D'où proviennent les données émises par le secteur de la construction?
Toute la chaîne de valeur de la construction en émet. Elles proviennent aussi bien de la numérisation de documents de cadastre ou de plans locaux d'urbanisme (PLU), que des informations transmises en open data par les services publics de gestion de l'eau, des transports… Côté conception et réalisation, le building information modeling (BIM) constitue également une source d'information fiable. En ce qui concerne l'exploitation des ouvrages, compteurs communicants et capteurs en tout genre - de la taille d'une pièce de monnaie, que l'on peut poser avec un simple adhésif - sont déployés sur le bâti pour générer des indicateurs. Enfin, chacun d'entre nous devient aujourd'hui un émetteur d'informations sur l'usage des ouvrages via son smartphone.
Pourquoi ces informations suscitent-elles autant d'intérêt?
Beaucoup perçoivent ces données comme un véritable eldorado ! Aujourd'hui, des informations précises telles que le taux d'occupation d'un bâtiment, ses consommations d'énergie, d'eau, sa qualité de l'air intérieur sont aisément accessibles. Autant d'indicateurs qui permettent notamment d'optimiser les consommations d'énergie pour réduire les factures, jusqu'à 15 %. Et demain, nous pourrons aller encore plus loin afin de réduire la vacance des bureaux et densifier les espaces tertiaires, par exemple. Nombreuses sont les start-up à créer de nouveaux modèles économiques à partir de ces données. Chez Impulse Partners, nous en accompagnons déjà 400 qui se consacrent au BTP.
Les acteurs du BTP seront-ils les principaux bénéficiaires de cette nouvelle manne?
A vrai dire, les acteurs traditionnels du secteur sont dans une situation inconfortable. L'histoire de la construction, faite de règles et de normes, a favorisé un protectionnisme qui a permis l'émergence de fleurons capables de réaliser des ouvrages de grande qualité et d'exporter leurs savoir-faire à l'international. Malheureusement, cette structuration devient un frein dans un contexte de mutation. Aujourd'hui, des start-up déboulent sur le marché avec des idées neuves, qui remettent radicalement en cause nos habitudes. WeWork, par exemple, est en train de révolutionner l'immobilier de bureaux en proposant de louer, non plus une surface pour une durée de trois, six ou neuf ans comme c'était le cas auparavant, mais un nombre de postes de travail. IBM a d'ailleurs décidé de lui confier sa gestion immobilière.
Outre WeWork, quelles pépites avez-vous identifiées dans le secteur de la construction?
En amont de la construction, on peut citer PriceHubble. Cette société propose de combiner des informations de natures diverses (données des courtiers relatives à l'historique des prix, data open source relatives aux futurs réseaux de transports, projets de construction, etc.) afin d'anticiper les prix de l'immobilier à moyen et long terme. Plus orientée vers le client final, HabX propose, quant à elle, de la personnalisation de logements aux promoteurs.
Chaque client potentiel peut ainsi configurer son futur appartement de façon aussi simple qu'une cuisine Ikea, avec un atout de taille : le promoteur identifie exactement les besoins et sécurise ses ventes.
« Les majors de la construction doivent s'adapter et rendre leurs activités compatibles avec ce nouveau monde économique. »
Ces jeunes pousses vous semblent donc les mieux placées pour transformer la data en valeur.
Je constate qu'en effet les start-up qui se développent de façon fulgurante maîtrisent les données et par conséquent les risques associés à leur utilisation. Grâce à leurs data scientists et à l'intelligence artificielle, elles inventent de nouveaux services. Le cas d'Opendoor, aux Etats-Unis, est à ce titre emblématique. De prime abord, il s'agit d'une agence immobilière. En réalité, ils achètent eux-mêmes les biens à vendre, car la maîtrise des données leur permet de connaître les plus-values qu'ils réaliseront ensuite.
Est-ce à dire que les entreprises de construction ne parviennent plus à innover?
Si, elles innovent, mais à l'ancienne, avec des budgets et des équipes réduits à la portion congrue. En général, une major consacre moins de 1 % de son chiffre d'affaires à la R & D, alors que l'automobile, par exemple, y investit 15 %. C'est d'ailleurs ce qui explique que de nombreux cadres préfèrent quitter leurs entreprises pour monter la leur et créer le service qu'ils attendaient lorsqu'ils travaillaient « à l'ancienne ». La plupart des fondateurs de start-up que nous accompagnons sont issus de grands groupes du secteur et reflètent directement cette tendance. Mon sentiment est que l'innovation digitale ne passe plus réellement par les entreprises de BTP.
Faut-il en déduire que le BTP est en voie d'ubérisation?
Je ne pense pas, car les solutions existent. La plus évidente pour une entreprise du BTP me semble être de s'adapter et de rendre ses activités compatibles avec ce nouveau monde économique. Cela suppose une capacité d'action et de remise en cause rapide assortie d'un nouveau rapport au risque.
Prendre un risque est le propre d'une start-up, à la nuance près que, contrairement à un grand groupe, elle n'a rien à perdre. Ce sont leurs investisseurs qui supportent le risque. Aujourd'hui, si une major de la construction annonçait un changement radical de modèle économique, son action en bourse chuterait, parce que les actionnaires attendent des dividendes. Il n'y a donc pas de recette universelle.
Le boom des start-up nous enseigne simplement que des entrepreneurs avec peu ou pas d'actifs mais des idées peuvent faire significativement bouger des équilibres économiques qu'on croyait immuables. Il faut accepter cette éventualité, rester en veille, expérimenter, acculturer ses collaborateurs, et surtout faire preuve d'humilité.
Les modèles économiques actuels sont-ils des freins à la transformation des entreprises du BTP?
En effet, il est très difficile pour une société d'envisager un changement profond de modèle économique. Imaginez une entreprise titulaire d'un contrat de maintenance de routes, qui consiste à renouveler régulièrement le bitume sur plusieurs kilomètres. Aujourd'hui, une instrumentation de ces ouvrages pour collecter des données permet de réaliser les travaux de façon chirurgicale, en utilisant moins de matériaux et en réduisant les nuisances dues au chantier.
Même si cette nouvelle activité fondée sur la data s'avère extrêmement rentable, les gains ne seront jamais comparables à ceux récoltés dans le cadre de l'ancien contrat. La situation est particulièrement schizophrénique !