Interview

Reconstruction de Notre-Dame: «Utiliser du métal ou du béton n’est pas la bonne décision»

Benjamin Mouton, l’architecte en chef des Monuments historiques, a été en charge de la cathédrale parisienne de 2000 à 2013. Il évoque pour « Le Moniteur » les choix qui devront être faits pour restituer la silhouette du monument.

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Notre-Dame de Paris, ce 16 avril 2019
Notre-Dame de Paris, ce 16 avril 2019. Benjamin Mouton plaide pour une reconstruction avec les techniques traditionnelles.

Peut-on dire aujourd'hui que la structure de la cathédrale est sauvée ?

Personne ne le sait à ce stade. Pour ma part, je ne suis pas soulagé : on ne peut pas garantir que la structure ne peut plus s’effondrer. Nous ne pourrons le dire que lorsqu’on aura dégagé les éléments de charpente aux trois-quarts consumés et trempés qui reposent dessus à l’heure actuelle. Il va falloir ôter tout cela doucement, pour décharger les voûtes et une fois cela fait, il faudra les expertiser en profondeur pour vérifier qu’elles présentent encore assez de réserves de résistance. En effet, une voûte agit en compression en son sommet et vers l’extérieur.

Donc si cet extérieur a été attaqué par le feu, transformant la pierre en chaux, puis par l’eau, l’ensemble n’offrira plus de résistance. Si toutefois les voûtes devaient tomber, nous saurions techniquement les reconstruire. On peut aussi décider demain qu’il est nécessaire de les démonter pour les remonter ensuite…

En ce qui concerne « la forêt », ainsi qu’était surnommée la charpente historique, sera-t-on capable de la restituer à l’identique ? Ou faut-il recréer la couverture avec une ossature en béton ou en métal ?

Il est techniquement possible, pour recréer rapidement la silhouette de la cathédrale, d’utiliser du métal ou du béton mais ce n’est pas la bonne décision à prendre. Si par le passé, on a utilisé le béton à Reims et à Nantes, le choix était dicté par l’époque.

Il faut se souvenir qu’à Reims, c’était en raison du manque de bois à la fin de la Première guerre mondiale. Et à Nantes, après l’incendie de 1972, la France vivait la pleine époque du béton.

« La restitution des volumes du toit devra primer »

A Notre-Dame, il faut à mon avis reconstruire une charpente en bois. Cela fait partie de l’âme de l’édifice. Nous disposons d’un relevé très précis qui avait été réalisé par deux élèves architectes de l’Ecole de Chaillot, Rémi Fromont et Cédric Trentesaux. On peut très bien, sinon la reconstruire à l’identique, du moins évoquer ce qui faisait son grand intérêt : c’est-à-dire les différences entre la charpente du chœur et celle de la nef.

En effet, le tracé des fermes mises en œuvre dans la nef reprenait le même parti que celui employé dans le chœur 20 ans plus tôt, mais avec des évolutions. Mais on peut aussi décider de faire plus simple. Il y aura donc un choix à faire sur ce qui paraît le plus important. Pour ma part, je pense que la silhouette, et donc la restitution des volumes du toit, devra primer. Mais, il faudra en tout cas avoir recours à des méthodes traditionnelles.

Certains prennent pourtant position pour le recours à des techniques plus modernes….

Il serait très choquant qu’en voulant faire du modernisme pour le modernisme, les Compagnons charpentiers et couvreurs se trouvent privés du chantier de la reconstruction de Notre-Dame. Nous avons en France ces savoir-faire et nous devons aussi respecter la symbolique des métiers.

Les reléguer aux chantiers patrimoniaux de moindre importance serait une insulte. Au contraire, je pense qu’il faudra installer les Compagnons sur le parvis de Notre-Dame, qu’ils travaillent aux yeux du public. Il faut faire de cette restauration un chantier à la hauteur de l’attachement des Français.

« Au XIXe siècle, Viollet-le-Duc avait pensé la cathédrale comme un ensemble »

Nous disposons donc du relevé de la charpente, des savoir-faire… mais avons-nous la matière ?

La ressource en bois est en effet un des problèmes. Il faut commencer à constituer les stocks de bois dès à présent. Mais dans l’hypothèse d’une restitution de la charpente du XIIIe siècle, il faudra des bois longs comme on en trouve par exemple en forêt de Tronçais, dans l’Allier.

Mais faut-il raser un tel patrimoine pour reconstruire un autre patrimoine ? On peut alors se rabattre sur des bois courts, mais cela implique des perspectives de charpentes différentes.

Restituer la silhouette de Notre-Dame, cela veut-il dire, pour vous, qu’il faut reconstruire la flèche telle que Viollet-Le-Duc l’avait conçue au XIXe siècle ?

Il faut en effet reconstruire cette flèche du XIXe car Viollet-le-Duc n’avait alors pas juste dessiné un toit et une flèche, il avait pensé la cathédrale comme un ensemble. Ainsi, à l’époque, il avait deux solutions : réaliser une flèche dans l’esprit du XIIIe siècle ou reproduire celle du XVIIIe qui avait disparu. Or, cette dernière lui semblait trop courte, et indigne de Notre-Dame.

Il a donc imaginé une flèche plus haute de 12 mètres, en s’inspirant à mon avis de celle d’Amiens. Cet élément en bois recouvert de plomb avait ensuite été réalisé par Bellu qui était un peu le pape de la charpente de son temps.

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