La campagne, c'est le nouveau dada de Rem Koolhaas. Dans un article intitulé « Koolhaas in the country », paru en septembre 2014 dans la revue Icon, le fondateur d'OMA raconte comment, après avoir épuisé les métropoles postmodernes, il a arpenté les communes perdues au cœur des terres agricoles néerlandaises. Et ce qu'il a vu l'interroge : « Comment un village peut-il se dépeupler et croître en même temps ? ». Le paradoxe associant la dilatation périphérique des communes isolées en zone rurale à la déshérence de leurs centres-bourgs préoccupe, en France, les architectes et les urbanistes qui accompagnent les élus locaux dans leurs projets de territoire en tant que maîtres d'œuvre ou au sein des CAUE et des parcs naturels régionaux (PNR). Comme la condition urbaine, la condition rurale est, pour eux, un projet spatial et social qui, par la redynamisation des centres-bourgs, offre une alternative à l'étalement pavillonnaire. Ces professionnels n'ont pas attendu, pour agir, les premières assises des ruralités, organisées par le ministère du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité, fin 2014, et les promesses d'un plus grand investissement de l'État dans l'équipement et le développement économique des campagnes. Ils expérimentent un urbanisme rural économe en espace et en énergie pour lequel la réappropriation par le logement du patrimoine des centres-bourgs est l'un des premiers leviers. Les chiffres 2010 de l'Insee sont, en effet, éloquents : la diagonale du vide reliant la Meuse aux Landes en passant par le Massif Central, où les densités de population sont les plus faibles, se superpose sans mal aux plus forts taux de logements vacants - 7,3 % dans les communes rurales contre 6,6 % dans les unités urbaines. De fait, le retour fin 2014 du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un logement ancien est une bonne nouvelle.
Nouveaux modes d'habiter la campagne
Mais la question de l'habitat ne suffit pas à réinventer la vie et la ville à la campagne. Pour rendre plus attractif que les pavillons des lotissements un patrimoine construit à 60 % avant 1949, ne disposant pas de places de stationnement ni d'espaces extérieurs privatifs, le projet de redynamisation d'un centre-bourg doit être plus que spatial. Il doit relever d'une ambition culturelle forte en proposant de nouveaux modes d'habiter la campagne. Les professionnels de l'aménagement engagés auprès des villages expérimentent donc une « rénovation urbaine » des territoires ruraux, conscients que la réinvention de la ville existante n'est pas une spécificité métropolitaine.
Si elles partagent leurs maux, « les ruralités » sont diverses en démographie car l'exode urbain ne concerne que certaines régions. Alors que les communes isolées du Puy-de-Dôme ou de la Nièvre doivent transformer leurs centres-bourgs pour renverser leur déclin démographique, c'est pour faire face à l'afflux de citadins qui voient en l'espace rural un nouvel eldorado résidentiel que les petites communes du Pas-de-Calais ou du Maine-et-Loire doivent se réinventer un centre plus attractif que les terres productives qui les entourent. Majoritairement dépourvus de services d'ingénierie urbaine, les villages de toute la France se tournent vers les CAUE et les PNR pour être épaulés dans leurs projets d'aménagement. Révisions des PLU et aide au passage à l'opérationnel constituent pour ces derniers l'occasion de valoriser l'environnement bâti et paysager. Par ailleurs, la vocation pédagogique de ces « architectes aux pieds nus » et des services techniques des PNR s'appuie également sur de nombreuses actions prospectives, nécessaires pour amorcer des projets d'aménagement durable dans ces territoires à l'économie fragile. Ainsi, de nombreuses incitations au renouvellement des bourgs conduisent progressivement à des projets opérationnels un peu partout. Le concours « Habiter autrement, pour un urbanisme durable », organisé par le Conseil général de Maine-et-Loire, le CAUE 49 et une SEM locale, la Sodemel, a distingué l'étude de requalification du centre de Villevêque de l'architecte Xavier Fouquet, aujourd'hui en phase d'étude (lire p. 50). La participation à l'opération « Renouer, renouvellement urbain et écologique des espaces ruraux » initiée par le syndicat mixte des trois PNR du Nord-Pas-de-Calais, a permis au village de Ferques de se doter d'une étude urbaine pré-opérationnelle très détaillée (lire p. 51). Enfin, le programme « Habiter autrement en centres-bourgs » porté par le conseil départemental du Puy-de-Dôme et le PNR du Livradois-Forez, et qui a notamment envoyé le collectif Etc en résidence à Châteldon, a conduit à la création d'un poste de chargé de mission « centres-bourgs » au sein du PNR, pour mettre en œuvre, avec les communes, des projets de réappropriation de leur patrimoine. Par ailleurs, à la faveur de l'investissement exemplaire d'enseignants comme Xavier Guillot à Saint-Étienne, Marc Verdier à Nancy ou Cyril Brulé et Christelle Lecœur à Paris-Malaquais, les écoles d'architecture s'impliquent également dans ces actions de sensibilisation avec des ateliers de projet consacrés aux problématiques qui touchent les communes rurales. Un bon moyen d'inciter les futurs architectes à s'intéresser à ces territoires qui doivent lutter contre le « désert architectural » comme ils luttent contre les déserts médicaux.
