Le périmètre de la RE 2020 s’élargit : les clés des ingénieurs pour y répondre

Commerces, hôpitaux, bâtiments industriels... devront bientôt revoir leurs modes constructifs pour se mettre en conformité avec la future réglementation. Parmi les priorités, les concepteurs devront cibler la conception bioclimatique et les énergies renouvelables. 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
bati d'habitation structure bois

Alors que l’extension du périmètre d’application de la RE 2020 à dix nouvelles typologies de bâtiments (hôtels, restaurants, commerces, crèches, universités, médiathèques et bibliothèques, établissement de santé, gymnases, bâtiments industriels et aérogares) doit être actée au 1er janvier prochain, les niveaux d'exigences du futur décret font l’objet d’une consultation publique jusqu’au 23 juin.

Pour les définir, la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) a organisé des concertations préliminaires avec des bureaux d’études techniques et économiques, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Elles ont donné lieu à des simulations afin de définir des valeurs seuils souples (faciles à atteindre), intermédiaires ou exigeantes. « Le lancement de cette consultation publique résulte donc d’une co-construction, afin de s’assurer que la réglementation soit applicable », confirme Paco Vadillo, ingénieur et manager chez Carbone 4, société de conseil qui a travaillé avec le Hub des prescripteurs bas carbone au côté de l’Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb).

Quels sont donc les impacts pour les différents types de bâtiments ? Et quels sont les leviers d’action de chacun pour se mettre en conformité avec la Réglementation environnementale ?

Six indicateurs réglementaires 
Les besoins énergétiques (indicateur Bbio)
Les consommations énergétiques du bâtiment (indicateurs Cep et Cep non renouvelable)
Les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction (indicateur Ic_construction)
Les émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d’énergie (indicateur Ic_énergie)
Le confort d’été (Degrés-heures)

Indispensable conception bioclimatique

Premier levier d’action commun : « nous devons capitaliser sur les apprentissages de ces trois ans d’application de la RE2020, pose Paco Vadillo. Intégrer les questions environnementales passera, comme pour les logements et les bureaux, à commencer par le levier architectural et la recherche de compacité et de sobriété, soit l’indicateur Bbio relatif à la conception bioclimatique ».

Pour les estimer, Artelia, qui a travaillé sur les hôtels, les commerces, la santé et l’industrie, s'est appuyé sur des projets réels. « Nous les avons modélisés en conformité avec la RT 2012, avant de pouvoir tester et pousser des variantes pour réduire les émissions carbone et les consommations d’énergie à des coûts maîtrisés », détaille Hocine Beladra, responsable du pôle modélisation de la performance de l’ingénieriste. Résultat pour les hôpitaux : les concepteurs devront réduire les besoins énergétiques Bbio de 30 % par rapport à la RT 2012, ce qui impliquera de travailler sur la compacité, le taux de vitrage, les épaisseurs d’isolants et les ponts thermiques. Même philosophie  pour les bâtiments commerciaux. Thomas Lemerle, chef de projet pour le bureau d’étude thermiques et fluides Pouget consultants, qui a réalisé des simulations pour le syndicat de l’enveloppe métallique, constate que « la DHUP a retenu pour cet usage les seuils Bbio les plus exigeants ».

La bonne énergie au bon endroit

La réduction des besoins impacte directement les consommations d’énergie primaire (Cep). « Pour les hôpitaux, nous devrons les réduire de 15 % environ en jouant sur les équipements de CVC », poursuit Hocine Beladra. Même si les bénéfices d’une bonne ventilation sont connus, il est possible d’optimiser et de moduler les puissances des centrales de traitement d’air, ce qui offre de belles marges de manœuvre aux concepteurs. Les équipements techniques liés aux soins restent évidemment hors du périmètre de la RE.

Quant aux bâtiments industriels, « certains devraient continuer de livrer des bâtiments chauffées en dessous de 12 °C pour échapper à la RE », estime Thomas Lemerle, chef de projet chez Pouget Consultants

Eviter les données environnementales par défaut

Nous demandons aux industriels de poursuivre leurs efforts pour produire des FDES et des fiches PEP afin d’éviter les Données environnementales par défaut (DED) qui pénalisent les ACV des ouvrages.

—  Paco Vadillo, manager chez Carbone4

Côté carbone, ce sont plutôt les seuils intermédiaires voir souples et donc plus faciles à atteindre qui ont été retenus. Et la première marge de manœuvre concernera les données disponibles. « Nous encourageons les industriels à poursuivre leurs efforts pour produire des Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) et des fiches de Profil environnemental produit (PEP) afin d’éviter les Données environnementales par défaut (DED) qui pénalisent l’analyse de cycle de vie des ouvrages », souligne Paco Vadillo.

Le réemploi, une filière qui se consolide

Une fois cette étape validée, un levier important pour limiter les émissions de gaz à effet de serre lors de la construction (Ic construction) concernera l’optimisation des matériaux de gros œuvre. « Nous avons testé des variantes prudentes, avec des bétons bas carbone, des planchers ou des voiles en bois, et vérifié les hypothèses avec nos ingénieurs structures et nos économistes, plutôt que de rechercher des technologies de rupture qui présenteraient d éventuels surcoûts selon les localisations géographiques », indique Kévin Thizy, responsable du pôle conception environnementale de bâtiments pour l’entreprise d’ingénierie Artelia. Du côté des bâtiments industriels, les ossatures métalliques devraient pouvoir être préservées, projette Thomas Lemerle. Le syndicat de l’enveloppe métallique travaille de son côté sur des aciers moins carbonés.

