
Oui, on peut construire à la verticale. En février dernier, lors d'une visite à Villejuif (Val-de-Marne), Gabriel Attal avait fait l'éloge de la surélévation. Selon le Premier ministre, cette solution doit permettre de gagner de précieux mètres carrés dans les zones tendues, là où les logements sont les plus attendus. Son atout : offrir un gisement de foncier sans artificialiser les sols.
L'entreprise Upfactor, qui s'est spécialisée dans l'assistance à maîtrise d'ouvrage pour des projets de surélévation, s'est vue confier en 2022 une mission d'identification du gisement foncier de l'Euro métropole de Strasbourg (lire p. 24). Résultat : 16 500 bâtiments éligibles, sans modification des règles d'urbanisme. « Cela correspond à dix ans de production de logements pour une ville comme Strasbourg », précise Didier Mignery, architecte et président d'Upfactor. Dans la capitale, un diagnostic en cours devrait mettre en lumière un nombre particulièrement important d'immeubles surélevables.
L'ajout d'étages peut également répondre au casse-tête financier d'une rénovation, notamment énergétique. « Les copropriétaires vendent leurs droits à construire en hauteur à des promoteurs en échange de travaux », explique encore l'architecte. Un dispositif qui fonctionne uniquement si le prix de sortie des nouveaux logements couvre le coût de la rénovation, ce qui n'est le cas que dans les zones tendues. « En dessous de 5 000 euros/m2, on a du mal à résoudre l'équation », reconnaît Didier Mignery.
Manque de concurrence. Pourquoi des prix aussi élevés ? Cela s'explique par des travaux de rénovation coûteux et par la complexité technique des chantiers de surélévation qui font monter les prix, en raison notamment du manque de concurrence sur ces compétences pointues. « L'industrie immobilière n'est pas adaptée au marché de la surélévation. Les acteurs sont en train de prendre le pli, mais, aujourd'hui, cette inadéquation entraîne des surcoûts et des difficultés de réalisation », poursuit Didier Mignery.
Benjamin Lefébure, cofondateur des Secrets de l'Immo, mène entre quatre et six projets de ce type par an. « Nous concevons et construisons nous-mêmes, avec notre entreprise générale, les projets de surélévation d'investisseurs particuliers », explique cet ingénieur bâtiment. Selon lui, les surcoûts liés à cette technique se nichent dans les détails : « La première difficulté se trouve dans l'audit du bâtiment existant, qui implique du temps et de l'argent. La seconde est à chercher du côté de la construction hors site : tous nos projets sont préfabriqués et nous avons besoin d'un degré de précision millimétrique en usine et d'éléments de qualité. Dernière difficulté, enfin : la logistique. La surélévation implique des moyens de levage importants, dans un milieu contraint, avec des convois exceptionnels à organiser. » Cette pression à la hausse des budgets ne l'empêche cependant pas de poursuivre son développement, centré sur le Grand Paris après quelques essais en région, au Havre notamment.
Financer la rénovation du patrimoine. La création d'étages supplémentaires a aujourd'hui le vent en poupe du côté des bailleurs sociaux, qui y trouvent un moyen simple de financer la rénovation de leur patrimoine. Grand Lyon Habitat mène ainsi plusieurs opérations. « Les deux premières, actuellement en chantier, nous offrent l'opportunité de restructurer complètement l'existant. Rue Pasteur, dans le 7e arrondissement de Lyon, nous créons par exemple 10 logements étudiants par ce biais, avec un coût de travaux de 3 000 euros/m2 », détaille Eric Perron, directeur du pôle aménagement et développement immobilier du bailleur. Un choix de programme qui n'est pas anodin. « Même si le foncier est gratuit, puisque nous sommes propriétaires des bâtiments, le niveau de dépenses reste important. Pour faire du logement très social, il faudrait arriver à des coûts inférieurs à 2 500 euros/m2 », évalue-t-il.
« Les surcoûts de la surélévation doivent être absorbés par l'absence de charge foncière sur l'opération », résume Marc Escargueuil, directeur des programmes chez CDC Habitat et responsable d'un projet de surélévation de 44 logements sur un ensemble d'immeubles de la rue de Belleville, dans le XIXe arrondissement de Paris. Pour lui, l'équation économique repose sur « le subtil équilibre entre les capacités permises par le règlement d'urbanisme et les nécessités de reprises en sous-œuvre » du bâtiment. Sur l'opération de la rue de Belleville, conçue par Arcane Architectes, les colonnes électriques ont, par exemple, été remises à neuf pour desservir les nouveaux logements, tandis que les fondations ont dû être reprises.
Pour équilibrer un coût de travaux qu'il estime à 5 500 euros/ m2, CDC Habitat a construit 11 logements en PLS et 33 locatifs intermédiaires. « Cette offre intermédiaire, qui a tout son sens dans un quartier déjà bien pourvu en habitat social, permet aux travailleurs clés de se loger », tient à souligner Marc Escargueil. Et de préciser : « Il serait possible de développer du logement libre en accession au-dessus de notre patrimoine pour financer la rénovation de l'existant, mais cela ne correspond pas, à notre sens, à notre mission d'offrir du logement abordable. »
PLU à assouplir. Une autre solution, mise en avant par de nombreux acteurs, réside dans l'assouplissement des règles des PLU. Un dispositif pas toujours évident à porter pour les élus des grandes villes, déjà accusés de densifier à l'excès. Si son modèle économique fait parfois défaut, la surélévation a également besoin d'un soutien politique solide.
Architecte ou entrepreneur, ils se sont spécialisés dans la surélévation
« Une démarche de pré-instruction nous permet de déminer le terrain », Philippe Peson, architecte-ingénieur, gérant associé chez ZoomFactor Architectes
« L'agence, fondée en 2002, a développé son expertise à partir du projet personnel de l'ancien gérant. La suppression du coefficient d'occupation des sols (COS) en 2014 a favorisé les rares acteurs qui avaient des références en la matière. La surélévation représente un tiers de notre chiffre d'affaires, une proportion que nous cherchons à réduire car ces projets restent souvent longs et incertains.
Le marché s'est ralenti ces dernières années, parce que le coût a beaucoup augmenté et que le contexte juridique s'est tendu. Nous nous sommes repositionnés sur des projets plus importants, avec une solide étude de faisabilité et la consultation, très en amont, de l'ABF, de l'architecte-voyer, etc. Cette démarche volontaire de pré-instruction du permis de construire doit permettre de déminer le terrain et de le prévalider. »
« Retrouver la substantifique moelle de l'entreprise générale », Alexis Joly, directeur général de SNERCT Construction
« Pour nous différencier, nous nous sommes spécialisés dans la surélévation en 2014. Ces chantiers, qui mélangent gros œuvre et rénovation, nous ont permis de retrouver la substantifique moelle de l'entreprise générale, car ils nécessitent de maîtriser la synthèse des métiers.
Nous disposons ainsi de compétences dans le métal, le béton mais aussi le bois. Avec ce matériau, nous posons par exemple des produits préfabriqués et travaillons au millimètre près sur le chantier, le summum de la complexité. Ces projets représentent aujourd'hui 40 % de nos 32 M€ de chiffre d'affaires, poussés par les bailleurs sociaux ou les collectivités. Mais il se peut qu'à l'avenir, la demande vienne finalement des copropriétés qui pourront, grâce à eux, financer les travaux de rénovation.
Dans ce cas, les entreprises devront adapter leur offre pour adresser ces petits marchés. »