MUTABILITÉ, ADAPTABILITÉ, ÉVOLUTIVITÉ : VERS UNE ARCHITECTURE RÉVERSIBLE ?

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A Paris, nombre de logements haussmanniens ont été depuis des décennies transformés en bureaux. Ces immeubles de rapport configurés pour l'habitation se sont facilement adaptés à l'usage tertiaire, grâce à leur hauteur d'étage et aux grandes dimensions de leurs pièces d'apparat. Cette réversibilité discrète fournit un exemple historique de ville durable. Comme d'ailleurs le plan libre du système Dom-Ino conçu en 1914 par Le Corbusier qui permet une multitude d'agencements et de reconversions, ou le système industrialisé poteaux-plancher-dalle avec poutres noyées qui se prête à tous les usages. A l'inverse, les bâtiments de bureaux construits avec des espaces servants centraux (cages d'escalier, ascenseurs, sanitaires, salles techniques, salles de réunion ou de reprographie) semblent avoir un potentiel de transformation en habitation plus limité.

Une multiplication des normes coûteuse

« L'idée d'anticiper les changements d'usages dès la conception d'un édifice n'est pas neuve dans l'histoire de la ville », écrit l'observatoire régional de l'immobilier d'entreprise en Ile-de-France (Orie), dans le rapport de synthèse du colloque « L'immobilier réversible et les nouveaux modes de production » tenu en février 2016. Tout en notant que « le risque existe de se retrouver avec des bâtiments qui permettraient d'accueillir toutes les fonctions sans en satisfaire aucune séparément ». Quoi qu'il en soit, en Ile-de-France, plus de 3,3 millions de mètres carrés de bureaux sont vacants (chiffre 2014), alors que le manque de logement est criant. Mais la multiplication des normes réglementaires a rendu difficile et a considérablement renchéri les opérations de transformation de bureaux en logements.

Depuis quelques années, élus et aménageurs réclament aux maîtres d'ouvrage des bâtiments réversibles. Il s'agit surtout de mettre un terme aux trop longues périodes de vacance que rencontre parfois l'immobilier d'entreprise en phase de commercialisation, au détriment de la vie d'un quartier.

En effet, la mise sur le marché d'un programme tertiaire présente des risques beaucoup plus importants que dans le domaine du logement. Il semble cependant difficile de trouver des investisseurs prêts à jouer le jeu de la réversibilité bureaux / logements. L'Orie dresse le tableau des enjeux et des obstacles qui se présentent, car les règles juridiques et fiscales diffèrent selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre programme. Dès lors, quelles normes simplifier ? Faut-il inventer un permis de construire à double destination ? Quelles incitations pour éviter les démolitions-reconstructions ? Et si les bâtiments n'ont plus d'affectation précise, comment organiser la mixité fonctionnelle des quartiers ?

En 2014, l'agence LAN a livré pour ICF Novedis dans le XVIIe arrondissement de Paris, au sein de la ZAC Saussure-pont Cardinet, un immeuble d'habitation conçu pour pouvoir intégrer facilement des bureaux : structure porteuse réduite aux façades et au noyau de circulation ; hauteur sous plafond de 3,20 m ; façades modulaires avec un élément plein pour deux éléments vitrés au standard tertiaire de 1,35 m de large chacun ; rez-de-chaussée commercial englobant une partie du premier étage, etc.

La même année, l'agence Anne Démians a remporté avec Icade un concours portant sur une opération réversible de 40 000 m2 située à Strasbourg. En chantier, ces trois immeubles de standing baptisés « Black Swans » en raison de leur silhouette évoquant celle d'un cygne ont déjà changé d'affectation, entre le concours et la phase de réalisation.

Aux bureaux prévus initialement se sont substitués de l'habitat, dont une résidence séniors, une résidence étudiante et un hôtel. La stature des immeubles est imposante. Une double peau en aluminium protège une galerie métallique extérieure : « Plus ou moins resserrée, plus ou moins élargie, elle devient coursive d'entretien - devant un bureau -, balcon pour un logement, ou même loggia sur le canal. » Cette enveloppe extérieure, également garde-corps, brise-soleil et garante d'intimité donne une épaisseur de près de 19 m aux bâtiments, un standard de l'immobilier tertiaire. La hauteur sous plafond de 2,90 m et une trame de 2 x 0,73 m y font aussi référence, sans compter les halls d'entrée à double hauteur.