Pour le second œuvre, le recours à des cloisons, revêtements, ou peintures biosourcés ou recyclées doit devenir monnaie courante. À ce sujet, « le réemploi, une filière encore en train de se structurer, y compris auprès des bureaux de contrôle et des assureurs, sera un levier important », estime Paco Vadillo.

Fin annoncée du gaz

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d’énergie (Ic énergie), les nouveaux seuils ne seront atteint qu'à condition de se passer des énergies fossiles, en particulier du gaz, pour privilégier le raccordement à des réseaux de chaleur decarbonnés et aux énergies renouvelables.

Quant au calcul des degrés heures (DH), les modulations sont tellement complexes selon les zones climatiques qu’il reste difficile d’envisager des tendances.

L’exemple spécifique des aérogares

Pour évaluer concrètement la pertinence des seuils proposés, les équipes du groupe ADP mènent une étude théorique. « Nous analysons une tranche d'un bâtiment existant : le satellite 4 de Paris Charles de Gaulle, en l’occurrence la jetée M d’embarquement et de débarquement du terminal 2E en le questionnant ainsi : si nous concevions ce bâtiment aujourd’hui, et que nous souhaitions atteindre les seuils RE2020, quels choix devrions-nous faire ? », détaille Thimotée Berger, directeur adjoint du département Architecture & Design. Si le groupe ADP n’a pas encore rendu ses conclusions, les équipes ont déjà identifié des pistes d’actions en lien avec les modes constructifs, l’emploi de  bois et de matériaux biosourcés, le recours à des systèmes de climatisations adiabatiques, du chauffage par géothermie, etc. Elles ont aussi pris conscience de limites : les grands volumes à chauffer et la forte mécanisation (des parcours, du tri bagage, des gaines techniques, des systèmes d’alimentation…) continueront à peser lourd dans les bilans. « Nous essayons de constituer une grammaire de ce qui va nous permettre d’atteindre les performances énergétiques et environnementales, sans entamer l'hospitalité, le confort ni la qualité d’accueil, car les aérogares sont à la fois  des outils industriels et  la porte d’entrée sur notre pays », justifie Thimotée Berger, conscient que cet exercice d’équilibriste va devenir de plus en plus complexe. Sans compter l’équation économique : « nous savons que ces choix vont renchérir les prix même si nous ignorons encore dans quelles proportions. Mais comme il s'agira d'une obligation règlementaire, nous n’avons d’autres choix que de nous y conformer  ».

Construire mieux à coûts maîtrisés

La RE2020 est structurante par les contraintes qu’elle apporte, qui peuvent se transformer en opportunité

—  Paco Vadillo, manager chez Carbone4

Pouget Consultants a de son côté été sollicité par EDF pour réaliser des études sur les bâtiments à usage commercial.  « Nous travaillons sur  une étude de cas que nous souhaitons achever avant la fin de la consultation publique. Elle porte sur un supermarché de 1500 m², pour voir si nous arrivons à atteindre les seuils demandés à des coûts maîtrisés », informe Thomas Lemerle.

Pour l’heure, les incertitudes persistent. Et la profession reste dans l’attente du rapport de Robin Rivaton, qui doit mettre en balance les surcoûts financiers et les gains carbone, afin de pouvoir acter le sort du seuil 2028. La grande question qui reste en suspens étant : sommes-nous capable d’atteindre les seuils à des coûts maîtrisés, dans un contexte de crise immobilière ?

À cette question, Carbone 4 répond clairement : « la RE 2020 est structurante par les contraintes qu’elle apporte. Lorsque maîtrises d'ouvrage et maîtrises d'oeuvre s'approprient ce cadre réglementaire et collaborent, celui-ci peut se transformer en opportunité ». Plutôt que de détricoter le texte, le cabinet de conseil appel à se retrousser les manches, car le climat, lui, continue à changer avec son corolaire de conséquences dramatiques.

Quid de l’extension de la réglementation environnementale  à la rénovation ?
« Cela fait deux ans que les travaux du Hub des prescripteurs bas carbone s'intéressent à la réduction de l’empreinte environnementale en rénovation », indique Paco Vadillo, manager chez Carbone 4. Seulement, il est encore difficile de réaliser l’analyse de cycle de vie d’un bâtiment existant. « Comment comptabiliser les éléments ajoutés, et ceux enlevés ? Nous ne disposons pas de méthodologies harmonisées », remarque-t-il.

S’il est acté que rénover reste plus efficace que de construire neuf en matière d'émissions carbone, « comment mettre en œuvre un cadre réglementaire aussi structuré que celui de la RE 2020 pour réduire les émissions suivant la même trajectoire? », interroge l’expert, avant de poursuivre. « Nous aimerions voir émerger un équivalent à l’expérimentation E+C- dédié. Il faut y réfléchir dès maintenant, et aller vite pour respecter les objectifs de 2031 ».

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !