transformables un jour, en fonction de la demande (et de la solvabilité des locataires ou des acquéreurs), en grands 2 ou 3 pièces. Autre piste suggérée par Michel Ceyrac, directeur général du groupe immobilier 3 F (numéro un français du logement social, avec un parc de plus de 115 000 habitations) : « La construction de bâtiments qui vieillissent bien et s'entretiennent bien. »
Quant à Bertrand Avril, directeur du développement du groupe George V, il résume assez bien le sentiment général de bon nombre de constructeurs et de promoteurs privés en déclarant notamment : « En trois ou quatre ans, il ne devrait pas y avoir de changements notoires ; dans Paris intra-muros, les nouvelles "pistes" ne sont pas évidentes, le logement, en particulier de grand standing, n'étant pas un produit de consommation rapide. »
LOGEMENTS INDIVIDUELS :
DES ATTENTES EVOLUTIVES
Etre locataire et encore plus être propriétaire d'une maison individuelle demeure le rêve de la majorité des ménages français. « Il faut sécuriser l'accession à la propriété et permettre au futur accédant de ne pas être obligé d'avancer de l'argent pendant la période de construction, afin de ne pas l'étrangler financièrement », explique Didier Braud, secrétaire général du réseau national Maisons d'en France.
Certains constructeurs de maisons individuelles, qui craignent une éventuelle remise en cause du prêt à taux zéro, imaginent déjà des produits susceptibles d'intéresser une clientèle aux moyens financiers plus limités. « Le prix moyen de nos maisons dont la superficie tourne autour de 105-110 m2 est actuellement de 600 000 francs. Dans deux ou trois ans, ce chiffre risque d'être ramené à 550 000 francs. Nos marges vont en prendre un coup. Nous allons donc devoir réviser à la baisse certaines de nos prestations », remarque notamment Jean-Jacques Fresson, directeur de la société messine Alliance Immobilier (près de 140 maisons construites par an). Cette révision à la baisse pourrait concerner : l'aménagement des combles (25 m2 en moyenne) qui serait réalisé par le propriétaire, parfois plusieurs années après l'achat de la maison ; les finitions qui, elles aussi, pourraient être réalisées par l'acquéreur ; le chauffage, avec un probable retour en force du chauffage électrique dont l'installation coûte nettement moins cher qu'un chauffage au gaz.
Des pistes pour la maison de demain
Une étude de motivation effectuée début 1997 par CCA pour Kaufman & Broad auprès d'acheteurs potentiels de maisons et d'appartements montre également que la notion de « maison évolutive » a le vent en poupe. Les auteurs de cette enquête affirment notamment que les acquéreurs potentiels valorisent la notion de la maison évolutive, à laquelle on peut adjoindre des dépendances ou aménager les combles, que l'on peut modifier avec le temps. Ils ajoutent également, dans un autre ordre d'idée, que «le climat d'insécurité impose la présence de caméras de télésurveillance limitant la vie privée».
Autres pistes de réflexion tracées par André Caron, gérant de Caron Marketing, l'un des meilleurs « penseurs » sur l'évolution de l'habitat. Il entrevoit quatre évolutions possibles, sinon probables : l'arrivée sur le marché de maisons « patio », refermées sur elles-mêmes, en partie pour des raisons sécuritaires ; la « naissance » de résidences secondaires transformables en résidences principales lorsque les propriétaires deviennent retraités (souvent de plain-pied et suffisamment grandes, bien équipées et confortables pour pouvoir accueillir enfants et petits-enfants pendant les vacances) ; des résidences mixtes, capables de répondre à une demande à la fois résidentielle et professionnelle (de plus en plus de personnes travaillent... à la maison) ; l'apparition de maisons individuelles locatives, l'offre étant actuellement insuffisante par rapport à une forte demande.
A ces quatre « pistes », on pourrait en ajouter une cinquième. A savoir la construction de maisons de ville accolées, comme cela est fréquent dans les pays anglo-saxons. « Car, comme l'explique Claude Marcel, directeur général du groupe Constructa, il faut aujourd'hui s'efforcer d'économiser l'espace. »
BATIMENTS NON RESIDENTIELS : UNE FLEXIBILITE PLUS GRANDE
Tous les professionnels de l'immobilier de bureaux l'affirment : la France vit actuellement un début de cycle haussier. Etant donné qu'il faut au moins deux, voire trois ans, pour concevoir et réaliser un complexe immobilier, il vaut donc mieux ne pas se tromper de produit. Directeur général d'Auguste-Thouard, Maurice Gauchot estime que les bureaux de l'an 2000 devront au minimum : être câblés, comprendre des faux-planchers techniques, de grandes hauteurs sous plafond (au moins 2,70 m) et être climatisés.