De la parcelle au territoire
Les architectes et les urbanistes formulent souvent dans le cadre de leurs études des propositions ambitieuses qui dépassent les attentes des élus. Au-delà de la création d'équipements et de logements, de la réhabilitation écologique de bâtiments vacants, de la réimplantation de commerces et, puisque c'est le nerf de la guerre, de l'identification de nouvelles parcelles à bâtir, ils proposent des projets en phase avec les modes de vie contemporains, favorisant l'hybridation des programmes et celles des usages de l'espace public. Xavier Fouquet n'hésite pas à repenser entièrement le plan de circulation de Villevêque pour créer des voies partagées, support d'un nouveau type de jardins à usage commun (jardins potagers, de détente, de jeux...). Une offre bienvenue dans un centre qui peine, à cause de sa densité, à combler son manque d'espaces extérieurs privés. À Châteldon, les architectes du collectif Etc suggèrent de créer des opérations mixtes (équipements publics, commerces et logements) dans des bâtiments dont la morphologie se prête à une réhabilitation (granges, petites et grandes maisons de bourg, local commercial vacant en rez-de-chaussée d'un immeuble abandonné...), une manière adroite de tirer profit des spécificités du patrimoine rural. À Ferques, les architectes de l'agence Redcat et les paysagistes de l'Atelier Altern ne se sont pas arrêtés à la requalification de la rue principale mais ont choisi de l'intégrer à la création d'un réseau de venelles qui désenclave des terrains en jachère au cœur du bourg, révélant ainsi des gisements de foncier qui participent à un urbanisme économe en espace. Tous les architectes et urbanistes défendent l'élargissement des études de la parcelle au territoire, essentiel pour que les élus se saisissent des enjeux environnementaux d'un aménagement et façonnent leur propre récit. L'échelle de réflexion qu'impose la réalisation d'un PLU intercommunal apparaît, dès lors, comme la plus adaptée pour imaginer un avenir durable aux communes rurales. Et si les propositions formulées dans le cadre de leurs études ont peu de chances d'être traduites en l'état dans les documents d'urbanisme ou les futurs projets, elles les inspireront à coup sûr. Ici, comme en ville, le processus et la négociation avec les acteurs d'un projet comptent autant - voire plus - que la réalisation du plan-masse. Une vision partagée par Agnès Hausermann, architecte-urbaniste engagée dans la révision du PLU d'une dizaine de communes des Vosges : « L'établissement d'un PLU est un dialogue progressif sur deux ou trois ans. C'est long mais cela permet de sortir d'une gestion "au quotidien" de l'aménagement d'un bourg pour développer un projet global commun et pour que les habitants s'approprient leurs propres règlements. » Transformées en outil de sensibilisation à un urbanisme plus durable, les méthodes de planification imaginées pour la ville trouvent leur place en territoire rural.
Nouvelle économie
Le financement des projets de rénovation urbaine en territoire rural est également à inventer. Le faible investissement public et la quasi inopérance des bailleurs-sociaux dans ces communes aux moyens limités obligent à trouver des alternatives à l'État-providence dans une économie plus collaborative du projet. À Villevêque, Xavier Fouquet compte sur l'usage - et les usagers - des jardins communs pour assurer leur gestion, déchargeant ainsi la commune de l'entretien d'espaces pourtant publics. Pour pouvoir mener à bien des projets dans les centres-bourgs du Puy-de-Dôme, de Haute-Loire et de Loire, le PNR du Livradois-Forez s'interroge, de son côté, sur la mise en place de nouvelles solutions financières comme l'épargne solidaire, la création de SPL ou l'implication des entreprises de la région en complément d'un investissement communal. Si la valorisation des ressources locales est un des objectifs de l'aménagement des espaces ruraux, elle est également une des conditions de sa faisabilité. Du fait de la frugalité de son économie et de sa spatialité, « la rénovation urbaine » à la campagne est donc en phase avec les enjeux environnementaux de notre société et peut en cela, inspirer celle de la ville.

