300 000 euros pour 24 km² : « La restauration des rus du domaine forestier de Chaource et Rumilly, dans l’Aube, présente un rapport coût bénéfice très favorable », se réjouit Matthias Alloux, chef de projet à l’établissement public d’aménagement et de gestion des eaux (Epage) de l’Armançon. Plus de cent représentants de collectivités ont reçu son message encourageant, lors d’un récent webinaire d’IdealCo intitulé « Les cours d’eau en tête de bassin versant, des milieux à préserver ».
Des forestiers réticents
Représentant 89 000 habitants répartis dans trois départements (Yonne, Aube, Côte-d’Or) et deux régions (Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté) à l’amont du bassin de la Seine, le maître d’ouvrage pointe les obstacles culturels qui ont longtemps empêché le démarrage de l’opération. « En 2016 quand nous avons voulu démarrer les discussions, les forestiers refusaient de nous entendre », se souvient le chef de projets.
Victimes de cette fin de non-recevoir, les agriculteurs retrouvaient leurs champs inondés, sans vraiment comprendre d’où venait l’eau. « Le sol argileux empêche l’infiltration. En quelques heures, le débit du Brévant peut passer de 20 à 740 l/s, », explique Matthias Alloux.
La réparation d’une éponge
Jusque dans la seconde moitié du XXème siècle, la forêt servait d’éponge, pour réguler ces flux. Dans les années 1960 et 1970, l’intensification de la sylviculture a conduit les exploitants forestiers à corriger les méandres et à multiplier les drains, le long des pistes, pour accélérer les écoulements.
Au tournant des années 2010 et 2020, les sécheresses à répétition ont fait évoluer les mentalités. Le renouvellement des techniciens locaux de l’Office national des forêts a accéléré la prise de conscience. « Les forestiers ont fini par comprendre que la survie des feuillus dépendait de la restauration écologique que nous proposions », soupire Matthias Alloux.
Equilibre déblais remblais
Le déblocage s’est traduit par la signature de sept conventions entre l’Epage et les propriétaires forestiers. En deux lots géographiques, les chantiers de terrassement et de recalibrage de cours d’eau ont pu se dérouler en 2021 et 2022. Le maître d’ouvrage recense 116 méandres reconnectés, correspondant à 7,8 km de linéaire ajoutés aux cours d’eau. Le retour à l’état originel a nécessité la neutralisation de 50 km de drains et la pose de 2550 bouchons.
Pour préserver les sols, le maître d’ouvrage a proscrit les pelles de plus de 9 tonnes. La maîtrise d’œuvre en régie facilite l’équilibre entre déblais et remblais : avec les terres excavées, l’Epage façonne des mares, renforçant ainsi le bilan écologique de l’opération, tant du point de vue des émissions de carbone qu’au chapitre de la préservation de la biodiversité.
Solidarité de l’aval à l’amont
Cerise sur le gâteau, deux bonnes fées de l’adaptation au changement climatique sont venues compléter les subventions de l’Agence de l’eau Seine-Normandie : filiale de la caisse des dépôts, CDC biodiversité a inclus la forêt champenoise dans son programme Nature 2050 ; l’adhésion récente de la Métropole du Grand Paris à l’Etablissement public territorial de bassin (EPTB) Seine-Grand Lac a permis de faire jouer la solidarité des franciliens envers l’amont de leur bassin versant. « Sur nos 15 opérations annuelles qui mobilisent en moyennent 8 M€/an, l’EPTB abonde notre reste à charge à raison de 20 à 50 % », précise Matthias Alloux.
Le bénéfice conjoint apporté à la sylviculture et à l’agriculture alimente le discours de l’Epage : « Au-delà de la restauration écologique des cours d’eau, nos opérations se définissent comme des projets de territoire », expose son porte-parole.
L’animation, clé de la réussite
Sur les sols calcaires du département de l’Yonne, la renaturation de 4 km du Landion illustre ce propos. Destiné à protéger le captage de Cheney, les travaux ont rallongé un tronçon du cours d’eau à 2400 m au lieu de 1800, au prix d’un sacrifice de surface agricole : pour retrouver son lit historique géo-référencé à partir du cadastre napoléonien, le Landion a coupé en deux un champ de céréales.
L’acceptation d’un tel remembrement, au profit de la nature et de la gestion de l’eau, requiert des compétences qui dépassent celle des écologues, des hydrologues et des entreprises de terrassement : aux 4400 h d’ouvriers, 850 h de pelles, 200 h de camions et 500 h de maîtrise d’oeuvre qui ont jalonné les travaux chiffrés à 310 000 €, s’ajoutent les 700 h déployées par Mélanie De Waele, animatrice agricole missionnée par l’Epage.
Stimuler la nature
Outre la conversion à l’agriculture biologique de trois exploitations totalisant 500 ha, le résultat le plus spectaculaire de son travail a consisté à convaincre un agriculteur de lancer une production sobre en eau et en intrants, et sans précédent dans le grand Est comme en Bourgogne-Franche-Comté : l’amanderaie de trois hectares a déjà produit ses premiers fruits. Réalisée avec le lycée forestier de Crogny (Aube), la plantation se solde par 90 % de reprises.
L’opération a conforté une approche sobre de la renaturation, sans passer par des plantations issues de pépinières : « Moyennant quelques transplantations de frênes et bouturages de saules, un an suffit pour que le milieu se réadapte, sur un cours d’eau sous-calibré », constate Matthias Alloux.
Précieux et fragiles
Primées aux trophées de l’adaptation au changement climatique Life Artisan, les deux opérations phare de l’Epage de l’Armançon répondent à une priorité nationale : les XIIèmes programmes des agences de l’eau réaffirment l’importance de la restauration écologique des têtes de bassin. Leur mise en œuvre a démarré en janvier 2025, pour six ans.
De l’autre côté de l’hexagone par rapport à l’Armançon, un écho issu de l’amont du bassin de la Dordogne a conforté le même message, lors du webinaire d’Idealco : « Depuis une dizaine d’années, nous avons contractualisé un programme de travaux avec l’agence de l’eau Adour Garonne, pour renaturer et restaurer la continuité écologique de petits affluents très impactés par les voiries et les franchissements agricoles », confirme Pascaline Séguy, chargée de l’eau et des milieux naturels à Haute Corrèze communautés.
D’un bout à l’autre de l’hexagone, IdealCo pose le même diagnostic, par la voie d’Alexis Baron, responsable de communauté professionnelle : « Les petits cours d’eau de l’amont des bassins drainent les trois quarts des masses d’eau. Ils souffrent de la pression hydrographique, de l’assèchement des zones humides, des prélèvements, de l’exploitation forestière, de l’arrachage des haies, de l’accélération de l’artificialisation des sols. D’où l’importance de leur préservation et de leur restauration ».