Bel avenir pour le marché de bureaux franciliens
« En outre, ajoute Maurice Gauchot, l'aménagement intérieur devra être très souple, avec la possibilité de déplacer facilement et rapidement des cloisons. » Les entreprises utilisatrices, qui sont et seront encore plus, à l'avenir, locataires de ces espaces, souhaitent une garantie de charges et un minimum de services annexes, si possible dans l'immeuble ou le complexe immobilier concerné : restaurant d'entreprises, distributeur de billets de banque, etc.
Président du groupe britannique Capital & Continental, Christopher Holloway est persuadé que le secteur du marché de bureaux francilien a un bel avenir devant lui dans la mesure « où la demande de produits aux normes internationales est forte et où les stocks, s'ils veulent s'écouler, ont besoin de subir un sérieux lifting ».
Concernant les entrepôts, les tendances sont moins facilement perceptibles. Il est vrai que ce type de bâtiments d'activités peut être mis en place en six mois. « Les normes à respecter au cours des prochaines années, pour ne pas être déphasé par rapport à la demande, seront des hauteurs supérieures à 7 m et des entrepôts à quais », se risque pourtant le directeur général d'Auguste- Thouard.
Malgré une législation et des réglementations de plus en plus contraignantes, l'urbanisme commercial est également appelé à évoluer sensiblement au cours des prochaines années. Architecture, aménagement intérieur et décoration sont et continueront à être de meilleure qualité et les centres commerciaux accueilleront de plus en plus souvent des activités complémentaires : restaurants, cinémas, cabinets médicaux, clubs de remise en forme, etc.
Vice-P-DG de Ségécé (groupe Compagnie bancaire), Eric Ranjard est convaincu que l'urbanisme commercial a encore de beaux jours devant lui. « Non seulement pour la rénovation/réhabilitation de centres existants, mais également pour la construction d'équipements nouveaux, la France étant loin d'être saturée dans ce domaine. »
REHABILITATION : UN MARCHE ANNUEL DE PLUSIEURS CENTAINES DE MILLIARDS !
« Savez-vous que l'amélioration du logement par les ménages représente un marché annuel d'environ 160 milliards de francs et qu'avec l'effort consenti par les bailleurs sociaux, on arrive à plus de 205 milliards ? », remarque André Caron.
Le marché de la réhabilitation a, à l'évidence, le vent en poupe. D'autant que le logement n'est pas le seul secteur à être touché par ce phénomène. L'immobilier de loisirs, l'hôtellerie, l'urbanisme commercial, l'immobilier de bureaux, la politique de la ville (même les villes nouvelles sont concernées !), le parc immobilier des universités, etc., sont touchés par la réhabilitation/rénovation. « A Paris et en région parisienne, les bureaux qui n'auront pas subi un "lifting" ne trouveront pas preneurs. C'est donc un marché non négligeable pour un groupe comme le nôtre », constate par exemple Jean Papahn, président-fondateur de la Soferim, qui réalise de nombreuses réhabilitations de bureaux et de logements en Ile-de-France.
Les PME et les entreprises artisanales du BTP vont être de plus en plus souvent confrontées à une demande spécifique de la part de leurs clients. A savoir la nécessité de proposer une offre globale, le donneur d'ordres ne voulant plus être obligé de courir après plusieurs corps d'état. « Nous avons compris ce besoin de "globalité". Nous avons donc créé un groupement informel rassemblant différentes compétences : maçonnerie, menuiserie, électricité, etc. », affirme Georges Rigaud, P-DG de l'entreprise parisienne Lefaure & Rigaud, spécialisée dans la maçonnerie et le béton armé (60 millions de chiffre d'affaires HT, 140 salariés).
Les GSB (grandes surfaces de bricolage) semblent avoir bien compris cette nouvelle attente de la clientèle essentiellement privée en passant des accords avec des artisans qui vont installer fenêtres, douches, équipements sanitaires, etc. chez leurs clients.
GRAPHIQUES :
Mises en chantier de logements et de non-résidentiel (1990-1996)
L'année 1990 aura marqué pour le logement la fin d'un cycle qui n'a connu depuis qu'une seule année de croissance, en 1994. C'est le logement collectif qui a tiré l'activité à la baisse. Aujourd'hui, la construction neuve se situe en dessous de la barre annuelle des 300 000 unités.
Les mises en chantier de locaux non résidentiels ont fortement chuté jusqu'en 1994. L'activité du secteur semble depuis se stabiliser. Sur la période, seule la construction neuve de bâtiments à usage industriel ou agricole a réussi à résister.
Activité entretien-amélioration (1990-1996)
On assiste, depuis 1990, à une certaine stabilisation des montants des travaux d'entretien. Le programme supplémentaire de réhabilitation de 100 000 logements sociaux devrait contribuer au redressement de cette activité, de même que la mise en oeuvre du plan de désamiantage des lycées et collèges et l'entretien des surfaces commerciales.