Trois tabous à lever

Les chantiers accompagnant le Grand Paris Express comptent également plusieurs projets de bâtiments réversibles. Les élus souhaitent construire autour des gares des bureaux, pour développer l'emploi et améliorer les rentrées fiscales, mais convertibles en logements en cas de crise. Les majors du BTP et les promoteurs sentent le vent tourner. Vinci Construction a ainsi développé un procédé industrialisé, Habitat Colonne, constitué d'une structure poteaux-plancher-dalle sur une trame de 3 x 6 m sans retombée de poutre, qui est au cœur d'un concept d'immeuble réversible baptisé « Conjugo » (lire p. 63).

Celui-ci, étudié avec l'agence d'architecture Canal, propose aux opérateurs de l'immobilier tertiaire de lever trois tabous.

D'abord, amincir les immeubles de bureaux pour atteindre les épaisseurs pratiquées dans le domaine du logement, c'est-à-dire entre 13 et 15 m. Ensuite, pour compenser cette perte de compacité, et donc de rentabilité, Conjugo rééquilibre l'opération par une densification verticale : les hauteurs entre dalles seraient réduites à 2,70 m - sensiblement moins que dans le tertiaire, mais 20 cm de plus que dans le logement. Une diminution susceptible de faire gagner un niveau d'immeuble à partir du quatrième étage. Enfin, le rééquilibrage financier repose également sur une optimisation des coûts d'adaptation de sécurité incendie en prenant le parti de sortir les circulations à l'extérieur du bâtiment. Cette figure imposée de coursives et de dessertes en balcon est d'ailleurs courante dans certains pays, notamment aux Etats-Unis(*) .

Mixité verticale

D'autres majors du BTP sont en lien avec des architectes pour ce type de démarche. Le groupe Bouygues Construction a mis au point un procédé au nom évocateur, Office Switch Home, qu'il expérimente dans un îlot de la ZAC Lyon-Confluence pour un immeuble de bureaux confié à David Chipperfied Architects. La transformation en logements bénéficiera de balcons déjà intégrés, d'une structure poteaux-plancher-dalle en béton et d'un faux plancher centralisant tous les réseaux qui ramène la hauteur libre de 3,20 à 2,70 m. Sur un îlot voisin, le promoteur Ogic travaille à un bâtiment mixte et réversible avec les architectes Diener & Diener et Clément Vergély (lire p. 58) . Par le jeu d'un exosquelette monumental en béton, sa structure poteaux-plancher-dalle présente des portées confortables, avec près de 3 m sous plafond.

Les ossatures métalliques ou en bois se prêtent, elles aussi, à l'exercice de la réversibilité. La SNI Sud-Ouest, qui gère 11 000 logements sociaux, a mis au point le « prototype de mixité verticale » Urbik's Cube, lauréat, en mars 2016, de l'appel à projets pour une « architecture de la transformation » lancé par la Caisse des dépôts et consignations. L'objectif est d'expérimenter, au sein du projet urbain Brazza à Bordeaux, l'idée de fondre plancher et faux plancher en une seule et même « structure capable », imaginée par une équipe réunissant l'architecte Marc Barani, des bureaux d'études, des universités et des laboratoires de recherche. En phase de test, ce plancher préfabriqué associe des poutres-treillis en bois de grande portée et une dalle en bois flottante à une dalle de béton armé suspendue en sous-face. Son épaisseur de 70 cm permet d'intégrer les réseaux et de libérer ainsi des plateaux de 12 m entre façades. La livraison d'un immeuble « urbain mixte adaptatif » est prévue pour 2019.

La flexibilité dans le logement participe de la même démarche. Si les maîtres d'ouvrage dérogent rarement à la sacro-sainte hauteur sous plafond de 2,50 m, ils acceptent parfois le surcoût généré par des choix visant l'évolutivité des cellules, pour s'adapter aux changements familiaux. L'architecte Samuel Delmas achève ainsi pour Pitch Promotion l'étude de deux immeubles particulièrement évolutifs (lire p. 60) . Leur structure poteaux-plancher-dalle en béton, avec une implantation latérale des noyaux de circulations, optimise la surface libre des plateaux. Une exocharpente en bois offre la possibilité de disposer de balcons extérieurs privatifs en servant de grille de support. De même, l'immeuble d'habitat social livré à Paris XXe par Naud & Poux pour la RIVP (lire p. 59)

a été conçu avec des façades porteuses et une structure renforcée en pied qui autorisent des évolutions : réaménagement facilité du cloisonnement sur des plateaux libres de 8,5 m de large, surélévation possible de trois niveaux en filière sèche… L'agence espagnole Archikubik a renforcé les planchers et augmenté les hauteurs sous plafond des neuf niveaux du parking-silo Nouveau Saint-Roch (lire p. 61) livré en 2015 près de la gare TGV de Montpellier, de façon à anticiper sa transformation éventuelle pour d'autres usages. Mais le coût d'une telle démarche suppose une situation d'exception.

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